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comme il n'y a point de vertu fans combat, il nous repréfente Ermance ayant à fe défendre contre fon propre cœur & les veux d'un amant qui lui étoit toujours cher. Cet amant, défespéré de perdre fa maîtreffe, vouloit mourir à fes yeux. Elle s'arme alors d'une fermeté furnaturelle, & lui rappelle ce que le devoir & l'hon neur prefcrivent. « J'avois, lui avoue t

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elle, un cœur capable de s'attacher par » des nœuds durables: mais je vais for. » mer d'autres liens que ceux dont la nature fembloit nous avoir enchaînés. » Je me foumets au jong qui m'attend : le devoir me l'ordonne; oof, je dois "ne point vous voir, vous refufer la » moindre pensée, vous oublier. Je vous » dirai plus: mon père a été instruit, par » ma propre bouche, d'un penchant que » l'un & l'autre nous fommes obligés » d'étouffer. Je ne vous nierai point que j'euffe cru trouver mon bonheur dans »notre union : la volonté paternelle n'a point été d'accord avec mes vœux ; il faut céder je porterai ma chaîne ; il » ne s'agit point ici de vous montrer » mon ame, mes combats, les chagrins » qui me font préparés : imitez-moi; » ayez ma fermeté, & en nous plaignant

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» tous deux, ne nous voyons jamais ». Le caractère intraitable de Daramant que cette victime du devoir filial ne tarda point d'époufer, lui préparoit bien d'autres ennuis. Cet homme jaloux faififfoit les moindres apparences pour adopter des foupçons injurieux à fon époufe & à luimême. Il s'abandonnoit alors à l'impétuofité de fes tranfports. Plus d'une fois il accabla de fes menaces cette vertueufe époufe à laquelle il faifoit un crime des larmes mêmes qu'elle verfoit dans le fein d'une amie. Tout, jufqu'à Eugénie, c'est le nom de cette amie, lui caufoit de l'inquiétude. Il obfervoit les regards d'Ermance; il interprêtoit fes penfées. Cette femme mouroit de fa douleur, & prenoit cependant toutes les précautions imaginables pour la dérober aux yeux de fon père: j'y fuccomberai, difoit-elle, à fon amie; » mais de quel fecours me feroient des plaintes indifcrettes ? Mon deftin est » irrévoquable; quand l'auteur de mes » maux, quand mon père envifageroit l'abyfme où il m'a précipitée... peut-il » m'en retirer? Il faut m'y perdre, m'y » anéantir ». La vertu avoit tant d'empire fur cette ame fi noble & fi pure, qu'elle fe défendoit en quelque forte de penser

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à Loménil: cette femme eftimable fe redoutoit plus encore qu'elle n'appréhen. doit Daramant, & elle fuyoit jufqu'à l'ombre du reproche. On avouera ici, avec l'Auteur de cette anecdote, que peu de cœurs portent l'amour de la vertu à cette délicateffe; & il ne faut pas fe le diflimuler, une malheureufe créature, fou. mife involontairement à un joug aufi rigoureux que celui d'Ermance, failit tout ce qui peut la confoler; elle goûte une espèce de dédommagement à s'occuper en fecret de l'objet qu'elle a licu de regretter.

Un feul enfant étoit le fruit de ce mariage, formé fous de fi cruels aufpices: il réunifloit tous les fentimens de fa mère, qui éprouvoit chaque jour de nouveaux emportemens de la part de fon époux. Ermance dévoroit en fecret fes ennuis, & craignoit d'en faire la confidence à fon amie la plus intime. Elle étoit perfuadée que le premier devoir d'une femme eft de tenir le voile abaiffé fur les erreurs de fon mari. Cet homme devenoit de jour en jour plus fombre & plus emporté. On nous le repréfente ici paffant avec la même vivacité de la tendreffe à la fureur. Il accabloit Ermance de reproches, d'ou

irages, fe précipitoit enfuite à fesgenoux,
& imploroit un pardon que bientôt il
cefloit de mériter. Il étoit devenu l'ami
d'un Officier, diftingué par fa naillance
& par fon mérite perfonnel: cet Officier
étoit Anglois d'origine, & avoit pris parti
dans le fervice de France. Blinford, c'eft
fon nom, étoit d'autant plus aimable,
qu'il réunifoit à une belle phyfionomie,
un cœur fufceptible du fentiment le plus
profond & le plus délicat; d'ailleurs d'une
pureté de mœurs peu commune, & qu'il
portoit à un degré rarement connu de
notre jeuneffe Françoife: fon âge étoit
de vingt-huit à trente ans. La mort d'une
jeune perfonne qu'il devoit époufer, lui
avoit laiffé une mélancolie qui augmen-
toit l'intérêt que fon abord faifoit naître:
il avoit renoncé à l'amour ; & pour fe
confoler, il recherchoit les douceurs de
l'amitié. Daramant, enchanté de cette
nouvelle connoiffance, préfente Blinford
à fa femme, qui lui marque une forte
de froideur, dont fon mari s'apperçoir.
La compagnie retirée, il demande à fon
époufe la raison de cet accueil i peu
prévenant qu'elle a fait à fon ami. « Vous
le favez, Monfieur, répond Ernance
en jetant un profond foupir: vous n'igno-

»rez point votre malheureux penchant à recevoir & à nourrir des foupçons indignes de nous deux. Eh! pourquoi » chercher les occafions d'enflammer vo» tre caractère? Laiffez-moi fuir la fociété: » le monde n'eft fait ni pour vous, ni » pour moi. Daramant chercha à raffurer fa femme par des fermens qu'il accompagnoit des careffes les plus touchantes. Mais cette femme infortunée ne pouvoit fe diffimuler qu'il n'étoit point au pouvoir de fon mari de réformer jamais fon caractère jaloux. Cet homme fi estimable qu'il avoit appelé dans fa maison, Blin- · ford lui-même, n'étoit point à l'abri de fes foupçons ombrageux. La trifte Ermance s'en étoit apperçue plus d'une fois & c'est ce qui augmentoit le chagrin qui ne ceffoit de la confumer. Elle croyoit à la probité de Blinford. Elle crut done pouvoir lui faire une confidence toujours défagréable pour une époule qui connoît toute l'étendue de fes devoirs, & n'en weut bleffer aucun. Elle lui laiffa entrevoir à travers tous les ménagemens d'une femme circonfpecte, ce qu'elle auroit voulu fe cacher à elle-même. Blinford a foupçonné que Daramant étoit jaloux. Ermance pria l'Anglois de venir moins

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