Page images
PDF
EPUB

des mains du Roi sa calotte

rouge, où je le

conduisis.

que j'ai confondu une autre affaire de même genre, sur laquelle le cardinal de Bissy écrivit à Rome avec fureur tout le contraire de ce qu'il avoit formellement promis à M. le duc d'Orléans, duquel la défiance fit arrêter le courrier un peu en deçà de Lyon, et prendre les lettres de Bissy, que M. le duc d'Orléans montra à ce cardinal, avec les reproches que méritoit sa perfidie'. Ce Corps de doctrine ainsi approuvé, et que la même perfidie redoublée des cardinaux de Rohan et de Bissy fit aussi échouer, il fut question de le faire approuver par la produisirent à la fin de 1719 et au commencement de 1720 pour arriver à l'acceptation, par tout le clergé et notamment par le cardinal de Noailles, de la bulle Unigenitus. L'affaire sembla un moment s'arranger, et, le 18 mars 1720, le cardinal adressa à ses curés une lettre circulaire pour leur expliquer les raisons de l'accommodement; il y eut même en août une déclaration royale à ce sujet; mais finalement on ne put s'entendre, et l'affaire échoua. Voyez à la Bibliothèque nationale un bon nombre de publications du temps sur ce sujet : Ld, nos 1480 et suivants. Il y a dans la Gazette d'Amsterdam de 1720 des mentions fréquentes de ces négociations, notamment dans les Extraordinaires XXI, XXIV, etc. Comme une partie s'en passa pendant le séjour du Parlement à Pontoise, il en est longuement question dans le journal que le président Hénault en tint (Mémoires, édition Rousseau, p. 289 et suivantes); voyez aussi un article de M. Gazier dans la Revue politique et littéraire de décembre 1875, qui a utilisé le journal de l'abbé Couet, grand vicaire du cardinal.

1. Notre auteur a déjà fait allusion à cela plus haut, p. 78; mais nous ignorons tout de cette affaire, qui dut demeurer fort secrète, et dont l'époque même n'est pas précisée.

2. Une lettre adressée à la marquise de Balleroy le 29 mars 1720 et restée inédite donne des détails sur l'origine du Corps de doctrine : « Le cardinal [de Noailles], homme doux, sage et modéré, a cru voir que tout le monde se lassoit de la querelle des évêques; que, si les choses demeuroient dans l'état où elles étoient lorsque la majorité [du Roi arriveroit, les jésuites auroient plus beau jeu qu'aujourd'hui; que le Régent même n'étoit plus aussi favorable pour nos amis ; qu'ils n'avoient aucun secours à espérer des parlements, trop abaissés pour pouvoir soutenir les appelants. Plusieurs gens de son parti, persuadés ou gagnés, ne lui prêchoient que l'accommodement.... Votre évêque et M. Couet en ont le principal honneur.... Ce sont eux, avec M. le cardinal, qui ont composé le Corps de doctrine. >>

signature de tous les autres évêques absents, avant de l'envoyer à Rome. Pour y parvenir, on choisit plusieurs du second ordre bien dévoués à la Constitution et à faire fortune par elle, qu'on endoctrina et qu'on chargea de porter ce Corps de doctrine chacun à un nombre d'évêques qu'on leur assigna. L'abbé de la Fare-Lopis n'avoit garde de n'être pas du nombre de ces courriers, et il étoit naturel que, étant grand vicaire et l'homme de confiance de l'archevêque de Reims, il eût la commission de lui porter le Corps de doctrine à signer. On craignoit qu'il ne se rendit plus difficile qu'aucun, par sa haine personnelle contre le cardinal de Noailles et par ses ménagements pour Rome dans la conjoncture où il se trouvoit, à laquelle on n'avoit point encore fait part d'un ouvrage qui touchoit ses prétentions de si près. L'abbé de la Fare, à qui le voyage de Reims fut destiné, saisit en habile compagnon la difficulté qu'on craignoit, la grossit tant qu'il put, effraya l'abbé Dubois de l'effet du refus d'un prélat de la vigueur et du peu de ménagement de l'archevêque1, assis sur un siège tel que celui de Reims, que le Pape venoit de faire cardinal et qui étoit sans doute de fort mauvaise humeur du hoquet qu'on faisoit durer si longtemps à lui en laisser prendre les marques, la qualité, le rang. La Fare n'oublia rien pour augmenter l'embarras de l'abbé Dubois, et le laissa quelques jours dans cette peine. Dubois le mandoit sans cesse pour chercher quelque expédient. Quand la Fare le jugea à son point, il lui dit que, après bien des réflexions, il croyoit lui en pouvoir proposer un, mais qu'il étoit unique, et à son avis causa sine qua non. Il verbiagea un peu avant de s'en ouvrir, pour exciter le desir de Dubois; puis, l'ayant amené à ne rien refuser, il lui dit que, puisqu'il regardoit comme si essentiel d'amener l'archevêque à signer l'approbation d'un Corps de doctrine fait par son ennemi et inconnu encore à Rome, il falloit flatter sa vanité dans la manière, 1. Un prélat qui avait la vigueur, etc.

