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contre leurs frères les colons basanés; pendant que l'indiscipline des soldats français eu ropéens, sollicités par les deux partis, ôtait aux agens du gouvernement de la métropole tout moyen de rétablir l'ordre et l'obéissance à la loi, les esclaves, témoins de ces fermentations de la liberté, ne voyant au-dessus d'eux que des maîtres divisés par la haine, brisèrent leur joug.

La révolte éclata le 22 août, dans la partie du nord. Le premier rassemblement fut formé par le Nègre Jean-François, vrai chef de parti, capable d'une longue préméditation, audacieux et prudent, ferme dans ses desseins, maintenant la plus sévère discipline parmi ces hordes à demi sauvages qu'il s'était soumises; fier, vindicatif, et pourtant généreux : il avait choisi pour ses lieutenans Biassou et Toussaint. Biassou, remarquable par sa taille colossale et sa force physique, avait un courage féroce: Toussaint, destiné à jouer un rôle important dans cette malheureuse colonie, était, entre ces chefs, le plus redoutable à cause de sa force d'âme, et de

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la rare intelligence dont la nature l'avait doué. Nous aurons plus d'une occasion de développer ses moyens et son caractère."

Cette vaste conjuration, dont l'objet n'était rien moins que l'entier renversement de la domination des Blancs, avait été si fortement ourdie, et le secret si bien gardé par les esclaves, qu'on n'aperçut aucun indice jusqu'au jour marqué pour l'exécution: si quelques serviteurs fidèles avertirent leurs maîtres d'un danger prochain, ce fut sans trahir leurs compagnons. Ces premiers avis furent méprisés, à cause de l'invraisemblance d'un tel complot. Les révélations des premiers incendiaires qui furent arrêtés, ne réveillèrent point les colons de leur funeste sécurité. L'explosion fut terrible et soudaine. Les principales habitations du Limbé, de Limonade, de la plaine du nord, et des quartiers voisins, furent tout à coup embrasées : les Nègres des divers ateliers, comme des tigres déchaînés, se précipitèrent sur leurs maîtres, s'emparèrent de leurs armes, les massacrèrent

sans pitié. Les colons blancs surpris et dispersés, tentèrent vainement de se rallier. Les cris d'alarme, le tocsin, ne firent qu'exciter la rage des esclaves : tout ce qui tomba entre leurs mains fut sacrifié, sans distinction d'âge ni de sexe; il n'y eut de salut que pour ceux qui purent gagner le rivage et s'embarquer, ou atteindre par les chemins encore ouverts la ville du Cap. Ils y portèrent la terreur et la plus grande confusion. On voyait, au loin, dans la plaine, les flammes s'élever de toutes parts, et dévorer d'immenses richesses, le fruit d'un siècle de travaux. Chacun tremblait pour les siens et pour soi. Dix mille esclaves, répandus dans la ville, et sans doute conjurés comme ceux du dehors, menaçaient la colonie d'une entière destruction.

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Jean-François marchait aux cris de vive le roi! sous le drapeau blanc, et souillait de meurtre, de viol et de pillage, les couleurs royales; tandis que l'assemblée coloniale, qui défendait contre les lois de la métropole la plus absurde aristocratie, se parait des cou

leurs de la révolution, se disait le parti populaire, traitait en ennemis ceux qui cher chaient à modifier l'esclavage, et refusait obstinément aux hommes libres le droit de cité. Étrange renversement d'idées, dont le délire des passions n'offre que trop d'exemples dans les dissensions civiles!

Les colons rassemblés au Cap, furent frappés de stupeur et d'épouvante; ils attribuèrent cette conjuration aux affranchis, qui, quoique propriétaires, avaient peu à perdre dans ce commun désastre. Il n'y a qu'un pas de l'injustice à la barbarie : la vengeance était facile, elle fut prompte; les hommes de couleur et les Nègres libres furent livrés sans défense à la multitude irritée, plusieurs fu rent égorgés; la plupart se refugièrent au pied des autels, où le gouvernement et l'assemblée coloniale elle-même parvinrent à les protéger, en exigeant qu'ils se joignissent aux Blancs, pour repousser les Nègres insurgés.

Le péril allait croissant; la masse des révoltés, qu'on estimait être de quinze à vingt

mille, se grossissait et s'approchait de la ville. Le gouverneur Blanchelande, après en avoir fait fermer les accès par des palissades, fit occuper, par la garnison, les postes du haut du capde Bel-Air, du Morne-Bekly, et les points les plus menacés. Les Blancs, divisés d'opi nion, se réunirent entre eux et avec les affranchis, pour marcher avec les détachemens de troupes de ligne. Les premières sorties eurent un plein succès; les attroupemens de Nègres qui s'étaient le plus avancés furent taillés en pièces; on leur fit beaucoup de prisonniers, qui furent autant de victimes immolées au ressentiment de leurs maîtres. Ceux-ci imitèrent malheureusement l'aveugle fureur des esclaves; ils se baignèrent même dans le sang innocent; les vieillards, les femmes, les enfans, qui étaient restés sur les ha bitations, ceux que les révoltés n'avaient pu arracher de leurs ateliers, ceux qu'on trouvait occupés à éteindre l'incendie, tout fut sacrifié.

Cette soif de vengeance ne fit qu'alimenter le feu de la rébellion : les Nègres qui deman

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