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soir, les Jacobins, les Cordeliers, les sections, entrent dans une agitation difficile à décrire. Tout le monde s'écriait que l'on voulait sauver les coupables, que l'assemblée trahissait tous ses devoirs, ou tout au moins qu'elle était audessous de sa mission. La journée du 10 août va donc avorter comme toutes les autres ; tout est perdu si l'Hercule populaire ne reprend pas une dernière fois sa massue. »

J'ai vu à cette époque le mouvement tumultueux de l'hôtel-de-ville, encore plus orageux peut-être qu'au 10 août lui-même. Dans l'étroite enceinte de la salle des délibérations, c'était une agitation convulsive, ou un silence interrompu à tout moment par des cris improbateurs ou par de violens murmures. Les têtes s'exaltaient et semblaient prendre feu comme des matières inflammables qui font à chaque instant une explosion nouvelle. Chacun brûlait de parler, chacun enchérissait d'énergie sur l'orateur qui venait d'occuper l'attention. Puis on voyait arriver, à travers la foule amassée à l'entrée de la salle, des pétitionnaires qui interrompaient la délibération, des citoyens, des employés, des gardes nationaux, qui demandaient des ordres pressans. Au milieu de ce tumulte, Robespierre, plein d'assurance, et s'emparant de la tribune comme du poste où il était appelé par le peuple, conquérait la parole, et se faisait d'autant mieux écouter qu'il poussait à tout moment le cri d'alarme. Chacune de ses paroles effrayait ou colérait les auditeurs, et cependant on n'aurait pas couru aux armes, comme après une harangue de Danton; mais ni ce prince des tribunes de l'époque, ni Tallien, qui essayait de se populariser par la véhémence de ses discours, ni ce Robespierre qui pouvait presque tout oser impunément, n'étaient, dans leurs plus fougueuses philippiques, que des modérés auprès d'un tel harangueur inculte et violent des sections ou des Cordeliers, venant gourmander ou invoquer la Commune au nom du peuple. Effectivement aucun des

coryphées du parti n'aurait eu la témérité de dire, ainsi qu'un certain membre de la Commune, à l'Assemblée nationale :

« Comme citoyen, comme magistrat du peuple, je viens vous annoncer que ce soir, à minuit, le tocsin sonnera, la générale battra.

<< Le peuple est las de n'être pas vengé.

<«< Craignez qu'il ne se fasse justice lui-même. Je demande que vous décrétiez, sans désemparer, qu'il sera nommé un citoyen par chaque section, pour former un tribunal criminel.

« Je demande qu'au château des Tuileries soit établi ce tribunal; je demande que Louis XVI et Marie-Antoinette, si avides du sang du peuple, soient rassasiés en voyant celui de leurs infâmes satellites. >>

A ces mots foudroyans, l'assemblée se soulève; les Girondins cependant ne trouvent aucune parole pour soutenir les droits de la représentation nationale, et réclamer la sainte autorité des lois protectrices de la vie des hommes; deux montagnards seuls, Choudieu et Thuriot, laissent éclater leur généreuse résistance. On a retenu ces belles paroles de Thuriot : « J'aime la liberté, j'aime la révolution ; mais s'il fallait un crime pour l'assurer, j'aimerais mieux me poignarder. » Cet orateur parlait encore lorsqu'un des individus choisis par les sections pour former le jury d'accusation et de jugement, vint prononcer ces paroles encore plus menaçantes que celles du représentant de la Commune: <«< Si, avant deux ou trois heures, le directeur du jury n'est pas nommé, si les jurés ne sont pas en état d'agir, de grands malheurs se promèneront dans Paris. » L'effervescence générale s'accroissait à tout moment; le peuple, agité par lui-même et par ses tribuns, devenait menaçant; il pouvait recourir à la violence et se faire justice lui-même. Dans ces circonstances, Hérault de Séchelles vint proposer un projet de décret qui, appuyé par

les membres les plus ardens de l'assemblée, obtint enfin la majorité des suffrages. Ce décret ordonnait la formation d'un tribunal extraordinaire, pour juger les crimes du 10 août, et les autres crimes y relatifs, circonstances et dépendances.

Le tribunal, nouvellement institué, fut divisé en deux sections, qui jugeaient sans appel et en dernier ressort; mais il ne s'appela pas encore le tribunal révolutionnaire: quand il aura pris ce nom, il sera, jusqu'à la chute de Robespierre, et même encore quelque temps après, la haute justice des Jacobins, également redoutable à tous, même à ses fondateurs; il immolera tour à tour l'éloquente Gironde, Danton, et Robespierre lui-même avec la Commune de Paris, qui toutefois ne sera plus celle du 10 août. Cette institution, dont personne ne soupçonnait alors le terrible avenir, ne causa point de grandes alarmes; les citoyens, occupés de la présence de l'ennemi sur nos frontières, considéraient comme utiles et nécéssaires toutes les mesures de rigueur qui tendaient à prévenir ou réprimer les conspirateurs du dedans, regardés par tout le monde comme des auxiliaires prêts à seconder les armées étrangères.