et à la fin le satisfaire; que, pour cela, il falloit le distinguer des autres prélats, à qui on envoyoit des gens du second ordre, et lui députer à lui l'évêque de Soissons; que cela étoit tout naturel, parce qu'il étoit son premier suffragant, ardent constitutionnaire, d'ailleurs son voisin, dont le voyage seroit imperceptible d'ailleurs, Soissons étant sur le chemin de Paris à Reims; que cela auroit tout un autre poids auprès de l'archevêque que non pas lui la Fare, son grand vicaire, quoique son ami1; mais que cela ne suffisoit pas encore qu'il falloit toucher l'archevêque par son intérêt le plus vif et le plus pressant, profiter de l'occasion de mettre fin à un état de souffrance qui ne pouvoit pas toujours durer; que pour cela il falloit encore s'y prendre avec la délicatesse que demandoit la vanité; que, après avoir bien tout pesé et balancé, il croyoit qu'il falloit charger Languet de deux lettres de M. le duc d'Orléans pour l'archevêque: par l'une le presser de signer en termes qui flattassent son orgueil, y ajouter que ce n'étoit point comme condition que la signature lui étoit demandée, et que, signant ou refusant, il pouvoit venir, quand il voudroit, recevoir sa calotte des mains du Roi; par l'autre lettre, lui mander qu'il falloit signer nettement et sur-le-champ, ou compter qu'il demeureroit exilé et sans calotte pour toujours; l'une, pour lui faire un sauve-l'honneur qu'il pût montrer, et donner en même temps plus de poids ici et à Rome à sa signature; l'autre, pour lui parler françois et lui serrer le bouton par son plus sensible et à découvert. L'abbé Dubois goûta l'expédient, le fit approuver par M. le duc d'Orléans, qui écrivit les deux lettres. Languet, évêque

3

2

1. L'abbé de la Fare-Lopis fut envoyé vers d'autres prélats (Gazette d'Amsterdam, 1720, Extraordinaire xxvII, et Dangeau, p. 259). 2. Nous avons déjà eu cette locution, sous la forme saive-l'honneur et sauve-l'honneur dans nos tomes VI, p. 119, XIV, p. 312, etc. 3. Locutions déjà rencontrées dans nos tomes XV, p. 100, et XXXV, p. 86.

4. Nous n'en connaissons pas le texte.

de Soissons, si outré que l'archevêque lui eût pris son chapeau, eut le goupillon' de le lui aller assurer2; il porta les deux lettres à l'archevêque, qui empocha l'une et se para de l'autre. Il signa tout de suite, et se hâta d'accourir jouir en plein de son cardinalat.

