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Vous serez satisfaits, mânes que je révere;
Vous connoîtrez bientôt si mon sang dégénere,
Si le sang des héros a passé dans mon cœur,
Et s'il peut s'abaisser à souffrir un vainqueur.
AMÉLIE.

J'attendois cette ardeur où votre ame est livrée;
Mais comment, sans secours, d'ennemis entourée...?

ALZONDE.

Parmi ces ennemis j'ai conduit mon dessein,
Et, prête à l'achever, je puis t'instruire enfin.
Ce Volfax, que tu vois le flatteur de son maître,
Comblé de ses bienfaits, ce Volfax n'est qu'un traître:
De Vorcestre sur-tout ennemi ténébreux,

Rival de la faveur de ce ministre heureux,
Trop foible pour atteindre à ces degrés sublimes
Par l'éclat des talents, il y va par les crimes;
D'autant plus dangereux pour son roi, pour l'état,
Qu'il unit l'art d'un fourbe à l'ame d'un ingrat.
J'emprunte son secours. Je sais trop, Amélie,
Qu'un traître l'est toujours, qu'il peut vendre ma vie:
Mais son ambition me répond de sa foi;
Assuré qu'en Écosse il régnera sous moi,
Il me sert: par sa main, de ce séjour funeste,
J'écris à mes sujets, j'en rassemble le reste.
J'ai fait plus; par ses soins j'ai nourri dans ces lieux
Du parti mécontent l'esprit séditieux;

J'en dois tout espérer. Chez ce peuple intrépide
Un projet n'admet point une lenteur timide;

Ce peuple impunément n'est jamais outragé,
Il murmure aujourd'hui, demain il est vengé;
Des droits de ses aïeux jaloux dépositaire,
Éternel ennemi du pouvoir arbitraire,
Souvent juge du trône et tyran de ses rois,
Il osa... Mais on vient: c'est Volfax que je vois.

SCENE II.

ALZONDE, VOLFAX, AMÉLIE.

VOLFAX.

Trop long-temps votre fuite est ici différée,
Madame: à s'affranchir l'Écosse est préparée;
Tout conspire à vous rendre un empire usurpé;
D'autres soins vont tenir le vainqueur occupé.
Le trouble regne ici. Formé par la victoire,
Le soldat redemande Édouard et la gloire;
Le peuple veut la paix. Au nom de nos héros
Je vais porter le prince à des exploits nouveaux:
Je ne crains, que Vorcestre; ame de cet empire,

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range, il conduit tout à la paix qu'il desire. Contraire à mes conseils, s'il obtient cette paix, Je le perds par-là même, et suis sûr du succès; Son rang est un écueil que l'abyme environne: Déja par des avis parvenus jusqu'au trône Je l'ai rendu suspect, j'ai noirci ses vertus; Encore un pas enfin, nous ne le craignons plus.

Du progrès de mes soins l'Écosse est informée;
Paroissez, un instant vous y rend une armée.

ALZONDE.

D'une nouvelle ardeur enflammez Edouard,
Je vais tout employer pour hâter mon départ:
On me soupçonneroit si j'étois fugitive;
J'obtiendrai le pouvoir de quitter cette rive.
Allez, ne tardez plus, achevez vos projets;
Un plus long entretien trahiroit nos secrets.

SCENE III.

ALZONDE, AMÉLIE.

ALZONDE.

Tout est prêt, tu le vois. Une crainte nouvelle
Me détermine à fuir cet asile infidele.

On a vu, d'un des miens si j'en crois le rapport,
Arondel cette nuit arriver en ce port;
En Norvege souvent cet Arondel m'a vue ;
S'il étoit en ces lieux, j'y serois reconnue.

Le temps presse, il faut fuir: ménageons les instants;
Ce jour passé, peut-être il n'en seroit plus temps.

AMÉLIE.

Mais ne craignez-vous point d'obstacle à votre fuite?

ALZONde.

Sous le nom d'Aglaé dans ce palais conduite

On me croit Neustrienne, on ne soupçonne rien.

Appui des malheureux, Vorcestre est mon soutien ;
Il permettra sans peine, exempt de défiance,
Que je retourne enfin aux lieux de ma naissance.
Je viens pour ce départ demander son aveu,
Et je croyois déja le trouver en ce lieu;
Mais, s'il faut t'achever un récit trop fidele,
Le pourras-tu penser? quand le trône m'appelle,
Quand l'Écosse gémit, quand tout me force à fuir,
Prête à quitter ces lieux je tremble de partir.
AMÉLIE.

Qui peut vous arrêter? comment pourroit vous plaire
Ce palais décoré d'une pompe étrangere?

Tout ici vous présente un spectacle odieux :

Ce trône annonce un maître, et le vôtre en ces lieux; Ces palmes d'un vainqueur retracent la conquête ; L'oppresseur de vos droits, l'usurpateur...

ALZONDE.

Arrête:

Tu parles d'un héros l'honneur de l'univers,
Et tu peins un tyran. Dans mes affreux revers
J'accuse le destin plus que ce prince aimable,
Et mon cœur est bien loin de le trouver coupable.
Tu m'entends; j'en rougis. Vois tout mon désespoir:
Sur ces murs la vengeance a gravé mon devoir,
Je le sais; mais tel est mon destin déplorable,
Qu'à la honte, aux malheurs du revers qui m'accable,
Il devoit ajouter de coupables douleurs,

Et joindre l'amour même à mes autres fureurs.

J'arrivois en courroux, mais mon ame charmée
A l'aspect d'Édouard se sentit désarmée.

Sans doute que l'amour jusqu'au sein des malheurs
S'ouvre par nos penchants le chemin de nos cœurs :
Connoissant ma fierté, mon ardeur pour la gloire,
Il prit pour m'attendrir la voix de la victoire;
Il me dit qu'enchaînant le plus grand des guerriers,
Qui partageoit son cœur partageoit ses lauriers.
Où commande l'amour il n'est plus d'autres maîtres:
J'étouffai dans mon sein la voix de mes ancêtres;
Je ne vis qu'Édouard : captive sans ennui,

Des chaînes m'arrêtoient, mais c'étoit près de lui.
Pourquoi me rappeler la honte de mon ame,
Et toutes les erreurs où m'entraînoit ma flamme?
Un plus heureux objet a fixé tous ses vœux:
C'en est fait, ma fierté doit étouffer mes feux;
Les foibles sentiments que l'amour nous inspire
Dans les cœurs élevés n'ont qu'un moment d'empire.
Régner est mon destin, me venger est ma loi ;.
Un instant de foiblesse est un crime pour moi.
Fuyons; mais, pour troubler un bonheur que j'abhorre,
Renversons, en fuyant, l'idole qu'il adore.

Parmi tant de beautés qui parent cette cour
J'ai trop connu l'objet d'un odieux amour.
On trompe rarement les yeux d'une rivale;
Ma haine m'a nommé cette beauté fatale.

Si dans ces tristes lieux l'amour fit mes malheurs,
J'y veux laisser l'amour dans le sang, dans les pleurs.

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