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tales, et les divers ports de la colonie, y auraient été reçues amicalement par une suite de la confiance que ses protestations de fidélité à la mère-patrie venaient de confirmer; et si elles n'étaient que feintes, comme on l'en accusait, cet homme impénétrable dans ses desseins eût été pris dans ses propres embûches.

Mais éclairé tout à coup sur le véritable but d'une expédition aussi formidable, Toussaint expédia sur-le-champ, à tous les ports, à tous les postes de la colonie, l'ordre d'opposer la plus vive résistance, de combattre partout à outrance, et d'incendier tout ce qui ne pourrait pas être défendu : il resta cependant de sa personne au cap Samana, jusqu'à l'arrivée de la flotte de Brest, et ce ne fut qu'après l'avoir vu prendre la direction de l'ouest, qu'il se porta lui-même au Cap.

Toussaint n'hésita pas un instant à prendre cette résolution désespérée; il fut obéi par ses troupes et secondé par leurs chefs avec tant de dévouement et de fureur, qu'on doit

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croire qu'il ne lui aurait pas été possible de les diriger dans un autre sens. Les Nègres n'avaient combattu que pour la liberté ; ils étaient convaincus que quelques promesses qu'on pût leur faire, les Français, une fois maîtres de l'île, les feraient rentrer dans l'esclavage, et les livreraient à la vengeance de leurs anciens maîtres. Toussaint venait d'étouffer une dangereuse insurrection; son neveu Moyse, pour lequel il avait demandé au premier Consul le grade de général de brigade, s'était soulevé contre lui; il s'était mis à la tête d'un parti qui accusait le gouverneur de protéger ouvertement les Blancs, et de trahir la cause des Noirs. Après avoir réprimé cette faction, Toussaint, pour mieux garantir l'indépendance de la colonie, et lui assurer de nouveaux avantages commerciaux, avait ouvert des négociations avec les États-Unis et avec l'Angleterre; ces dernières furent rompues par la conclusion des préliminaires de paix. Dès ce moment, le silence ou les réponses équivoques du gouvernement français le laissèrent dans l'incer

titude, qui pouvait le mieux servir les vues du premier Consul, puisque Toussaint n'avait plus ni les moyens, ni le temps de s'assurer si les Français venaient en amis ou en ennemis, secourir ou conquérir Saint-Domingue.

Quelque diligence qu'il pût faire en partant de Samana, pour arriver au Cap-Français, en traversant tout le territoire espagnol, il fut devancé de quarante-huit heures, par la flotte qui s'était trouvée entièrement réunie le 29 janvier 1802. Le seul vaisseau, le Duquesne, et la frégate la Cornélie, qui avaient relâché à Cadix, ne purent y arriver. Tous les autres bâtimens sortis de Brest, de Lorient, de Nantes et de Rochefort, étaient en vue du cap Samana.

Avant de faire voile vers l'ouest, le général en chef Leclerc, fit, de concert avec l'amiral Villaret, les dispositions suivantes :

Le général Kerverseau, avec quatre frégates portant 1000 hommes, fut envoyé à Santo-Domingo; il partit le 30 janvier 1802.

Le 2 février, l'escadre de l'amiral Latouche fut expédiée pour le Port-au-Prince; elle por

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209 tait 3000 hommes sous le commandement du général Boudet.

Le même jour,ladivision Rochambeau, forte de 2500 hommes, à bord de plusieurs bâtimens commandés par le capitaine de vaisseau Magon, entra dans la baie de Mancenille. Cette division avait l'ordre d'y débarquer, de marcher aussitôt surle fort Dauphin, et après s'en être emparé, de se porter sur le Cap.

Il y avait lieu d'espérer que ces expéditions partielles arriveraient chacune à sa destination avant qu'aucune mesure de défense pût être concertée. Quant à l'attaque principale, celle dont le général Leclerc se réservait la direction contre le Cap, il fut convenu entre lui et l'amiral Villaret, que si après avoir prévenu le commandant du CapFrançais, de la destination de la flotte, l'en`trée du port lui était refusée, deux vaisseaux. embossés le plus près possible du fort Picolet, qui défend l'entrée de la passe entre la pointe et les rescifs, tireraient sur le fort jusqu'à ce que ses feux fussent éteints et les batteries détruites; qu'après cette opération, tous les

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bâtimens donneraient dans la passe, et que le débarquement s'effectuerait immédiatement sous le feu des vaisseaux, au petit carénage, et au sud de la ville.

L'exécution de ce plan d'attaque aurait préservé le Cap; elle paraissait facile, parce que le fort Picolet, construit au pied de rochers friables qui le dominent, pouvait être détruit en peu de temps.

La flotte se trouva en vue du Cap, le 3 février. Le lendemain, deux frégates et un cutter, dont le capitaine était porteur d'une lettre du premier Consul, adressée au général Toussaint-Louverture, et d'une proclamation du gouvernement français, se présentèrent à l'entrée de la passe. Cette lettre et cette proclamation sont des monumens historiques, et nous n'avons pas négligé de les recueillir (*).

Les frégates, après avoir fait des signaux de reconnaissance auxquels on ne répondit point, trouvant que les balises de la passe

(*) Voyez les Pièces justificatives.

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