Toute difficulté étant ainsi levée, je menai le cardinal, mais encore en calotte noire, à M. le duc d'Orléans. L'accueil fut très gracieux: le Régent lui dit qu'il prendroit le lendemain les ordres du Roi pour le jour et l'heure de lui donner la calotte. Je ne vis jamais homme si transporté de joie de se voir enfin au bout de ses longs et persévérants travaux. Ce fut donc le surlendemain [19 mars]3 que j'allai prendre l'archevêque chez lui sur les dix heures du matin ; je le menai dans mon carrosse aux Tuileries. Comme il étoit archevêque de Reims, cardinal ou non, je n'avois point d'embarras avec lui. Nous fùmes aussitôt introduits dans le cabinet du Roi, qui y étoit seul avec M. le duc d'Orléans, le maréchal de Villeroy, Monsieur de Fréjus, et deux ou trois autres. M. le duc d'Orléans le présenta au Roi, ne le nommant qu'archevêque, mais ajoutant ce qui l'amenoit, avec quelque propos obligeant. Aussitôt l'archevêque, qui avoit à la main sa calotte rouge, la présenta au Roi, ôta la noire qu'il avoit sur la tête, se baissa tout le plus bas qu'il lui fut possible, et reçut sur sa tête la rouge des mains du Roi; après quoi, il lui fit une profonde révérence, et quelques mots

1. Saint-Simon écrit gouspillon. Si l'on rapproche ce texte de notre auteur d'un autre de Mme de Sévigné cité par le Littré, on voit que goupillon peut être employé au figuré pour signifier le reste ou les suites d'une cérémonie.

2. « On dit que l'évêque de Soissons est allé en poste à Reims pour engager l'archevêque à signer le Corps de doctrine » (Gazette d'Amsterdam, 1720, Extraordinaire xxiv).

3. Cette date est restée en blanc dans le manuscrit. Sur cette cérémonie, voyez le Journal de Dangeau, tome XVIII, p. 252 et 253; les Correspondants de Balleroy, tome II, p. 137; la Gazette d'Amsterdam,

n° xxvi.

Sécheresse

où ces Mémoires

vont tomber, et ses causes".

Chute

de remerciements. Alors M. le duc d'Orléans l'appela Monsieur le cardinal, lui fit son compliment, et ce qui étoit dans la chambre. Tout cela fut extrêmement court. Nous fimes tous deux la révérence, et nous nous en allâmes. Le cardinal se contint tant qu'il put; mais il ne touchoit pas à terre. Je le remenai chez lui au bout du PontRoyal'. Ainsi finit cette longue et mystérieuse affaire2.

Nous voici arrivés à une époque bien curieuse; mais quel dommage que Torcy n'ait pas poussé plus loin qu'il n'a fait le recueil des extraits des lettres que le secret de la poste lui ouvroit3, et quel déplaisir de ce que le crédit imposant et toujours augmentant de l'abbé Dubois sur M. le duc d'Orléans ne lui permettoit plus sa confiance accoutumée pour ceux qui lui étoient le plus fidèlement attachés Ce double malheur privera désormais ces Mémoires des plus curieuses connoissances. Je n'y veux et n'y puis écrire que ce qui a passé sous mes yeux ou ce que j'ai appris de ceux-là même par qui ont passé les affaires. J'aime mieux avouer franchement mon ignorance que de hasarder des conjectures qui sont souvent peu différentes des romans; c'est où j'en serai souvent réduit désormais; mais je préfère la honte de l'avouer et d'en avertir pour le reste de ces Mémoires, à me faire de déplorables illusions, et tromper ainsi mes lecteurs, si tant est que ces Mémoires voient jamais le jour.

Les tyrans et les scélérats ont leur terme; ils ne peuvent

1. Il a été parlé de cette maison, contiguë à l'hôtel de Mailly, dans le tome XXIX, p. 10.

2. Cette dernière phrase semble avoir été ajoutée après coup à la fin du paragraphe.

3. Ce regret a déjà été exprimé dans le tome XXXIV, p. 282-283, et nous avons dit alors, et dans la note de la page 280, pourquoi Torcy n'avait pu continuer ses extraits; voyez aussi tome XXXVI, p. 298.

Il avait d'abord inserit ici: Chutte du card. Alberoni, qui passe en Italie; il a biffé cette manchette, qui se retrouvera plus loin, pour écrire celle que nous imprimons.

« PreviousContinue »