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entière égalité : l'attaquer dans une seule, la ravir par la force à un peuple, c'est trahir la patrie, c'est se proclamer l'ennemi du genre humain! On a dit que la France menaçait la tranquillité générale, on n'a pas cité un seul fait!

<<< Sans doute, la nation française a prononcé hautement que la souveraineté n'appartient qu'au peuple! Diront-ils, les princes, que leur tranquillité pourrait être troublée par les ouvrages, par les discours de quelques Francais? Ce serait alors exiger à main armée une loi contre la liberté de la presse, ce serait déclarer la guerre aux progrès de la raison; et quand on sait que partout la nation française a été impunément outragée; que les presses des pays voisins n'ont cessé d'inonder nos départemens d'ouvrages destinés à solliciter la trahison, à conseiller la révolte; quand on se rappelle les marques de protection et d'intérêt prodiguées à leurs auteurs, croira-t-on qu'un amour sincère de la paix et non la haine de la liberté ait dicté ces hypocrites reproches?

« Le peuple français, libre de fixer la forme de sa constitution, n'a pu blesser, en usant de ce pouvoir, ni la sûreté ni l'honneur des couronnes étrangères. Les chefs des autres pays mettraient-ils donc au nombre de leurs prérogatives le droit d'obliger la nation française à donner au chef de son gouvernement un pouvoir égal à celui qu'eux-mêmes exercent dans leurs états? voudraient-ils, parce qu'ils ont des sujets, empêcher qu'il existât des hommes libres? et comment n'apercevraient-ils pas qu'en se permettant tout pour maintenir ce qu'ils appellent la sûreté des couronnes, ils déclarent légitime tout ce qu'une nation pourrait entreprendre en faveur de la liberté des autres peuples?

<«<< Mais quels sont les propositions de vos ennemis ? La servitude féodale et une humiliante inégalité; la banqueroute, et des impôts que vous paierez seuls; les dimes

et l'inquisition; vos propriétés achetées sur la foi publique, rendues à leurs anciens usurpateurs; les bêtes fauves rétablies dans le droit de ravager vos campagnes ; votre sang prodigué pour les projets ambitieux d'une maison ennemie telles sont les conditions du traité entre le roi de Hongrie et des Français perfides! telle est la paix qui vous est offerte! Non, vous ne l'accepterez jamais! Les lâches sont à Coblentz, la France ne renferme dans son sein que des hommes dignes de la liberté!....... L'empire français, dans sa vaste étendue, n'offrira plus à nos ennemis qu'une volonté unique, celle de vaincre ou de périr tout entier avec la constitution et les lois! >>

Quelle que fût l'opinion de certains hommes aux Jacobins, dès que l'assemblée eut poussé le cri: Aux armes! tous ses membres le répétèrent, et, ne voulant point affaiblir l'enthousiasme, se hâtèrent de se rallier à la même opinion.

Ceux qui avaient mis la France dans la nécessité de combattre se réjouissaient au-delà du Rhin, persuadés que là où il n'y avait pas de noblesse il n'y avait pas de courage; ils ne voyaient dans la campagne prochaine qu'une promenade de la frontière à Paris; ils pensaient qu'avec quelques coups de plat de sabre distribués aux vilains, ils apaiseraient sans peine ce qu'ils regardaient comme une mutinerie; ceux des royalistes qui n'avaient pas déserté la France ne voyaient point, sans quelque terreur, éclater la guerre, mais ils espéraient que cette grande préoccupation présentée à l'activité nationale détournerait le peuple de la révolution et l'empêcherait d'apercevoir leurs trames en faveur de l'étranger, dont ils croyaient d'ailleurs le succès infaillible. Les royalistes du dehors et du dedans voulaient la guerre pour ressaisir leurs priviléges et reconstituer une puissante aristocratie; quelques uns des Feuillans pour sauver la monarchie et l'affermir, les Girondins et les Jacobins pour assurer la liberté.

