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patrie, faite presque au même moment jusque dans les plus faibles communes, est une des plus belles époques de notre histoire, non seulement à cause de l'enthousiasme des jeunes volontaires qui accouraient pour nous défendre, mais encore parce que les généreux sermens prononcés alors ont été accomplis sous le drapeau de la liberté.

La cour n'était pas digne de prendre part à la belliqueuse allégresse, au dévouement du peuple français; elle gardait le silence du deuil et de l'effroi au milieu. du mouvement général, et ne laisait percer que sa joie de la suspension de Pétion; mais plus elle attachait d'importance à ce triomphe, plus les Girondins s'appliquaient à presser la réintégration du maire de Paris. Le 13, Brissot et Muraire, amis de Pétion et de Manuel, prirent la parole au nom de la commission chargée de l'examen de la légalité de la suspension des magistrats du peuple. Sur leurs conclusions révolutionnaires, l'assemblée cassa l'arrêt du directoire du département. Pétion, accompagné de Manuel, parut à la barre, et se faisant accusateur, d'accusé qu'il était auparavant, confondit dans les mêmes reproches le département, Louis XVI et son conseil. Réintégré dans ses fonctions, le maire se rendit à l'hôtel-de-ville, où il fut accueilli avec transport par les cris mille fois répétés de vive Pétion! La façade et l'intérieur des salles de l'hôtel étaient couverts de légendes en l'honneur du magistrat qui était alors un tribun. Les immenses acclamations du peuple firent retentir toute la place quand l'idole du moment parut à une des fenêtres avec sa femme et quelques uns de ses amis. Ce triomphe était une insulte ou une attaque à la royauté ; mais elle avait à se reprocher une bien haute imprudence: il y a dans les révolutions des instans où l'homme qu'elles adoptent est inviolable: malheur à ceux qui osent l'attaquer!

On touchait à la veille du 14 juillet, qui ramenait le

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troisième anniversaire de la conquête de la liberté. Le roi et la reine devaient paraître à la cérémonie. Marie-Antoinette, effrayée des dispositions du peuple, ne doutait pas que le dernier jour de son mari ne fût venu; on conseilla à cette malheureuse princesse, dont l'esprit était préoccupé par le souvenir des événemens du 20 juin, de faire porter au roi un plastron qui devait le garantir d'un premier coup de poignard. Louis voulut bien revêtir cette sorte de défense pour le jour de la fédération; mais, en cédant aux prières de sa femme, il dit tout bas à madame Campan «C'est pour satisfaire la mère de mes enfans que je consens à cette importunité; ils ne m'assassineront pas, leur plan est changé; ils me feront mourir autrement. » Ces paroles révèlent l'intérieur de Louis XVI à cette époque. Depuis quelque temps, il lisait et relisait sans cesse l'histoire tragique de Charles Ier, et plus il considérait l'effroyable catastrophe du roi d'Angleterre, plus son esprit faible et superstitieux se sentait assiégé de terreurs : chaque jour, le péril grandissait à ses yeux comme un fantôme, effroi de l'imagination, et cependant il restait immobile devant cette apparition, comme un être fasciné par la présence du monstre qui doit le dévorer. Ces pressentimens respirent encore tout entiers dans la conversation suivante. Le 21 juin, après les scènes de la veille, plus tumultueuses encore que menaçantes, Bertrand de Molleville le félicitait d'être sain et sauf. Louis répondit à ces expressions d'intérêt d'un air froid et indifférent : << Toutes mes inquiétudes ont été pour la reine et pour ma sœur; car, pour moi!.... Mais il me semble, reprit Bertrand, que c'est principalement contre votre majesté que cette insurrection était dirigée. Je le sais bien; j'ai bien vu qu'ils voulaient m'assassiner, et je ne sais pas comment ils ne l'ont pas fait ; mais je ne leur échapperai pas un autre jour. Ainsi, je ne suis pas plus avancé : il est assez égal d'être assassiné deux mois plus tôt que plus

tard. - Mon Dieu, sire, votre majesté peut-elle donc croire si fermement qu'elle doit être assassinée? — Oui, j'en suis sûr ; je m'y attends depuis long-temps, et j'ai pris mon parti. Est-ce que vous croyez que je crains la mort ?

