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française de l'an 8, ont sans doute senti la nécessité d'adopter un nouveau système pour des colonies éloignées, et de consulter, dans la création des lois qui doivent les régir, les moeurs, les usages, les habitudes, les besoins des Français qui les hab tent, même les circonstances dans lesquelles elles se

trouvent.

Serait-il facile, en effet, de peser toutes ces considérations, d'après des rapports souvent infidèles, d'apprécier à une aussi grande distance les changemens opérés dans l'esprit d'un peuple; de connaître ses maux, et d'y porter des remèdes à propos et efficaces, surtout pendant la guerre.

L'article XCI de la constitution française aurait pu seul autoriser les habitans de la colonie de SaintDomingue, à présenter au gouvernement français les lois qui doivent les régir, si l'expérience du passé ne leur en avait fait un devoir impérieux.

Et quel moment plus propre à choisir pour cet important ouvrage, que celui où le chaos débrouillé, l'ancien édifice déblayé de ses ruines, les préjugés guériset les passions calmées, semblaient avoir marqué l'instant propice où il fallait en poser les fondemens !

Il est des circonstances qui ne se présentent qu'une seule fois pendant une longue série de siècles, pour fixer la destinée des peuples ; si on les laisse échapper, elles ne se retrouvent plus.

A ces causes fondamentales qui faisaient sentir la nécessité d'une constitution pour l'île de Saint-Domingue, combinée d'après les intérêts de ses habitans, intimement liés à ceux de la métropole, se joignaient des motifs également pressans.

Les justes réclamations des départemens de la colonie, pour rapprocher les tribunaux des justiciables.

La nécessité d'introduire de nouveaux cultivateurs pour l'accroissement des cultures, la revivification du commerce, et le rétablissement des manufactures.

L'utilité de cimenter l'union de la ci-devant partie espagnole avec l'ancienne partie française.

L'impossibilité, pour la métropole, de secouriret d'alimenter cette immense colonie pendant la guerre avec les puissances maritimes.

Le besoin d'établir un régime simple et uniforme dans l'administration des finances de la colonie, et d'en réformer les abus.

L'obligation de tranquilliser les propriétaires absens sur leurs propriétés.

Et enfin, l'importance de consolider et de rendre stable la paix intérieure ; d'augmenter la prospérité dont commence à jouir la colonie, après les orages qui l'ont agitée; de faire connaître à chacun ses droits et ses devoirs, et d'éteindre toutes les méfiances, en

présentant un code de lois, auquel viendront se lier toutes les affections, se réunir tous les intérêts.

Tels ont été les motifs qui ont décidé le général en chef à convoquer une assemblée législative, chargée de proposer au Gouvernement français, la constitution la plus convenable à la colonie de Saint-Domingue; ainsi cet ouvrage sera un de ses

bienfaits.

Le peu de membres dont il a formé cette assemblée, annonce qu'il a voulu éloigner de ses discussions les passions et le tumulte; mais en même temps il a voulu qu'elle fût environnée des lumières et des réflexions de tous les hommes instruits, afin qu'un ouvrage d'un aussi grand intérêt fût, pour ainsi dire, celui de la colonie entière.

Si l'assemblée centrale n'a pas complétement rempli le vœu de ses commettans; si elle n'a pas atteint le but que se proposait le général en chef, elle aura fait au moins ce que les circonstances lui permettaient : elle n'a pu proposer à la fois tous les changemens qu'on pouvait désirer. La colonie ne peut parvenir à sa plus grande prospérité qu'avec le temps et par degrés. Le bien , pour être durable, ne peut s'opérer que lentement; il faut, à cet égard, imiter la nature, qui ne fait rien avec précipitation, mais qui mûrit peu à peu ses productions bienfaisantes.

Heureuse si cette première tentative peut contri

buer à améliorer le sort de ses concitoyens,et lui mériter leur estime et leur indulgence, ainsi que des témoignages de satisfaction de la France, quand bien même elle n'aurait pas atteint une certaine perfection!

Tous les articles de la constitution ont été discutés et arrêtés sans passion, sans préjugés, sans partialité, et spécialement le mode de gouvernement adopté comme le seul propre, dans les circonstances, à conserver à la colonie sa tranquillité, et à la ramener à son ancienne splendeur. D'ailleurs, tous les deux ans, les assemblées centrales suivantes pourront opérer les changemens que le temps et l'expérience rendront nécessaires.

L'assemblée centrale n'a pas la vanité de croire qu'elle a proposé la meilleure constitution possible; mais ce qu'elle peut assurer, c'est que tous les membres qui la composent ont constamment eu l'ardent désir du bien, l'intention d'affermir la tranquillité actuelle de la colonie, de rendre sa prospérité durable, de l'augmenter, et de prouver leur attachement au Gouvernement français.

Constitution de la colonie française de SaintDomingue, envoyée au premier Consul, par Toussaint Louverture.

Les députés des départemens de la colonie française de Saint-Domingue, réunis en assemblée centrale, ont arrêté et posé les bases constitutionnelles du

régime de la colonie française de Saint-Domingue,

ainsi qu'il suit :

TITRE PREMIER.

Du Territoire.

ART. 1. Saint-Domingue dans toute son étendue, et Samana, la Tortue, la Gonave, les Caïemites, l'Isle-à-Vache, la Saone et autres îles adjacentes', forment le territoire d'une seule colonie, qui fait partie de l'Empire français, mais qui est soumise à des lois particulières.

2. Le territoire de cette colonie se divise en départemens, arrondissemens et paroisses.

TITRE II.

De ses Habitans.

3. Il ne peut exister d'esclaves sur ce territoire ; la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français.

4. Tout homme, quelle que soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois.

5. Il n'y existe d'autre distinction que celle des vertus et des talens; et d'autre supériorité que celle la loi donne dans l'exercice d'une fonction pu

que

blique.

La loi y est la même pour tous, soit qu'elle punisse, soit qu'elle protége.

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