Quand on se rappelle les millions d'hommes dévorés par la guerre, cette fleur de la population européenne moissonnée par le glaive, tous les malheurs que ce fléau a fait peser sur les peuples, on ne saurait refuser un tribut de reconnaissance et de respect aux orateurs qui, prévoyant un si redoutable avenir, s'efforcèrent d'étouffer dans leurs germes, les principes de la conflagration générale; au premier coup d'œil on serait tenté de les regarder comme les sages de l'époque. Mais il y avait de la faiblesse parmi quelques uns d'entre eux, les craintes qu'ils avaient énoncées ne montraient à leurs esprits troublés que des défaites en perspective; ils n'étaient pas assez forts pour croire aux prodiges. Les sages furent évidemment les hommes d'audace et de résolution qui, après avoir entendu le peuple français répondre à leurs cris de guerre, le lancèrent au devant des périls avec la profonde conviction de ses triomphes. Honneur et gloire aux auteurs de cette grande témérité, source de notre salut; le génie de la liberté les fit prophètes, et un jour le monde affranchi par elle, bénira la guerre de la révolution comme la plus juste, la plus sainte et la plus utile de toutes les guerres.

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CHAPITRE XVIII.

Premières opérations militaires.— Déroutes de Quiévrain et de Marquin. Royou et Marat. Décret de déportation contre les prêtres. — Dissolution de la garde constitutionnelle. Projet d'un Lettre de Roland. - Renvoi des trois ministres camp sous Paris.

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Les trois armées de l'Alsace, de la Moselle et de la Sambre, commandées par Luckner, Lafayette et Rochambeau, étaient composées de cent vingt bataillons et de soixante escadrons formés du mélange d'anciens régimens, d'enrôlés volontaires et de gardes nationaux, braves, mais peu exercés au maniement des armes. La droite de ces trois armées s'appuyait à Besançon. Elles faisaient un grand coude pour couvrir la Lorraine et une partie de l'Alsace; elles occupaient Thionville, Mézières, le Quesnoy, Lille et Dunkerque, qui appuyaient leur gauche. Ce développement de terrain était trop étendu pour que des troupes si peu nombreuses pussent le défendre et le préserver. Mais la stratégie n'avait pas atteint parmi nous le degré auquel Frédéric l'avait élevée en Prusse, et l'on croyait encore tout devoir garder. La guerre si décisive des masses n'entrait pas dans les têtes des trois généraux auxquels la patrie confiait sa défense.

Dumouriez avait des talens militaires, et malgré le nombre de capitaines illustres que la guerre de la révolution a produits, il a conservé et conservera un nom dans nos fastes. Au milieu de toutes les autres pensées qui assiégeaient son esprit, la guerre était l'objet spécial de ses méditations. Bien avant la déclaration du 20 avril, dès la fin de l'Assemblée constituante, il avait jugé qu'une rupture était inévitable entre nous et l'Europe; un pressentiment secret lui donnait l'espoir de trouver enfin une occasion de se mettre au premier rang parmi les hommes de l'époque : il avait donc dirigé toute son attention du côté de la guerre, et s'était appliqué à étudier le terrain sur lequel l'armée française devait manœuvrer; il avait aussi dressé un plan d'attaque et de défense.

Ce plan, proposé d'abord à Narbonne, et adopté ensuite par le ministre Degrave, consistait à faire porter les troupes en avant sur toute la ligne, tandis qu'un corps de vingtcinq mille hommes devait se jeter tête baissée sur les PaysBas, les révolutionner, et placer ainsi l'armée allemande dans la nécessité d'établir sa ligne d'opérations au-delà du Rhin, limite naturelle que Dumouriez voulait reconquérir d'abord pour la France. Dans le principe, Rochambeau commandait le corps chargé de frapper ce grand coup; il devait suivre la Meuse, se rendre maître de Liége, et occuper ainsi les Pays-Bas; mais ce maréchal, toujours malade, crut que Lafayette, plus jeune, et surtout plus porté à sympathiser avec les peuples, réussirait mieux que lui. Il avait dit à la fin du ministère Narbonne : « Il s'agit de faire une révolution; ce n'est pas mon fait, comme celui de Lafayette, c'est son métier à lui de faire des révolutions! >>

Pendant le mouvement de Lafayette, fixé du 30 avril au 2 mai, le lieutenant-général Biron devait déboucher de Valenciennes avec dix mille hommes et se porter sur Mons, occupé par le général autrichien Beaulieu, avec

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