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Je sais

que ce royaume, affoibli
par ses pertes,
Compte peu de vengeurs dans ses plaines désertes;
Tout retrace à leurs yeux vos exploits, leur devoir,
L'image de leur joug et de votre pouvoir:
Mais, armant tôt ou tard ses haines intestines,
L'Écosse peut encor sortir de ses ruines,
Surprendre ses vainqueurs, rétablir son destin;
Un bras inattendu porte un coup plus certain.
Jamais dans ces climats on n'est tranquille esclave,
Et pour la liberté le plus timide est brave.

Tous leurs chefs ont péri; mais en de tels complots
Le premier téméraire est un chef, un héros.
Sous l'astre dominant de cette destinée
Qui tient à vos drapeaux la victoire enchaînée
On craint peu, je le sais, leurs efforts superflus;
Leur révolte est pour vous un triomphe de plus:
Mais le plus beau triomphe est un honneur funeste;
La victoire toujours fut un fléau céleste;

Et tous les rois au ciel qui les laisse régner
Sont comptables du sang qu'ils peuvent épargner.
Remplissez donc, seigneur, l'espoir de l'Angleterre.
Vos essais éclatants ont appris à la terre

Que vous pouviez prétendre au nom de conquérant:
Passez le héros même; un roi juste est plus grand.
Hâtez-vous d'obtenir ce respectable titre:

Parlez, donnez la paix dont vous êtes l'arbitre;
Et en resserrer les durables liens,
Que vos ambassadeurs aux champs norvégiens

pour

Envoyés dès demain demandent la princesse.
C'est l'espoir de l'état, et c'est votre promesse.
ÉDOUARD.

Quelle image à mon cœur venez-vous retracer?
Quel hymen! Non, Vorcestre, il n'y faut plus penser.

VORCESTRE.

Seigneur, que dites-vous? quelle triste nouvelle!...
Mais non, à la vertu votre grand cœur fidele,
Se respectant lui-même en ses engagements,
Ne démentira point ses premiers sentiments.
Votre parole auguste au trône appelle Alzonde;
La parole des rois est l'oracle du monde.
D'ailleurs, vous le savez, la patrie a parlé;
Confirmé par la voix de l'état assemblé,
Votre choix par ce frein devient inviolable:
D'affreux dangers suivroient un changement semblable.
Ce peuple en sa fureur ne connoît plus ses rois
Dès qu'ils ont méconnu l'autorité des lois :

Le trône est en ces lieux au bord d'un précipice,
Il tombe quand pour base il n'a plus la justice;
Et si mon zele ardent pour votre sûreté
M'autorise à parler avec sincérité,

Contemplez les malheurs des jours de nos ancêtres;
Leurs vertus sont nos lois, leurs malheurs sont nos maîtres.

Je dis plus; au-dessus des timides détours,
J'ose vous rappeler l'exemple de nos jours:
Nous avons vu, seigneur, tomber ce diadême;
Du trône descendu, votre pere lui-même

Avant ses jours a vu son regne terminé:

Il pouvoit vivre heureux et mourir couronné,
S'il n'eût point oublié qu'ici pour premiers maîtres
Marchent après le ciel les droits de nos ancêtres;
Qu'en ce même palais l'altiere liberté
Avoit déja brisé le trône ensanglanté;
Qu'ici le despotisme est une tyrannie,
Et que tout est vertu pour venger la patrie.
ÉDOUARD.

Un trône environné des héros que j'ai faits
N'a plus à redouter de semblables forfaits;
Et, si jusques à moi la révolte s'avance,

Tant de bras triomphants sont prêts pour ma vengeance.
Quelle est donc la patrie? et le brave soldat,

Le vainqueur, le héros, ne sont-ils point l'état?
Quoi! d'obscurs sénateurs, que l'orgueil seul inspire,
Sous le titre imposant de zele pour l'empire,
Croiront-ils à leur gré du sein de leur repos
Permettre ou retarder la course des héros?
Vainement on m'annonce un avenir funeste;
Fondé sur ces appuis, je crains peu tout le reste.
Héritier de leur nom, si j'imite vos rois,

Je n'imite que ceux qui vous firent des lois;

Ce n'est que des vainqueurs que je reçois l'exemple;
Et, chargé d'un destin que l'univers contemple,
Je n'examine point ce que doit applaudir
Un peuple audacieux, mais fait pour obéir.

Tout changement d'ailleurs plaît au peuple volage;

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C'est sur l'évènement qu'il regle son suffrage;
A quelque extrémité qu'on se soit exposé,
Qui parvient au succès n'a jamais trop osé.

VORCESTRE.

Puissiez-vous l'ignorer! mais, j'oserai le dire,
La force assure mal le destin d'un empire.
Le peuple, aux lois d'un seul asservissant sa foi,
Crut se donner un pere en se donnant un roi;
Il n'a point prétendu par d'indignes entraves
Dégrader la nature et faire des esclaves.

On vous chérit, seigneur, c'est le sceau de vos droits: Le bonheur des sujets est le titre des rois.

ÉDOUARD.

Eh bien! vous le pouvez, procurez à l'empire
Ce repos, ce bonheur où l'Angleterre aspire.
Non moins zélé sujet que sage citoyen,
Bannissez la discorde; il en est un moyen.
On demande la paix ; je voulois la victoire;
Mais au bonheur public j'en immole la gloire,
Si, changé par vos soins, ce sénat aujourd'hui

Se prête à mes desirs, quand je fais tout pour lui:

Vous avez son estime, et vous serez son guide.

Du trône et de ma main que mon cœur seul décide: D'un douteux avenir c'est trop s'inquiéter,

L'Écosse dans les fers n'est plus à redouter.

Vous donc qu'à mon bonheur un vrai zele intéresse, Vous qui savez ma gloire, apprenez ma foiblesse : Quand le sort le plus beau semble combler mes vœux,

Couronné, triomphant, je ne suis point heureux; Et cherchant les hasards dans ma tristesse extrême, Si je fuis le repos, c'est pour me fuir moi-même.

VORCESTRE.

Quel bien manque, seigneur...?

ÉDOUARD.

Un amour généreux

Ne craint point les regards d'un mortel vertueux.
Je vous estime assez pour vous ouvrir mon ame;
Recevez le premier le secret de ma flamme:
Les graces, les vertus sont au-dessus du sang,
Et marquent la beauté que j'éleve à mon rang.
Pourras-tu sur mon choix me condamner encore
Quand tu sauras le nom de celle que j'adore?

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pere trop heureux!... Mais quoi! vous frémissez! De quel soudain effroi vos sens sont-ils glacés?

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L'orgueil n'aveugle point ceux que l'honneur éclaire,
Et je suis citoyen avant que d'être pere.

Mon sang seroit en vain par le sceptre illustré
Si moi-même à mes yeux j'étois déshonoré;
Ces titres de l'orgueil, les rangs, les diadêmes,
Idoles des humains, ne sont rien par eux-mêmes:
Ce n'est point dans des noms que réside l'honneur,
Et nos devoirs remplis font seuls notre grandeur.
Mais de vos sentiments je connois la noblesse ;
Maître de vous, seigneur, vainqueur d'une foiblesse,
Vous n'immolerez point vos premieres vertus,

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