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sence de la représentation nationale, le chef suprême de l'Etat est dans l'heureuse impossibilité d'abuser, on pourrait presque dire d'errer, en exerçant la plus indépen dante de ses attributions, le droit de paix et de guerre. Les sacrifices indispensables que le peuple doit s'imposer pour se mettre en état de guerre, touchant aux personnes et aux propriétés, la nation s'éclaire promptement sur la réalité de ses dangers, comme l'individu par le soin de sa propre conservation: il n'est point à craindre qu'on fasse prévaloir des conseils pusillanimes dans les assemblées publiques; chacun s'y montre jaloux de défendre les propriétés communes qui sont sous la sauvegarde des lois, et surtout la plus précieuse de toutes, l'honneur de la nation; car on profite personnellement de l'estime qu'on lui concilie au dehors, on s'enorgueillit de sa gloire. Dans ces discussions solennelles entre le gouvernement et la représentation, l'un et l'autre n'ont en vue que le salut et le bien de la patrie; l'opposition, qui n'est que la diversité

d'opinions sur les moyens d'atteindre le but, exerce une utile censure; les ministres qui ne sauraient tromper sa vigilance n'en peuvent triompher que par la sagesse de leurs résolutions. Ainsi, dans le gouvernement re présentatif, l'intérêt privé n'agit que faiblement, il influe rarement sur la solution des grandes questions politiques, parce qu'il ne peut, comme dans le gouvernement absolu, s'interposer sourdement, et trahir la confiance mutuelle et nécessaire du peuple et du souverain./

Telle fut l'issue des débats sur le traité d'Amiens, dans lesquels lord Grenville et ses amis soutinrent, contre M. Pitt, le système de guerre obstinée contre la France, que celui-ci avait cru nécessaire d'abandonner en quittant l'administration. Lord Hawkesbury qui lui succéda, et que M. Pitt dirigeait, se trouva placé entre deux oppositions: celle de Grenville et de Wyndham, qui ne voyait de salut pour l'Angleterre et pour l'Europe, que dans le rétablissement de l'ancien ordre de choses par la force des armes ;

et celle de Fox et de Sheridan, qui ayant constamment improuvé la fureur de ces croisades politiques, en déplorait le résultat. Jamais les droits des nations et les intérêts du pays ne furent discutés avec autant de profondeur et d'énergie. Cechoc violent fit triompher la modération du nouveau ministère qui, secondant le vœu de la nation, accomplit l'œuvre de la paix (*).

Pendant qu'on entendait proclamer au parlement d'Angleterre le prétendu triomphe des principes révolutionnaires, par la reconnaissance solennelle de la République, on voyait le premier Consul faire tous ses efforts pour achever de les détruire. Plus il avait alarmé les puissances en saisissant avidement tous les avantages auxquels la cessation des hostilités lui avait permis d'atteindre, et plus il cherchait à désarmer leur méfiance de ses vues ambitieuses. Il ne pouvait mieux assoupir les soupçons, ni donner de meilleurs gages de ses dispositions

(*) Voyez aux Pièces justificatives, le texte du traité,

pacifiques, qu'en s'occupant uniquement de l'administration et de la paix intérieure. Il lui restait beaucoup à faire pour la consolider; sa puissance et l'ascendant de son génie avaient suffi pour régler l'État, et assurer l'obéissance aux lois qui n'étaient déjà plus que l'expression de ses volontés; mais n'ayant pas divisé les pouvoirs, et ne souffrant pas que la nation fût même virtuellement représentée, il était lui seul tout l'État; il luttait seul contre toutes les oppositions, négligeait la force d'opinion qui naît de la liberté et de la raison publique, et n'appelait à son aide que les prestiges de l'imagination. Cependant il avait senti l'insuffisance de ses mobiles effets, et le besoin d'une base fixe et d'un garant de la moralité du peuple : ce grand vide, dans les institutions causé par les désordres de la révolution, ne pouvait être rempli que par le rétablissement du culte catholique." Relever les autels abattus par l'impiété au nom de la République, c'était sanctionner son nouveau gouvernement, et se rattacher à la grande famille de la chrétienté; faire

cesser les discordes religieuses, c'était ôter aux factions leur plus dangereux aliment; aussi le premier Consul avait-il de longue main mis toute son habileté à mûrir cette importante affaire. Attentif à capter la bienveillance du souverain pontife, aussitôt que les affaires de Naples, et particulièrement le séjour des troupes françaises dans l'état de l'Église lui en fournirent l'occasion, il trouva la cour de Rome disposée à négocier une convention.

Heureusement pour l'humanité, heureusement pour la religion, un prince éclairé, dégagé des préjugés ultramontains, plein de charité chrétienne, type vivant de toutes les vertus évangéliques, et dont le noble caractère ne fléchit pas dans l'adversité, Pie VII occupait le saint-siége. Il était secondé par l'un des plus habiles ministres qui aient paru dans ces derniers temps sur la scène politique; le cardinal Gonzalvi, chargé de cette importante et délicate mission, ne s'en laissa pas détourner par les sophismes des théologiens, bien moins encore par les intrigues que l'esprit

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