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nateur, son opiniâtreté dans la discussion, lui faisaient beaucoup d'ennemis. Un grand fonds de droiture, une probité sévère, l'ardent amour du bien, une ame forte, et le sentiment exalté de la liberté, voilà ses titres d'honneur; mais républicain de principes et d'enthousiasme, devait-il devenir le ministre d'un roi, et ne s'exposait-il pas à des combats pénibles entre sa conscience et ses penchans politiques? Pour sa gloire et pour son malheur, peut-être, il avait une femme que le nature avait comblée des dons les plus précieux. Sans être régulièrement belle, madame Roland avait son genre de beauté, une taille élégante, des mouvemens faciles et naturels, une figure douce et naïve, le sourire de la bienveillance, un air de candeur et de sérénité; ses grands yeux noirs, pleins de vivacité, couronnés de sourcils bruns comme ses cheveux, réfléchissaient par leur mobile expression tout ce qui se passait dans son cœur. Douée d'un caractère d'homme, tempéré par des grâces de femme; d'un esprit brillant et prompt qui s'appliquait à tout, d'une voix sonore et flexible, d'un agrément infini dans la conversation, d'une éloquence qui venait de l'ame; élève de Plutarque, de saint Augustin et de Rousseau; pénétrée d'un enthousiasme profond pour la liberté, elle subjuguait, en le respectant, un mari qu'elle soutenait par ses inspirations ; elle dominait ses amis de la Gironde par un ascendant irrésistible; c'était une espèce d'Aspasie, chaste, au milieu d'une élite de nouveaux Athéniens, parmi lesquels il manquait un Périclès.

Avec de l'union et de l'harmonie dans les volontés et dans les efforts, le nouveau ministère pouvait espérer de suffire à sa tâche et de faire marcher le gouvernement, pourvu que le prince fût résolu à la bonne foi, et que la cour ne vînt pas le détourner de la seule route de salut ouverte devant lui. A cet égard, laissons parler Bertrand de Molleville :

«En quittant le ministère, dit-il, j'exprimai mes regrets au roi de ne pouvoir plus lui rendre mes devoirs avec la même assiduité sans donner matière à des soupçons dangereux pour sa majesté. Je proposai en conséquence de me borner à venir tous les samedis à son heure; cette mesure me parut nécessaire, parce que si on ne m'y avait pas vu du tout, on aurait conclu que nous avions des entrevues secrètes.

« Le roi approuva cet expédient, et me chargea en même temps de surveiller une opération qui avait été primitivement imaginée et mise en train par M. A. Lameth. Elle avait été dirigée par Delessart, et paraissait plus nécessaire que jamais dans les présentes circonstances; elle avait pour objet de connaître très exactement les dispositions de l'esprit public au moyen de quelques personnages qu'on nommait des observateurs et qui s'occupaient constamment de cette enquête.

« Ils étaient au nombre de trente-cinq; quelques uns suivaient les séances de l'Assemblée nationale, d'autres fréquentaient le club des Jacobins et celui des Cordeliers. « Leur mission était d'appuyer par leurs applaudissemens toutes les motions constitutionnelles ou royalistes, ou de huer ou même d'insulter ceux qui proposaient des mesures contraires. » Danton recevait aussi à cette époque cent mille écus du ministère pour présenter certaines mesures aux clubs dont sa terrible éloquence l'avait fait l'idole. On avait aussi tenté ce moyen de séduction auprès de Brissot, de Guadet, de Vergniaud, de Fauchet et de plusieurs autres. Bertrand avoue naïvement que Delessart, Chambonnas et lui-même, fidèles au système suivi par Montmorin, employaient toutes leurs ressources et l'argent de l'état à corrompre l'Assemblée nationale et à semer l'agitation dans le peuple. Payer à prix d'or des traîtres pour vendre la liberté, ou des troubles pour la compromettre et la perdre, était la politique des hommes investis de la confiance intime de Louis XVI.