Non certainement; mais je voudrais voir votre majesté moins disposée à l'attendre et plus prête à adopter des mesures vigoureuses, qui sont aujourd'hui les seules dont le roi puisse attendre son salut. Je le crois bien; mais il y aurait encore beaucoup de chances contre, et je ne suis pas heureux. Je ne serais pas embarrassé, si je n'avais pas ma famille avec moi. On verrait bien que je ne suis pas aussi faible qu'on le croit; mais que deviendraient ma femme et mes enfans, si je ne réussissais pas? — Mais votre majesté pense-t-elle que si elle était assassinée, sa famille serait plus en sûreté? Oui, je le crois, je l'espère, au moins; et, s'il en arrivait autrement, je n'aurais pas le reproche d'en être la cause. D'ailleurs, que pourrais-je faire? Je crois que votre majesté pourrait sortir de Paris plus aisément aujourd'hui que jamais, parce que la journée d'hier n'a que trop prouvé que ses jours ne sont pas en sûreté dans la capitale. Oh! je ne veux pas fuir une seconde fois, je m'en suis trop mal trouvé. Je crois aussi que votre majesté ne doit pas y penser, au moins dans ce moment-ci; mais il me semble que les circonstances actuelles et l'indignation générale que la journée d'hier paraît avoir excitée, offrent au roi l'occasion la plus favorable qui puisse se présenter pour sortir de Paris publiquement et sans obstacle, non seulement avec le consentement de la grande majorité des citoyens, mais avec leur approbation. Je demande à votre majesté la permission de réfléchir sur cette mesure et de lui faire part de mes idées sur le mode et les moyens d'exécution. A la bonne heure; mais c'est plus difficile que vous ne croyez. >> Rien n'était arrêté dans l'esprit du roi; il n'avait point de ces résolutions de fer qui saisissent quelquefois des

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hommes médiocres jetés au milieu des circonstances les plus critiques. Sa fermeté ne se réveillait que par saccades; il avait des accès d'énergie que les courtisans appelaient des coups de boutoir; puis, un instant après, il retombait dans l'inertie et l'incertitude d'un homme sans pensée, sans vouloir, sans action. Alors Marie-Antoinette disait : «< Ils feront le procès au roi; mais quant à moi, je suis étrangère, ils m'assassineront. Que deviendront mes enfans? » Dès qu'elle montre un cœur d'épouse et de mère, on éprouve une vive sympathie pour cette malheureuse princesse, et l'on oublie les torts de la femme et les fautes bien plus graves de la reine. Heureux le pays, heureuse Marie-Antoinette, si quelque événement inattendu avait pu l'enlever du milieu de nous, et la préserver de la catastrophe à laquelle elle court à si grands pas!

Le roi, qui redoutait des troubles pour la journée du 14 juillet, avait cherché à détourner l'orage en écrivant à l'Assemblée nationale une lettre dans laquelle on lit ces passages: « Nous touchons à cette époque fameuse où les Français vont, dans toutes les parties de l'empire, célébrer la mémoire du pacte d'alliance contracté sur l'autel de la patrie, le 14 juillet 1789. J'ai vu qu'il n'y avait pas de garantie plus sûre que la réunion des deux pouvoirs, renouvelant le même vou, celui de vivre libres ou de mourir........... Un grand nombre de Français accourent de tous les départemens; ils pensent doubler leurs forces, si, près de partir pour nos frontières, ils sont admis à la fédération avec leurs frères de la ville de Paris. Je vous exprime le désir d'aller au milieu de vous, recevoir leurs sermens, et prouver aux malveillans qui cherchent à perdre la patrie en nous divisant, que nous n'avons qu'un même esprit, celui de la constitution, et que c'est principalement par la paix intérieure que nous voulons préparer et achever nos victoires. » Cette lettre fut lue et applaudie à plusieurs reprises; elle disposa les esprits au

rapprochement qui eut lieu dans la séance du 7 juillet, où le roi vint et confirma ce qu'il avait dit. Les éditeurs des Mémoires de Weber ajoutent : « Quoique, entre le 7 et le 14, les impressions faites par ces deux démarches fussent effacées en partie, il n'est pas douteux qu'elles n'aient contribué à la tranquillité du 14, qui aurait pu devenir très orageux..... Sans la lettre de Louis XVI, la fédération eût été terrible, et sans la suspension de Pétion, entièrement calme. >>

Il y avait effectivement dans les cœurs des dispositions bien différentes de celles qui avaient éclaté avec un si vif enthousiasme à la fédération de 1790, à cette fête de la concorde et de l'espérance, où la liberté apparut au peuple français tout entier comme une envoyée céleste. La défiance était à son comble, plusieurs journaux dressaient ouvertement l'acte d'accusation de Lafayette, du directoire du département, des ministres et du roi. Brissot, dans la séance du 9, avait tracé un tableau étincelant des dangers publics, des trahisons du pouvoir exécutif; il avait passé toutes les bornes envers Louis XVI, et même agité la question de sa mise en jugement. D'autres dispositions très hostiles s'étaient manifestées dans l'assemblée contre ce prince; on avait entendu des députés lui reprocher d'avoir formé aux Tuileries un tribunal de sang pour faire périr, avec des formes judiciaires, les patriotes du 20 juin. Isnard l'accusait de provoquer la guerre civile; Couthon s'opposait à ce qu'on assignât une place particulière au roi et à sa famille le jour de la fédération, parce qu'il aurait l'air d'être le chef où le président de la cérémonie. Le 13, Camille Desmoulins dénonce aux Jacobins un grand complot pour lequel Luckner et Lafayette étaient venus à Paris. Le lendemain, un massacre des patriotes et probablement un enlèvement du roi devaient avoir lieu. A l'appui de ces assertions, il citait une lettre confidentielle de la reine qui annonçait son départ comme très prochain ;

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