Page images
PDF
EPUB

daient à reprendre leurs travaux ne purent obtenir grâce: on exigeait qu'ils livrassent leurs chefs, que la plupart ne connaissaient même pas. Jean-François et ses lieutenans, se repliant vers les mornes, commirent de nouvelles et plus terribles dévastations dans les habitations des montagnes; ils organisaient leurs bandes, les aguerrissaient, les in struisaient à la guerre de poste, qu'ils firent dans la suite avec tant d'intelligence et d'avantage sur les troupes européennes ; ils re cevaient des Espagnols, alors en guerre avec la France, des secours de vivres et de munitions.

Tel était le bouleversement de la partie du nord de Saint-Domingue; celles de l'ouest et du sud étaient moins agitées, parce que les colons s'y résolurent à accorder, par des concordats particuliers, les droits que les Mulâtres réclamaient en vertu des décrets. Les Blancs du Port-au-Prince, qui étaient en plus grand nombre, s'indignaient de cette indulgence; craignant néanmoins le soulèvement des Noirs, ils souffrirent la rentrée des

hommes de couleur dans cette ville, d'où ils avaient été chassés. Ceux-ci demeuré

rent armés et casernés, en attendant que les habitans eussent accédé au concordat conclu à la Croix-des-Bouquets, par les planteurs des plaines et des bourgs, le 11 septembre 1791. " -

Des quatre sections convoquées à cet effet au Port-au-Prince, une seule refusa d'adhérer au concordat; cette section était sous l'influence d'une compagnie de canonniers. Dans une rixe entre un Nègre et un canonnier, ce dernier fut désarmé par le Nègre: les Blancs saisirent ce malheureux, et le pendirent au réverbère de la municipalité. Les Mulâtres se soulevèrent et attaquèrent les canonniers. Poursuivis ensuite par les soldats des régimens d'Artois et de Normandie, les Mulâtres sortirent de la ville, mettant le feu aux maisons du faubourg et aux habitations de la plaine. Ils se refugièrent à la Croix-des-Bouquets et à Léogane, où ils furent accueillis par les planteurs; mais bientôt après se trouvant

réunis, organisés, mieux armés, ils marchèrent sur le Port-au-Prince, et bloquèrent la ville.

Ainsi commença la guerre civile avec les hommes de couleur, guerre qui ne s'éteignit plus. Les Blancs du Port-au-Prince, plus que jamais divisés, se reprochaient, ou leur condescendance à la conclusion du concordat, ou leur obstination à le rejeter. Ils ne purent soutenir long-temps la privation de communications avec la plaine, et s'armèrent pour forcer les Mulâtres à lever le blocus; ils formèrent avec des détachemens de troupes de la garnison et la garde nationale, un corps de deux mille hommes; ils y joignirent trèsimpolitiquement une compagnie africaine, toute composée de domestiques nègres qui, maraudant sur les habitations des Nègres, les aliénèrent sans retour. Ces forces se portèrent à la Croix-des-Bouquets qu'elles occupèrent; mais à la nouvelle de cette occupation, les Mulâtres, réunis à quelques milliers de Nègres, marchèrent eux-mêmes sur ce point, le 28 mars 1792. Le choc fut terrible;

[ocr errors]

les insurgés étaient commandés par un Nègro nommé Hyacinthe, qui, dans ce combat, donna des preuves d'une rare intelligence; il inspirait aux Nègres qui le suivaient une telle fureur, qu'ils se précipitaient sur les bouches à feu, et dans leur délire se faisaient tuer en y plongeant leurs bras. Ce fut surtout contre les gardes nationaux du Portau-Prince que se tourna leur rage; et sans la fermeté des troupes de ligne et le courage des Africains, aucun d'eux n'aurait échappé au massacre. Les dragons, tous composés de Blancs de la plaine, et que les Mulâtres ménageaient, couvrirent la retraite. Hyacinthe resta maître du champ de bataille; il se fit reconnaître capitaine, fit bénir sa troupe par le curé du bourg, ordonna aux Noirs de reprendre leurs travaux, et après s'être composé une garde, il rétablit à la Croix-desBouquets, dans les fonctions de maire, M. le chevalier de Jumécourt, que ces troubles avaient forcé de fuir.

D'autres combats, d'autres désordres eurent lieu à la même époque dans divers

quartiers de l'ouest et du sud. Aux Cayes, les Mulâtres, chassés par les Blancs, se retirèrent au Platon, sous la conduite de Rigaud à Jérémie, les colons ayant refusé de signer le concordat, tuèrent ou chassèrent tous les hommes de couleur. Dans les quartiers du Boucassin et des Vases, le Mulâtre Lapointe, qui s'était fait nommer maire de l'Arcaye, rassembla trois à quatre cents hommes, et par ses intrigues et ses excès, se rendit également redoutable aux Blancs; il leur tendait des piéges, en feignant de les protéger et de contenir les esclaves dont il excitait l'insurrection. Toujours suspect aux autorités, il savait à propos se rendre nécessaire, il ne balançait pas à sacrifier les instrumens dont il s'était servi; les malheureux qui se réfugiaient dans les bourgs et les villes où il dominait, à l'Arcaye, à Saint Marc, y trouvaient la mort. Il parvint à son but; les colons de cette partie de la plaine ne pouvant ni rester dans leurs habitations, ni trouver un asile, abandonnèrent leurs propriétés; les uns s'embarquèrent pour le

« PreviousContinue »