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Mais Vorcestre paroît: laisse-nous, Amélie;
Du destin qui m'attend je vais être éclaircie.

SCENE IV.

ALZONDE, sous le nom d'Aglaé; VORCESTRE.

ALZONDE.

Vous dont le cœur sensible a comblé tous les vœux
Que porta jusqu'à vous la voix des malheureux,
Jetez les yeux, mylord, sur une infortunée
Dont vous pouvez changer la triste destinée.
Je me dois aux climats où j'ai reçu le jour.
Par vos soins honorée et libre en cette cour,
Je sais qu'à plus d'un titre elle a droit de me plaire;
Mais quels que soient les biens d'une terre étrangere,
Toujours un tendre instinct au sein de ce bonheur
Vers un séjour plus cher rappelle notre cœur:
Souffrez donc qu'écoutant la voix de la patrie
Je puisse retourner aux rives de Neustrie:
Du sort des malheureux adoucir la rigueur
C'est de l'autorité le droit le plus flatteur.

VORCESTRE.

Si par mes soins ici le ciel plus favorable
Vous a donné, madame, un asile honorable,
Unie avec ma fille, heureuse en ce palais,
De votre éloignement différez les apprêts:
A mon cœur alarmé vous êtes nécessaire;

Eugénie, immolée à sa tristesse amere,

Demande à quitter Londre, et, changeant de climats,
Veut cacher des chagrins qu'elle n'explique pas.
Depuis que son époux a terminé sa vie

Je croyois sa douleur par le temps assoupie:
Mais je vois chaque jour croître ses déplaisirs;
Je la vois dans les pleurs, je surprends des soupirs.
C'est prolonger en vain des devoirs trop pénibles;
Et de Salisbury les cendres insensibles

Ne peuvent exiger ces regrets superflus

Qui consacrent aux morts des jours qui nous sont dus. L'abandonnerez-vous quand l'amitié fidele

Doit par des nœuds plus forts vous attacher près d'elle? Pour l'arrêter ici, par zele, par pitié,

Joignez à ma douleur la voix de l'amitié.

Dans quel temps fuiriez-vous les bords de la Tamise! Connoissez les dangers d'une telle entreprise.

D'arbres et de débris voyez les flots couverts:

La discorde a troublé la sûreté des mers;

Un reste fugitif de l'Écosse asservie,

Sur ces côtes errant sans espoir, sans patrie,
Au milieu de son cours troublant votre vaisseau,
Pourroit vous entraîner dans un exil nouveau :
Attendez que la paix rendue à ces contrées
Vous ouvre sur les eaux des routes assurées.

ALZONDE.

L'amour de la patrie ignore le danger,

Et les cœurs qu'il conduit ne savent point changer.

Vous ne souffrirez point, jusqu'ici plus sensible, Que la plainte aujourd'hui vous éprouve inflexible, Qu'on perde devant vous des larmes et des vœux, Et qu'il soit des malheurs où vous êtes heureux.

VORCESTRE.

Heureux! que dites-vous? apparence trop vaine!
Le bonheur est-il fait pour le rang qui m'enchaîne?
Vous ne pénétrez point les sombres profondeurs
Des maux qui sont cachés sous l'éclat des grandeurs.
Quel accablant fardeau! tout prévoir, tout conduire,
Entouré d'envieux unis pour tout détruire,

Responsable du sort et des évènements,

Des miseres du peuple, et des brigues des grands;
Réunir seul enfin, par un triste avantage,

Tous les soins, tous les maux que l'empire partage:
Voilà le joug brillant auquel je suis lié;
Sort toujours déplorable et toujours envié!
C'est peu que les périls, l'esclavage, et la peine
Que dans tous les états le ministere entraîne:
Jugez quels nouveaux soins exigent mes devoirs,
Ministre d'un empire où regnent deux pouvoirs,
Où je dois, unissant le trône et la patrie,
Sauver la liberté, servir la monarchie,
Affermir l'un par l'autre, et former le lien
D'un peuple toujours libre, et d'un roi citoyen.
Ma fortune est un poids que chaque jour aggrave:
Maître et juge de tout, de tout on est esclave;
Et régir des mortels le destin inconstant

N'est que le triste droit d'apprendre à chaque instant
Leurs méprisables vœux, leurs peines dévorantes,
Leurs vices trop réels, leurs vertus apparentes,
Et de voir de plus près l'affreuse vérité
Du néant des grandeurs et de l'humanité.
Mais le roi vient. Allez, consolez Eugénie,
Vous verrez par mes soins votre peine adoucie.

SCENE V.

ÉDOUARD, VORCESTRE, VOLFAX,

GLASTON, GARDES.

ÉDOUARD, à Volfax.

Je souscris à vos vœux, et consens aux exploits
Qu'un peuple de héros brigue par votre voix.
Les bornes qu'à ces lieux la nature a prescrites
De mes destins guerriers ne sont pas les limites;
Bientôt sur d'autres bords on verra mes drapeaux,
Et les lois d'Albion chez des peuples nouveaux.
De mes ordres, Volfax, vous instruirez l'armée.
Que ma flotte en ces ports ne soit plus renfermée ;
Qu'arbitre des combats, souveraine des mers,
Elle enchaîne l'Europe, étonne l'univers ;

Que, terrible et tranquille au milieu des tempêtes, Londres puisse compter mes jours par ses conquêtes. (aux gardes.)

Allez. Vous, qu'on me laisse.

SCENE VI.

ÉDOUARD, VORCESTRE.

VORCESTRE.

A cet ordre, seigneur,

Je ne puis vous cacher mon trouble et ma douleur.
Lorsque le peuple anglois au sein de la victoire
Attendoit son repos d'un roi qui fit sa gloire,
Entraîné par la voix d'un conseil de soldats,
Allez-vous réveiller la fureur des combats?
Je n'ai jamais trahi mon austere franchise;
Et, si dans ces dangers elle est encor permise,
J'en dois plus que jamais employer tous les droits:
Un peuple libre et vrai vous parle par ma voix.
La guerre fut long-temps un malheur nécessaire:
L'Écosse étoit pour vous un trône héréditaire;
Les droits que votre aïeul sur elle avoit acquis
Exigeoient que par vous ce bien fût reconquis:
Vous y régnez enfin: mais pour finir la guerre
Dont ce peuple, indocile au joug de l'Angleterre,
Nous fatigue toujours, quoique toujours vaincu,
Vous savez à quels soins l'état s'est attendu;
Vous avez consenti d'unir par l'hyménée
L'héritiere d'Écosse à votre destinée,
Sûr que ce peuple altier adoptera vos lois
En voyant près de vous la fille de ses rois.

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