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fouvent, de faifir enfin quelque prétexte qui l'éloignât de la maifon de Daramant, fans que cet homme inquiet puifle foupçonner que fon ami a été prévenu fuc ce fujer. L'Anglois témoigna tous fes regrets d'être privé de la fociété de Daramant: il redit combien il lui étoit cher; & en même temps, quelque chagrin que cette féparation lui falfe refentir, il renouvelle à l'époufe de fon ami la promeile de ne plus fe remontrer à fes yeux.

Ermance traînoit depuis long-temps une fanté languiflante. Les combats éterneis qu'elle avoit à foutenir pour dompter la profonde langueur qui la confumoit, peut être la néceffité cruelle d'inftruire un étranger de ces fecrets qui doivent refter entevelis entre un mari & une femme : ces affauts multipliés, déterminent l'effet d'une révolution violente; elle fe lève. tout à coup, & le précipite vers fa cheminée, comme pour tirer fa fonnette. Blinford s'apperçoit qu'elle fe trouve mal: elle eft prête à tomber; il vole vers elie, la foutient dans fes bras, & cherche à la rappeler au jour : la porte s'ouvre ; Daramant entre enflammé de fureur, l'épée à, la main, & court la plonger dans le fein de fon ami, en s'écriant: « traître ! reçois.

» le prix de ton infidélité ». Ermance avoit perdu l'ufage de fes fens. Elle r'ouvre les yeux quel fpectacle l'a frappée! Blinford étendu fur la terre, & baigné dans les flots de fon fang. Daramant tefte immobile; il recule de terreur, quand il voit l'Anglois expirant s'efforcer de fe trainer à fes pieds; quand il l'entend lui dire d'une voix lamentable & touchante: que viens tu de faire, Datamant?... »Tu as tué ton ami. Mon ami! mon ami qui ne refpiroit que mon déshon- Je vais rendre le dernier fou pir: le Ciel m'eft témoin que je ne t'ai jamais offenfé, que je te chériffois comme mon frère... Puiffes-tu vivre hen. »reux après un meurtre auffi injufte!.. » Daramant,... mon ami, je te pardonne... accours m'embraffer

» neur!..

» meurs ».

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Ermance étoit retombée évanouie; elle: entend les derniers accens de Blinford; elle fe relève avec vivacité de fon accablement « malheureux, quel crimet »as-tu commis? Oui, cruel! Blinford efti » innocent; oui, tu es l'affaffin de ton » ami, de l'ami le plus tendre; hélas ! » en ce moment, il me parloit de fon! » attachement pour roi ! il en étoit rem-) » pli!

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» pli! -Tu étois dans fes bras! - Il » voloit à mon fecours; je fuccombois à une défaillance, la fuite des maux que, » tu me caufes... Toi, fouillé du fang » d'un homme qui n'eft point coupable, » qui t'aimoit ! Ah! joins ta femme à » cet infortuné ; le meurtre ne doit plus » t'effrayer : après de pareils malheurs, » il ne m'eft plus poffible de vivre ».

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La nouvelle de cette affreufe cataftro

phe étoit déjà femée; les domestiques étoient accourus. La Juftice s'empare du criminel, & donne des ordres pour qu'on transporte le corps de Blinford à få demeure: Daramant eft enfin plongé dans une prifon, tandis que fa femme refte anéantie fous des coups auffi imprévus qu'accablans.

Cependant les parens, informés de cette efpèce d'affaffinat, accourent du fond de l'Angleterre, & demandent à grands cris la punition de Daramant : le délit étoit prefque prouvé; il n'y avoit point d'apparence que le coupable pûr efpérer d'obtenir fa grâce. Ermance revoyoit la lumière: tout fon malheur s'offroit à fes regards; eh! quelle vafte in fortune elle avoit à envifager; le pafé, le préfent, l'avenir ! Mais c'étoit fur ce der

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nier tableau que s'arrêtoit fa vue : elle contemplout fos mari enfermé dans un cachor; quelquefois même elle s'alarmoit pour la vie. La pitié dans les ames fenfibles, touche de près à l'amour : Ermance me te reflouvenoit plus du jaloux, du barbare Datamant, de l'auteur de fes difgrâces les plus cruelles; fon cœur ne S'ouvroit qu'à l'image d'un époux, & toute la compaflion, on pourroit même dire toure fa tendrelle, s'attachoit à cet objer. S'il eût été nécellaire qu'Ermance donnât la vie pour dérober fon époux au fupplice infime qui l'attendoir, elle n'auroit pas hésité un moment de faire ca facrifice; mais on exigeoit de fon courage un effort beaucoup plus grand. Le père de Daramant ne propofa même qu'en frémillant à fa bru l'expédient qu'il avoit imaginé pour fauver de l'échafaud fon malheureux époux. « Conviens, lui dit-il » d'une voix balfe & in uticulée, lorfque les Juges t'appelleront en témoignage... ofe dépofer... que ton époux ... le dirai-je, Ermance? n'a fait que venger fon injure, qu'il t'a furprife... ru th'entends, ton déshonneur... A ce prix, ton époux, le père de ton enfant, ton enfant, font fauvés de l'igno

» minie ła prifon eft ouverte à Da» ramant ; je te laiffe réfléchir fur le » parti que tu veux prendre; fonge à ce » cher enfant qui nous furvivra ».

M. d'A. n'a peut-être point encore eu de fituation plus intéreffante à peindre, plus capable de faire voir jufqu'où peut aller l'effort d'un coeur vertueux, & qui, uniquement jaloux de fa propre eftrine, fait fe mettre au deffus de l'opinion des hommes. On nous préfente tous les jours, dit l'eftimable Ecrivain au commencement de cette anecdote, comme un des objets les plus impofans du grand tableau de l'antiquité, cette efpèce de dévouement généreux qui confiftoit à donner la vie, foit pour fon pays, foir pour le falut d'autrui: affurément ces fortes de facrifices méritent les éloges que leur prodigue Phistoire, & il y auroit autant de bizarrerre que d'injuftice à leur refufer le tribut d'admiration qui leur eft dû. Tout ce qui nous fait voir la nature s'élevant audeffus d'elle-même, a droit de frapper nos regards. Mais immoler plus que l'exiftence, abandonner fon honneur, lorfqu'on en fent tout le prix, à la honte de la diffamation publique, fé couvrir, en un mot, de la fange de l'opprobre, quand on porte

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