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Et la paix, et la gloire, et peut-être encor plus.
Oui, je crains tout pour vous; vieilli sur ces rivages,
J'en connois les écueils, j'en ai vu les naufrages.
La plus foible étincelle embrase ce climat,

Et rien dans ces moments n'est sacré que l'état.
Qui vous en diroit moins dans ce péril extrême
Trahiroit la patrie, et l'honneur, et vous-même.

ÉDOUARD.

Votre zele m'est cher; mais un injuste effroi
Vous fait porter trop loin vos alarmes pour moi.
Élevé dans la paix, nourri dans des maximes
Dont le préjugé seul fait des droits légitimes,
Vous

pensez qu'y souscrire et régner foiblement
Est l'unique chemin pour régner sûrement;
Mais des maîtres du monde et des ames guerrieres
Le ciel étend plus loin l'espoir et les lumieres;
Et, couronnant nos faits, il apprend aux états
Qu'un vainqueur fait les lois, et qu'il n'en reçoit pas.
Par quel ordre en effet faut-il que je me lie
Aux exemples des temps qui précédent ma vie;
Qu'esclave du passé, souverain sans pouvoir,
Dans les erreurs des morts je lise mon devoir,

Et que

d'un pas tremblant je choisisse mes guides
Dans ce peuple oublié de monarques timides,
Qu'on a vus, l'un de l'autre imitateurs bornés,
Obéir sur le trône, esclaves couronnés?

Vous savez mes desseins, c'est à vous d'y répondre.
On m'apprend qu'Eugénie est prête à quitter Londre:

Qu'elle reste en ces lieux. Vous-même en cet instant
Allez lui déclarer que le trône l'attend:

Fiez-vous à mon sort, à quelque renommée,
Ou, s'il le faut enfin, au pouvoir d'une armée,
De la force des lois que ma voix prescrira,
Et du soin d'y ranger qui les méconnoîtra.

VORCESTRE.

Vous voulez accabler un peuple magnanime;
Vous voyez devant vous la premiere victime:
Oui, de mes vrais devoirs instruit et convaincu,
S'il faut les violer, prononcez, j'ai vécu.
Je connois Eugénie, et j'ose attendre d'elle
Qu'à tous mes sentiments elle sera fidele:
Elle n'a pour aïeux que de vrais citoyens,
Des droits de la patrie inflexibles soutiens;
Et le sceptre à ses yeux sera d'un moindre lustre
Qu'un refus honorable, ou qu'un trépas illustre:
Mais si, trompant mes soins, ma fille obéissoit,
Si, changé jusque-là, son cœur se trahissoit...
Un exil éternel...

ÉDOUARD.

Arrêtez, téméraire ;

Exécutez mon ordre, ou craignez ma colere.
Quant aux soins de l'état, je saurai commander;
Et je n'ai plus ici d'avis à demander.

SCENE VII.

VORCESTRE.

Quel sinistre pouvoir, malheureuse Angleterre,
Eternise en ton sein la révolte et la guerre!
Incertain, alarmé dans cet état cruel,

Que n'ai-je tes conseils, ô mon cher Arondel!
Quel désert te renferme, ô sage incorruptible?
Faut-il que la vertu, la sagesse inflexible,

Qui t'éloigne des soins, des chaînes de la cour,
Me laissent si long-temps ignorer ton séjour!
Ciel! je me reste seul: mais ton secours propice
Vient toujours seconder qui défend la justice.
Allons sur un héros faire un dernier effort:

S'il n'est plus qu'un tyran, allons chercher la mort.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCENE PREMIERE.

EUGENIE, ISMENE.

ISMENE.

QUE craignez-vous? pourquoi regrettez-vous, madame,

De m'avoir dévoilé le secret de votre ame?
Ce penchant vertueux, ce sentiment vainqueur
Pour le plus grand des rois honore votre cœur:
La vertu n'exclut point une ardeur légitime;
Quel cœur est innocent, si l'amour est un crime?
EUGÉNIE.

Cruelle! par quel art viens-tu de m'arracher
Un secret qu'à jamais je prétendois cacher?
D'un cœur désespéré respectant la foiblesse,
Ah! tu devois l'aider à taire sa tendresse.
Mais, à ce nom trop cher que tu m'as rappelé,
Puisqu'enfin malgré moi mes larmes ont parlé,
Remplis du moins l'espoir, l'espoir seul qui me reste,
Jamais ne m'entretiens de ce secret funeste;

Que moi-même à tes yeux je doute désormais
Si tu le sais encor, si tu le sus jamais.

ISMENE.

On soulage son cœur en confiant sa peine;
Pourquoi m'avoir caché...?

EUGÉNIE.

Moi-même, chere Ismene,

Victime du devoir, de l'amour, du malheur,
Osois-je me connoître et lire dans mon cœur?
De lui-même jamais ce cœur fut-il le maître?
Jointe à Salisbury sans presque le connoître,
L'amour n'éclaira point un hymen malheureux,
Dont le sort sans mon choix avoit formé les nœuds.
J'estimai d'un époux la tendre complaisance;
Mais il n'obtint de moi que la reconnoissance;
Et, malgré mes efforts, mon cœur indépendant
Réservoit pour un autre un plus doux sentiment.
De la cour à jamais que ne fus-je exilée!
Par mon nouveau destin en ces lieux appelée,
Je vis... Fiere vertu, pardonne ce soupir;
J'en adore à la fois et crains le souvenir.
Dans ce jeune héros je sentis plus qu'un maître:
Mon ame à son aspect reçut un nouvel être ;
Je crus que jusqu'alors ne l'ayant point connu,
Ne l'ayant point aimé, je n'avois point vécu.
Que te dirai-je enfin? heureuse et désolée,
Maîtresse à peine encor de mon ame accablée,
Trouvant le désespoir dans mes plus doux transports,

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