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O DE M

DE MON CŒUR fouveraine maîtreffe,
A qui je dois mes plus heureux loisirs,
Infpire-moi, chere & douce Pareffe!
Je veux chanter ta gloire & mes plaifirs.
Non, tu n'es point cette lourde Déce
Qui de Mondor engourdit tous les fens,

Et qui l'endort au fein de la mollelle.
Le Dieu du Pinde, aimable enchantereffe,
Autour de toi raflemble fes enfans;

Tous les beaux-arts t'environnent fans ceffe.
Pour mieux charmer tes fortunés momens,
Le tendre amour lui-même te carrefle;
Il vient fourire à tes jeux innocens,
Et te remplir d'une tranquille ivreffe.
Mais loin de toi les transports furieux
Dont cet enfant agite & trouble l'ame.
Plus pur, plus doux & plus délicieux,
Le fentiment te penetre & t'enflame
Pour toi l'Amour n'eft point un féducteur;
Tel qu'aux beaux jours de Saturne & de Rhée,
Il eft fans fard, il parle avec candeur:
De fes attraits la fageffe parée

Charme les yeux & s'empare du cœur.
C'est bien en vain que l'Amant de Julie,
Toujours en proie à la mélancolie,
Eft confumé d'une fougueule ardeur;
Ah! je le plains autant que je l'admire.
Que fert, hélas! ce fublime délire?
C'est moins l'amour qu'une aveugle fureur,
Dont je frémis plus qu'elle ne m'attire.
J'aime bien mieux Philémon & Baucis,
Tous les Bergers du naïf la Fontaine,

Et de Gefner les Eglés, les Tyrcis,
Que les accès d'un fombre énergumene,

Qui m'infpirant une fecrette horreur,
S'il m'attendrit, plus fouvent me fait peur,
Je veux brûler d'une ardeur plus durable,
Je veux choisir un guide plus aimable.
Suivons Eglé; la modefte douceur

Me fait chérir la timide innocence.
Ah! j'ai trouvé le repos de mon cœur!
Oui, je le fens s'ouvrir fans violence,
Non à l'amour, mais à la bienveillance,
Et réunir, par un accord heureux,
Les fentimens, les plaifirs vertueux.
Omon Egić! le temps inexorable
Autoit en vain terni tous vos attraits,
De vos vertus l'empreinte ineffaçable
Me charmeroit encore dans vos traits.
C'est mon amie & non pas ma maîtrelle,
Qui de mes chants fera le digne objet.
La belle Hélene arma toute la Grece ;
De guerre, hélas! ce fut un beau fajet.
Guidé par toi, Parelle pacifique,

*A Dieu ne plaife que j'ofe attaquer M. Rouffeau. Je respecte fes vertus, fa vieilleffe & fon génie. J'ai d'ailleurs éprouvé la bienveillance. Je crois être de fon avis en blâmant l'amour violent, & la Nouvelle-Héloïfe en eft, ce me femble, la cenfure encore plus que l'apologie. M, Rouffeau nous avertit lui-même de préférer, pour le mariage, une phyfionomic qui infpire la bienveillance & non l'amour.

Je ne veux plus adorer la beauté,
Ni me livrer à fon charme magique ;
De tout excès je fuis épouvanté.
L'ardent amour eft fans doute énergique :
Mais confumé par fon feu dévorant,
Il brille, il meurt & s'éteint promptement.
D'un tel effort l'ame toute épuisée,
Bientôt le ferme aux plus doux fentimens,
Et jouit moins, plus elle est embratée;
Tous fes plaifirs ne font que des tourmens.
Les vrais liens d'une fage tendreffe,
L'aimable effor de la délicatefle,
Valent bien mieux que les emportemens.
Et les fureurs d'une importune ivrefle.
De mon repos plus épris chaque jour,
Je n'irai point, fur les pas du vulgaire,
Proftituer mon encens à la Cour.
Pourquoi courir après une chimere?
L'ambition nuit autant que l'amour.
Vivant de
peu, content du néceflaire,
Le fuperfu me coûte peu de foins.
C'eft lui, lui feul qui fait notre mifere;
Un parelleux a fort peu de befoins.
Quelques amis d'humeur toujours égale,
D'un bon efprit & fans prétentions;
De fimples mets, une table frugale,
Vin naturel, point d'indigestions;
Modefte habit, propreté fans parure,

Toilette courte, une douce gaieté,
Point de procès, une fortune fûre,
Quoique petite, & toujours la fanté;
Sommeil facile, exempt d'inquiétude,
Réveil paisible, un peu de mouvement;
Modérément fe livrer à l'étude,
Faire du bien fans trop d'empreffement;
Garder en tout un prudent équilibre ;
Autant qu'on peut vivre tranquille & libre ;
Jamais de maître, & conferver pourtant
Pour mes amis un efprit complaifant:
Voilà le plan de mon heureuse vie,
Le résultat de ma philofophie.

Sur mes défauts vous me grondez fouvent ;
Vous me trouvez fingulier, indolent:
Mais convenez, Eglé, que ma paresse
Prefque en tout point reflemble à la lageffe.

ENVOI A ÉGLE.

Reçois mes vers, partage mon transport.
Ah! quel bonheur de fuivre fans effort
Le doux penchant qui toujours nous entral ne
Vivons, Eglé, contens de notre fort,

Libres tous deux en portant notre chaîne.
Quand le printemps ranimera les fleurs,
A tes côtés, affis fur la verdure,

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