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Les revenus des quartiers conservés dans l'Ouest suffisaient à l'approvisionnement du Port-au-Prince. Les cultivateurs étaient intéressés à entretenir avec les Français des relations de bonne intelligence; ils trouvaient auprès d'eux le placement avantageux des produits de leur culture. Ce commerce était soigneusement protégé; on faisait escorter les cultivateurs par des détachemens de troupes de ligne. La possession de ces quartiers était la dernière espérance pour la conservation du Port-au-Prince : elle était d'autant plus précieuse, que les communications par mer devenaient dangereuses. Les insurgés, sous la protection des Anglais, étaient alors parvenus à organiser un système de piraterie qui infestait toutes les côtes. Montés sur de petites barques, ils abor daient les bâtimens ; et par ruse ou par vio. lence, ils parvenaient à s'en emparer; l'amiral Latouche, ne put réussir à purger la côte de ces nouveaux flibustiers.

Cependant, les insurgés maîtres du dépar

tement du Sud, n'y restèrent pas inactifs, et ne tardèrent pas à former le projet d'investir et d'affamer le Port-au-Prince. Dès le mois de juin, ils jetèrent dans le département de l'Ouest, la presque totalité de leurs forces. Le général Rochambeau ne pouvant se dissimuler les dangers de cette subite invasion, et l'insuffisance des troupes qui occupaient la plaine, envoya à leur secours la presque totalité de sa réserve; mais le nombre des insurgés était devenu si considérable que les succès momentanés étaient sans résultats. Devenus habiles au métier de partisans, ils évitaient les combats; ils attaquaient sur divers points à la fois, sans jamais s'engager, paraissaient et se retiraient soudain : ils harcelaient et fatiguaient les troupes fran çaises, dont la constance ne put tenir contre ce genre de guerre. Celles qui occupaient les quartiers du Grand-Bois et du Mirebalais, furent contraintes de les évacuer, et de se retirer, les unes sur la plaine jusques à la Croix-des-Bouquets, et les autres, sur la partie espagnole.

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Le département de l'Ouest était totalement envahi, lorsque la frégate l'Infatigable venue de Brest, en trente-un jours, apporta au général Rochambeau l'ordre d'évacuer le Port-au-Prince, et de transporter son quartier-général au Cap. Ce départ, et les bruits de guerre, changés en certitude par cette résolution, jetèrent la consternation dans la ville. Les familles qui avaient donné des gages à la cause française se voyaient déjà livrées à la fureur des Nègres; nul n'espérait d'échapper à leur vengeance, et chacun cherchait son salut, en s'attachant aux pas des militaires français. La fortune n'était plus comptée pour rien par les malheureux habitans, l'existence était l'unique bien qu'ils cherchassent à conserver. L'horreur de ce spectacle s'augmentait par les acclamations des Nègres qui, déjà informés de l'évacuation du Port-au-Prince, couronnaient en foule les montagnes, et allumaient des feux de joie.

Le général Rochambeau, après avoir laissé au Port-au-Prince le général Sarrazin, au

quel il ordonna de tenir aussi long-temps qu'il le pourrait, arriva au Cap le 24 juin 1805. Dix jours après, une croisière anglaise parut devant l'entrée de la rade, et bien qu'elle ne donnât aucune nouvelle officielle de guerre, on la considéra comme déclarée, lorsque l'on apprit que le Port-au-Prince et les Cayes étaient également bloqués.

Dès ce moment tout fut perdu : dans l'ouest, le poste de la Croix-des-Bouquets tenait encore, mais la famine gagnait le Portau-Prince. Les généraux Brunet et Frescinet défendaient encore quelques postes aux environs des Cayes et de Jérémie, sans autre espoir que de sauver l'existence de leurs braves soldats en capitulant avec les Anglais.

Enfin le nord, c'est-à-dire le Cap, dépourvu de toute communication par l'intérieur avec l'ouest et le sud, était étroitement bloqué.

Le 24 juillet 1803, le général Rochambeau apprit l'état désespéré du Port-au-Prince où l'on était réduit à la dernière extrémité. Le

général Sarrazin s'était vu forcé d'ordonner

des visites domiciliaires pour se procurer quelques barils de farine, et les habitans eux-mêmes luttaient contre les horreurs de la famine. Un bâtiment américain, chargé de vivres, acheté par le général Rochambeau, parvint au Port-au-Prince, malgré la croisière. Le général Sarrazin qui en était parti s'était réfugié à Cuba, et avait remis au général Lavalette le commandement de la ville.

Peu de temps après le poste de la Croixdes-Bouquets fut enlevé par les insurgés; des sept cents hommes qui s'y trouvaient, une partie fut massacrée en escortant un des convois qui se hasardaient encore à porter des provisions au Port-au-Prince; tout le reste se réfúgia dans la partie espagnole. La position seule du Cap où le général en chef était secondé par l'activité des généraux Clauzel et de Noailles, était capable de soutenir quelque temps les efforts réunis des insurgés.

Saint-Marc fut la ville qui tomba la première; le commandant français, privé de

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