Ces armées resserraient sans cesse le cercle qu'elles avaient formé autour de la France, et s'avançaient avec d'autant plus de confiance que nos généraux, Lafayette à leur tête, perdaient un temps précieux en intrigues politiques, et semblaient donner plus d'attention aux événemens de Paris qu'aux mouvemens des camps ennemis.

Malgré l'influence de leurs généraux, tous dévoués à l'ordre constitutionnel, les armées, fortement imprégnées de l'esprit de la révolution, et remplies des accusations sans cesse renouvelées contre Louis XVI et sa cour, ne tenaient que par des liens très faibles à ce prince, qui d'ailleurs n'avait aucune des qualités nécessaires pour exciter l'enthousiasme du soldat. L'événement du 10 août ne

fit pas sur eux l'impression défavorable à laquelle s'attendait Lafayette les uns le virent avec indifférence, les autres l'adoptèrent avec empressement; au camp de Lauterbourg, commandé par Kellermann, officiers et soldats jurèrent à l'envi une obéissance aveugle aux décrets de l'assemblée. A Strasbourg, les députés commissaires trouvèrent d'abord quelques difficultés. Le général Biron s'était empressé de déclarer sa soumission, mais le maire Dietrich, Cafarelli-Dufalga, Victor de Broglie et Desaix voulurent organiser une espèce d'opposition: elle n'obtint pas l'assentiment de l'armée. Cafarelli-Dufalga ira mourir en Egypte, sous un chef dont la France ignorait encore le nom; Dietrich et Victor de Broglie périront sur l'échafaud; Desaix vivra pour illustrer son pays et recevoir des Arabes le nom de Sultan-Juste.

Pendant les adhésions données par les autres armées, de graves événemens agitaient celle qui obéissait aux ordres de Lafayette, encore tout émue des souvenirs du 20 juin et de la tentative infructueuse de son chef pour venger et sauver le roi. Forte d'à peu près vingt-huit mille hommes, cette armée occupait une assez bonne position entre Sedan et Mouson. C'est dans son quartier-général, qui touchait à la première de ces villes, que Lafayette avait appris l'insurrection du 10 août. Il comptait sur son état-major, sur l'affection des soldats, sur leur serment d'obéissance à la constitution de 1791, qui pourtant n'était pas sacrée pour eux comme pour lui; il espérait rallier soixante-quinze départemens, dont les conseils généraux avaient adhéré à sa lettre du 16 juin; il osa lever l'étendard contre la législation, par une première proclamation, en date du 15. Bientôt instruit de l'envoi de trois commissaires par cette assemblée, il se hâta d'appeler à lui la municipalité de Sedan; dans leur réunion on décida que les trois envoyés du Corps législatif seraient arrêtés. Une délibération de la Commune, délibération motivée sur

le défaut de liberté de l'Assemblée nationale consacra cette résolution; en conséquence, et aussitôt après leur arrivée, les commissaires furent conduits à l'hôtel-de-ville, où le maire Desrousseaux les interrogea et leur dit : « Je vous demande, messieurs, si, lorsque l'assemblée a rendu le décret dont vous êtes porteurs, elle était parfaitement libre? » Kersaint répondit que Paris était armé, et que l'assemblée siégait au sein d'un orage menaçant pour ellemême. Alors le maire reprit : « Vous n'êtes point les députés du Corps législatif, vous êtes les députés d'un parti qui vous tient captifs, et force l'assemblée à voter la destruction des lois que nous avons tous jurées. Le quartiergénéral est hors la ville; ainsi nous ne sommes pas forcés par Lafayette; mais depuis votre entrée dans cette commune, vous cherchez à soulever le peuple... Nous devons vous considérer comme des otages qui nous répondront de la sûreté de nos députés. » Après cette allocution, le maire prit les voix du conseil général et de la municipalité ; l'unanimité décida de faire conduire les commissaires au château de Sedan, et de requérir le général de leur donner une garde. Les commissaires cherchèrent à gagner Lafayette; ils lui firent demander une conférence qu'il refusa; c'était la première résistance armée et un peu sérieuse qu'éprouvait la représentation nationale. Néanmoins, on s'étonne, et l'on a droit de s'étonner du manque d'audace des trois députés dans cette circonstance. Comment le courageux Kersaint, comment surtout le fameux maire d'Arles, qui avait joué un si grand rôle dans le midi, cet Antonelle, que Marseille nous avait envoyé comme un second Mirabeau, ne surent-ils pas imposer à une municipalité rebelle et soutenir avec plus de fierté l'honneur de la représentation nationale outragée dans leurs personnes?

Fort de leur faiblesse, abusé par des illusions, Lafayette essaya réellement de soulever son armée en faveur de Louis XVI et contre la journée du 10 août. La proclama

III.

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