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avait subi volontairement celui, moins dur en apparence, et cependant bien plus pesant, que l'Angleterre lui avait imposé. Depuis près d'un siècle, disait-on, l'ordu Brésil n'avait cessé de s'écouler à Londres ; et selon les calculs les plus modérés de Smith, cette importation s'était élevée annuellement jusqu'à la somme de soixante-deux millions de francs; la valeur des denrées précieuses d'Europe et d'Amérique que le Portugal pouvait mettre dans la balance du commerce, lui faisait encore payer au prix le plus onéreux les objets importés que les Anglais lui fournissaient presque seuls, comme une métropole à ses colonies. Ces observations sur les effets du monopole étaient justes, mais le remède était inefficace. On peut interrompre par la force des armes, et seulement pour le temps que dure l'état de conquête, les relations commerciales d'une contrée maritime, mais on ne change point par des stipulations les habitudes formées depuis un siècle, et tant que l'Angleterre conservera la supériorité des forces navales, le Portugal

restera dans sa dépendance; il ne pourra recouvrer son ancienne splendeur, parce que l'étranger pourra facilement armer les intérêts particuliers contre l'intérêt de l'État. Ce motif seul aurait suffi pour déterminer, comme on le verra dans la suite, la translation du siége du gouvernement. L'influence du premier Consul sur le cabinet de Madrid livré au prince de la Paix, qui, pourtant le trompa dans cette circonstance, lui persuada qu'il pouvait disposer de l'Espagne, et que, plus que jamais, il avait réalisé l'expression figurée, il n'y a plus de Pyrénées. Là, comme ailleurs, il considérait uniquement les dépositaires du pouvoir, et ne tenait compte ni du caractère, ni de l'esprit de la nation: on sait ce que lui coûta cette

erreur.

C'était l'opinion commune en France, que malgré cette intelligence des deux cours de la péninsule, l'expédition du Portugal avait principalement décidé les Anglais à souscrire aux conditions de la paix; et ce dernier triomphe n'était pas le moins flatteur

de ceux dont le chef du gouvernement français pouvait s'enorgueillir; aussi l'orateur du tribunat, Carion de Nizas, évoquant l'ombre de Charles-Quint, lui montrait ses vastes possessions occidentales tombées au pouvoir, ou sous la dépendance de la France, «< et » la France qui fut son berceau, et l'anti» que cercle de Bourgogne, et l'Espagne où » est sa tombe, et le royaume de Naples, >> et le Milanez, et l'héritage des Médicis, » échappant à sa race! Exemple mémorable ! >> des choses humaines qui transporte d'un » peuple à un autre la suprématie des na>>tions! » Tels étaient les chants de triomphe, les hymnes à la paix, dont retentissait la dernière tribune du peuple français. Prophétiques et vaines leçons !... Le même orateur ajoutait..... « Législateurs, une carte » nouvelle de l'Europe se dessine devant » vous; l'épée victorieuse l'a tracée; le traité >> qui vous est offert en arrête les derniers >> linéamens. A combien de siècles sommes>> nous de cette France qui souffrait à Dun» kerque un commissaire anglais, qui aban

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» donnait la Hollande libre et fidèle à une » oppression étrangère ? » Nous citons quelques traits de ce qu'il restait alors de discussions publiques sur les affaires d'état, parce que loin de n'y trouver que d'inutiles déclamations, selon la doctrine immuable des détracteurs du gouvernement représentatif, nous pensons que toujours empreintes de l'opinion dominante dans la nation, ces discussions servent à faire connaître la marche de l'esprit public, sa tendance et ses déviations : les discours des orateurs fidèlement rapportés sont, aussi-bien que les actions des magistrats et des guerriers, la vie, le flambeau de l'histoire.

Le second traité présenté au Corps légis latif, fut celui avec la Russie. Malgré la bonne intelligence qui régnait depuis deux ans entre les deux gouvernemens, et la bienveillance que Paul Ier n'avait cessé de témoigner au premier Consul, aucun acte authentique n'avait constaté ce rapprochement. Ce prince, ennemi déclaré de l'Angleterre, et s'avouant le chef de la coalition du nord pour

la défense des droits des neutres, n'avait cependant rétracté par aucun engagement formel avec la France, ceux qu'il avait précédemment contractés avec l'Angleterre. Le premier Consul, rassuré par le zèle avec lequel il le voyait entrer dans les intérêts de la République, ne songeait pas à en exiger de gage plus certain que la neutralité armée; il préférait d'ailleurs les correspondances directes et secrètes, aux communications et aux formes diplomatiques qu'il affectait de dédaigner, à moins qu'il n'y trouvât un avantage évident pour l'avancement de ses projets d'un autre côté, le cabinet de SaintPétersbourg, qui voyait avec peine ce changement de principes, et l'empereur abandonner la cause commune des souverains, saisissait les moindres prétextes pour prolonger les délais. La mort funeste de Paul Ier justifia cette politique, et son prudent successeur voulant ménager l'Angleterre, se garda de rien précipiter jusqu'à la maturité de la paix générale. Il n'y avait jusques alors entre la France et la Russie, qu'une cessation d'hostilités par

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