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de cette obstination, il faudrait ici mieux développer nos premières observations sur les différentes classes d'hommes qui habitaient Saint-Domingue. Nous renvoyons nos lecteurs, pour cet objet, à la note statistique que nous avons annoncée.

Le décret du 24 septembre ne fit qu'enflammer davantage les esprits. L'assemblée coloniale, qui le reçut vers les premiers jours de décembre, délibérait au Cap, à la lueur des incendies. Ses membres, aigris par le malheur, ne distinguaient point les affranchis qui les avaient secourus d'avec les esclaves contre lesquels ils combattaient avec eux: les hommes de couleur ne purent obtenir d'eux aucune concession: ils exigeaient la soumission des Nègres comme si elle ́eût dépendu des Mulâtres, et ne s'apercevaient pas qu'en rendant ainsi leur cause commune, ils grossissaient l'orage qu'ils eussent encore pu conjurer. Ils méprisèrent les avis des chefs de l'armée qui avaient acquis le plus de droits à leur confiance, et qui, éclairés par l'expérience, déclaraient à cette assemblée,

que sans les gens de couleur on ne parviendrait jamais à soumettre les esclaves; que les soldats blancs seraient promptement dévorés par le climat, comme une armée anglaise l'avait été tout entière au siége de la Havane, tandis que le tempérament des Nègres acclimatés, leur force et leur agilité les feraient triompher sur les tombeaux des Européens.

Trois délégués, MM. Roume, Mirbeck et Saint-Léger, furent à cette époque envoyés de France à Saint-Domingue, avec l'honorable, mais difficile mission, à laquelle leur caractère et leurs lumières les rendaient trèspropres; trois mille hommes furent embarqués en même temps, et n'arrivèrent que successivement dans la colonie. Les délégués, en abordant au Cap, purent juger de la triste situation de la colonie; ils furent reçus au rivage par les membres de l'assemblée coloniale, couverts d'un crêpe noir; et par ceux de la municipalité, couverts d'un crêpe rouge les instrumens de supplices, les gibets et les échafauds dressés sur la place,

leur expliquèrent cet appareil funèbre, et ces vœux de vengeance. Ils se hâtèrent de chercher des moyens de rapprochement, et proclamèrent une amnistie pour tous les affranchis: ceux-ci la virent avec joie, et l'assemblée coloniale avec méfiance. Les chefs des insurgés, Jean-François et Toussaint, soit qu'ils fussent embarrassés de pousser la guerre contre les délégués de la métropole, soit qu'ils voulussent justifier et ennoblir leur cause, célébrèrent dans leurs camps l'arrivée des commissaires pacificateurs, et profitèrent de la proclamation d'amnistie pour faire des propositions de paix. Toussaint, qui prenait chaque jour plus d'ascendant sur les esclaves, parce qu'entre tous leurs chefs il était le plus éclairé, fut chargé de porter la parole; il ne venait point demander grâce pour des criminels, mais arrêter l'effusion du sang, prévenir les calamités d'une longue et affreuse guerre civile, donner des gages certains de la rentrée des Nègres cultivateurs dans les ateliers de leurs maîtres, et de leur fidélité à remplir leurs devoirs, si leurs droits

comme hommes, leurs droits comme Français, leurs droits proclamés par la constitution de la mère-patrie, cessaient d'être méconnus. Toussaint fut écouté avec indulgence par les délégués, avec indignation par l'assemblée coloniale: celle-ci attendait des preuves de repentir, exigeait la soumission et le désarmement des insurgés, la punition des auteurs de la conjuration, avec la même confiance qu'elle eût pu le faire vingt ans avant les révolutions d'Amérique et de France.

Ces dédains portèrent au comble la rage des Nègres, leur camp retentit d'imprécations; Biassou allait faire égorger les prisonniers, ils furent sauvés par Toussaint, qui calma les esprits et ranima les espérances, en opposant à l'inflexibilité des colons, l'accueil bienveillant des délégués du gouvernement: ceux-ci, conformément à leurs instruc tions, cherchèrent de bonne foi tous les moyens de rapprochement, eurent une entrevue avec Jean-François, à laquelle assistèrent quelques membres de l'assemblée coloniale: ce chef des insurgés ayant été outragé

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en présence des commissaires, la conférence
fut rompue. Cependant les commissaires ne
se rebutèrent point, l'un d'eux, M. Saint-
Léger, alla seul au camp des rebelles : Jean-
François se précipitant à ses pieds, exposa
les
griefs de ses compagnons, et offrit de déposer
les armes,
si leurs maîtres consentaient à
leur assurer un sort plus doux, et les égards
que toute créature humaine, avait droit de ré-
clamer en échange de son travail et de ses ser-
vices. M. de Saint-Léger demanda comme un
gage de sa bonne foi, la restitution des prison-
niers; Jean-François lui renvoya tous ceux
qui étaient entre ses mains, et qui lui servaient
d'otages pour sa femme retenue par les Blancs
et condamnée à mort. Biassou, plus méfiant,
ne voulut point rendre ses prisonniers, qu'on
ne lui remît en otage des officiers de l'armée
la négociation, échoua, des deux côtés, les
hostilités continuèrent.

On avait pu se flatter en France que le der

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nier décret qui réservait aux assemblées coloniales le droit de proposer des lois, concernant l'état des personnes non libres, et l'état

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