Un événement imprévu, la mort de Léopold II, vint augmenter la confiance de la cour dans le succès de ses pratiques contre le régime constitutionnel. Elle espéra que François Ier montrerait plus de résolution que Léopold n'en avait montré, parviendrait à intimider les patriotes français, et ferait reculer la révolution. La disette qui régnait encore par une suite naturelle de l'incertitude de l'administration et des divisions politiques; les troubles répandus en France, et sur lesquels Vaublanc avait fait à l'Assemblée nationale un rapport qui montrait le danger sans présenter des remèdes applicables aux circonstances, accroissaient les illusions de la cour, qui, d'accord avec la pensée secrète de la reine, conspirait pour le retour du pouvoir absolu. Au reste, tous les partis tendaient au même but, celui d'agiter le peuple; les uns espéraient que la misère et le désespoir le forceraient à rentrer dans le devoir; les autres, qu'au milieu de ses fréquens soulèvemens et de quelque éruption terrible, il finirait par détruire tout ce qui restait de l'ancien régime. Dans les efforts simultanés de cette politique, la cour était deux fois coupable, d'abord, parce qu'elle fournissait des prétextes et des motifs à l'irritation générale, ensuite parce qu'elle ajoutait à un tort si grave le crime d'appeler les étrangers; mais, en la blâmant avec une inflexible sévérité, nous ne saurions épargner les reproches les plus graves à quelques hommes du peuple et principalement aux écrivains périodiques. Sans doute, ils remplissaient un devoir en prémunissant la nation contre les tentatives et les manœuvres de ses ennemis conjurés; et certes on ne saurait nier les immenses obligations que la révolution eut au courage et aux publications de la presse; mais quel abus ne fit-elle pas de la plus précieuse de nos libertés? quel langage ceux qui prétendaient être les interprètes de la France prêtèrent à une cause sacrée! quel oubli de toute retenue! quel torrent d'injures,

quelles ignobles dénominations prodiguées aux ministres, au côté droit de l'assemblée, au roi, à Marie-Antoinette, femme, mère et reine! quelles odieuses déclamations contre des citoyens qui avaient rendu d'éminens services, contre Thouret, Duport, les Lameth, contre Barnave, contre Bailly et Lafayette eux-mêmes! Parce que les organes de la contre - révolution, parce que des hommes payés par la cour, pour cet odieux et vil métier, avaient pris à tâche de diffamer d'une manière atroce tous les défenseurs des intérêts populaires, fallaitil se traîner sur les traces d'un parti qui se vengeait ainsi de son impuissance et de ses défaites ? Fallait-il déshonorer la révolution par le langage insultant et grossier des passions sans frein? La liberté est la plus noble chose qui soit sur la terre, une espèce de religion; elle doit toujours parler le langage de la vérité, de la raison et de la pudeur. On ne sait pas combien on retarde les progrès du peuple dans l'éducation politique, en lui donnant l'exemple des plus odieuses diffamations. Aveuglé par la passion du moment, on ne voit pas surtout la responsabilité terrible que l'on s'impose, les remords déchirans que l'on se prépare en habituant ce même peuple, non seulement à tout flétrir, à tout déshonorer, mais encore à embrasser aveuglément, à répandre sans scrupule, la calomnie qui donne si souvent la mort dans les révolutions, soit en exaltant tout à coup la fureur de la multitude dans un jour d'insurrection, soit en déposant dans les cœurs les levains de cette vengeance inexorable qui fait monter les Bailly sur un échafaud.

Pendant que le roi comptait sur l'intervention étrangère, que le peuple, éveillé par le sentiment des dangers de la patrie et par la voix de ses défenseurs, menaçait la cour, l'assemblée, impatiente, attendait la réponse de l'empereur d'Autriche. Instruite par les rapports des diverses municipalités de la conduite du clergé, qui soufflait la guerre

civile, elle ne voulut plus rien ménager avec un corps tout à fait hostile. Le 6 avril, elle supprima toutes les congrégations d'hommes et de femmes, et détruisit ainsi une institution qu'un esprit mal entendu de religion avait beaucoup trop multipliée, au risque de faire de la France un désert comme l'Espagne. Dans la discussion relative à ce sujet, Jean de Bry, l'évêque Torné, d'autres encore se dévouèrent au ressentiment général du clergé, en embrassant les principes de la philosophie et de la raison, qui avaient mûri le siècle pour toutes les réformes utiles au corps social, et conformes au progrès des lumières. Français de Nantes, quoique du parti modéré, mais élève de l'école de Voltaire, se déclara assez hautement contre le catholicisme, dans un discours plein de hardiesse et d'originalité.

La guerre approche, l'Europe va se mêler à notre grande crise sociale, il est donc convenable de faire connaître les dispositions des puissances étrangères à notre égard. Louis XIII, Louis XIV et même Louis XV, avaient ajouté, à l'ancienne France, le Roussillon, la Bresse, le pays de Gex, la Franche-Comté, la Flandre, la Lorraine et l'Alsace. Les princes que ces monarques avaient dépossédés se sentaient merveilleusement disposés à nous reprendre nos conquêtes. Excités par un si puissant intérêt, et encore frappés de l'exemple de la Pologne, où des guerres intestines suscitées par une astucieuse politique avaient préparé les voies au sanglant partage de l'empire des Jagellons, ils s'apprêtaient de même à se jeter sur nous comme sur une proie facile à dévorer, après nous avoir affaiblis à l'aide de divisions habilement fomentées. Voyons maintenant les forces respectives des états qui allaient entrer en lice.

L'armée française, composée de 394 bataillons et de 206 escadrons, montait à 160 mille hommes d'infanterie, et 55 mille de cavalerie. L'infanterie était belle, mais en proie à l'indiscipline; la cavalerie admirablement montée,

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