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que mon maître m'a dit qu'il ne pouvoit pas venir aujourd'hui.

Mde BEAUPRÉ. C'est bien fait. Je fors pour quelques affaires; lorfque votre fœur fera rentrée, je vous charge de lui témoigner mon mécontentement. Je veux que vous lui donniez des leçons ; &, com me vous avez plus de raifon qu'elle, j'entends qu'elle ait des égards pour vous, qu'elle vous écoute avec docilité. Diteslui cela de ma part; entendez-vous ?

HENRIETTE. Oui, ma chère mère. (Mde Beaupré fort).

SCÈNE I I.

HENRIETTE feule.

(Mde Beaupré eft à peine fortie, qu'Herriette fe redreffe & fe regarde dans les glaces en fe donnant des airs).

Pour cela, Mademoiselle Julie, je vais bien rabattre votre caquet. Quoique vous foyez mon aînée, il faudra que vous m'obéiffiez actuellement; oui, que vous m'obéiffiez; car c'est sûrement ce que ma mère

a voulu dire. Auffi n'eft-il pas étrange

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que ce foit l'âge qui établisse la fubordination? comme G, quoique plus jeune, On ne pouvoit pas être plus raisonnable. Moi, par exemple, ne fuis-je pas faite pour commander à cette folle-là, qui n'a non plus d'intelligence.... qui, au lieu d'étudier fes leçons de clavecin, s'amuse à caufer avec le Jardinier & à lui voir planter fes choux; qui eft affez fimple pour lui donner tout fon argent, plutôt que d'en acheter des bijoux qui lui feroient honneur,

SCENE 11 1.

HENRIETTE, JULIE.

JULIE entre d'un air d'empressement; elle tient une boite fermée. Ma lœur, ma fœur, viens voir les beaux papillons que j'ai attrapés.

HENRIETTE d'un air dédaigneux. Oui, cela eft bien beau vraiment.

JULIE. Its font charmans, te dis-je, je n'en ai point encore vu de plus brillans. HENRIETTE. Oui, en vérité, voilà une occupation bien digne d'une fille de votre âge.

JULIE. Tu te trompes, ma fœur, ce n'eft qu'un amusement.

HENRIETTE. Eh bien, foit: voilà un amusement d'une belle efpèce, & qui te fera bien de l'honneur dans le monde. Au lieu de t'appliquer à ton clavecin que tu négliges entièrement.

JULIE. Oh! mon clavecin m'ennuie & je ne veux d'amusemens que ceux qui me plaifent.

HENRIEITE. Tu as un goût vraiment diftingué.

JULIB. Comme tu voudras; mais veuxtu que je te le dife : j'aime la liberté, moi, fur-tout dans mes divertiffemens. Qu'ai-je affaire de cet homme au ton rogue & dur, qui vient, d'un air de pédant, m'apprendre à me divertir, & qui ne parvient qu'à m'ennuyer autant que je le vois trèsfouvent s'ennuyer lui-même.

HENRIETTE pliant les épaules. Quelle petiteffe d'idées !

JULIE. Que veux-tu ? je penfe comme cela. Je me plais fingulièrement dans notre jardin, j'y refpire un air de liberté qui m'enchante.La flcur que j'ai vue naître eft celle que je préfère pour me parer; je trouve, ce me femble, un meilleur goût au fruit que j'ai vu croître & mûrir,

& que je cueille de ma main. Ces amufemens, s'ils n'ont pas le brillant des tiens, font au moins fort innocens.

HENRIETTE. C'eft fort bien dit ; mais ma mère, qui n'a pas le goût ruftique comme toi, eft fort mécontente, & tu devrois pour la fatisfaite....

JULIE légèrement. Oui, je voudrois de tout mon cœur, pour lui plaire, que le clavecin fût plus de mon goût.... A propos, que je t'apprenne une nouvelle. HENRIETTE. Comment donc ?

JULIE. Mais une nouvelle qui te fera sûrement bien du plaifir.

HENRIETTE. Eh quoi encore ! dis donc

vite.

JULIE. Devine.

HENRIETTE. Ohje ne fais pas deviner; tu m'impatientes.

JULIE. Notre maman nourrice eft ici. HENRIETTE avec un grand éclat de rire. Ah mon Dieu, voilà ta nouvelle! JULIE. Mais, oui.

HENRIETTE. C'eft-là cette bonne nouvelle, cette grande nouvelle; mais je n'en reviens pas.

JULIE. Eft ce qu'elle ne te fajt pas plaifir?

HENRIETTE, Mais ni plaifir ni peine;

je crois que je ne fuis pas faite pour m'occuper beaucoup de ces gens-là. JULIE. Elle est pourtant ta nourrice, auffi bien que la mienne.

HENRIETTE. A la bonne hence.

JULIE. Elle a amené nos deux fœurs de lait, Madelon & Babet. HENRIETTE. Que m'importe?

JULIE. Tu es bien froide, il me femble que la reconnoillance....

HENRIETTE piquée & avec hauteur. Point de leçons, s'il vous plait, Mademoiselle, c'eft à moi de vous en donner. Songez feulement à vous comporter avec plus de retenue qu'à votre ordinaire.

JULIE. Eh mais; mais tu badines, je crois.

HENRIETTE. Point du tout. Demandez à ma mère; elle fait combien j'ai plus de raifon que vous, & elle m'a chargé de vous commander; entendez-vous Mademoiselle? Ainfi prenez garde de vous compromettre dans l'accueil que vous ferez à votre nourrice.

JULIE. Bien. Comme je me moque de tes ordres. (Elle fort en fautant & en chantant).

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