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Law, retourné

du

toutes les bassesses les plus rampantes, les plus viles, les plus continuelles. Ils gagnèrent en cette translation un grand louage, de nouvelles facilités et de nouveaux tributs'. Law, leur grand ami, qui avoit logé quelques jours au Palais-Royal, étoit retourné chez lui, où il recevoit force visites. Le Roi alla voir à diverses reprises les troupes qu'on avoit fait approcher de Paris, après quoi approchées de elles furent renvoyées. Celles qui avoient formé un petit camp à Charenton retournèrent au leur de Montargis travailler au canal qu'on y faisoit.

Palais-Royal chez lui, fort

visité.

Les troupes

Paris

renvoyées.

Peste

de Marseille.

Law avoit obtenu depuis quelque temps par des raisons de commerce que Marseille fût port franc. Cette franchise y fit abonder les vaisseaux, surtout les bâtiments de Levant, [qui] y apportèrent la peste faute de précaution, qui dura longtemps, et qui désola Marseille, la Provence,

5

1. L'avocat Barbier (Journal, p. 58) donne des détails sur le « grand louage » du prince de Carignan : « Tout autour [du jardin], on a fait des loges, toutes égales, propres et peintes, ayant une porte et une croisée avec le numéro au-dessus de la porte. C'est de bois; il y en a cent trente-huit, avec deux entrées, l'une dans la rue de Grenelle, et l'autre dans la rue des Deux-Écus, des suisses de la livrée du Roi aux portes et des corps de garde, avec une ordonnance du Roi pour ne laisser entrer ni artisans, ni laquais, ni ouvriers. Ce sont deux personnes qui ont entrepris cela, peut-être au profit de la Banque. Ils donnent cent cinquante mille livres à M. le prince de Carignan; il leur en coûte encore cent mille livres pour l'accommodement, et chaque loge est louée cinq cents livres par mois. » Comparez les Mémoires de Mathieu Marais, p. 359.

2. Saint-Simon doit se tromper; car Dangeau écrivait au contraire le 3 août : « M. le duc d'Orléans a donné un logement dans le PalaisRoyal à M. Law. »

3. Il alla le 5 août au camp de Charenton, et peut-être à SaintDenis (Dangeau, p. 331, 332 et 333; Journal de Barbier, p. 60; Gazette d'Amsterdam, no LXVI).

4. C'est une affirmation erronée; Marseille était port franc depuis la déclaration du 12 août 1669, par laquelle Louis XIV lui avait accordé ce privilège.

5. Le manuscrit porte : « Cette franchise qui y fit abonder les vaisseaux, surtout les bâtiments du Levant, y apportèrent »; nous supprimons le qui mal placé, pour le remettre à sa place logique.

et les provinces les plus voisines1. Les soins et les précautions qu'on prit la restreignirent autant qu'il fut possible, mais ne l'empêchèrent pas de durer fort longtemps, et de faire d'affreux désordres. Ce sont des détails si connus qu'on se dispensera d'y entrer ici.

1. La première annonce du fléau parvint au public parisien par le numéro du 6 août de la Gazette d'Amsterdam qui publiait une lettre de Marseille du 19 juillet. Dangeau le nota le 8 (p. 334); notre Gazette n'en parla jamais, et le Mercure seulement en novembre, et assez sobrement. Les Mémoires de Mathieu Marais donnent de nombreux détails (tomes I, p. 368, 387-388, 391, 394, 405, 413, 454, et II, p. 15, 39, 125, 142, 270, 291); Barbier ne s'en inquiète qu'en 1721. Il y a de longues lettres du mois de septembre dans la Gazette d'Amsterdam, Extraordinaires LXXXIII et LXXXIV. On trouvera encore des renseignements dans les manuscrits Français 12067, et Nouv. acq. franç. 22 930 à 22 934 et 22 943 de la Bibliothèque nationale, dans le ms. Arsenal 4258, fol. 61-109, dans les mss. 866-868 de la bibliothèque d'Aix-en-Provence, dans les cartons G7 1729 à 1745 des Archives nationales. Le Cabinet historique, tome XI (1865), première partie, p. 175-178, a reproduit une curieuse lettre de Mgr de Belsunce (27 septembre), dont on connaît le dévouement dans cette calamité de sa ville épiscopale. Il parut en 1820 en deux volumes à Marseille un recueil de Pièces historiques sur la peste de Marseille, et MM. Paul Gaffarel et le marquis de Duranty ont publié en 1911 La Peste de 1720 à Marseille et en France, d'après des documents inédits, gros volume de plus de six cents pages.

2. C'était la neuvième épidémie de peste qui ravageait Marseille depuis 1476; on prétendit que le nombre des victimes avait atteint quarante mille. Le fléau dura plus de dix-huit mois, et ce fut seulement le 12 février 1723 qu'on chanta à Notre-Dame un Te Deum de délivrance (Mathieu Marais, tome II, p. 411). Dans tous les pays qui avoisinaient la Provence, on prit des précautions rigoureuses pour prévenir l'extension du mal; voyez notamment pour Bordeaux les Archives historiques de la Gironde, tome LIV, p. 113-115. Notre Gazette, qui ne disait rien de ce qui se passait dans notre midi, insérait dans ses correspondances de Rome les mesures énergiques prises par le gouvernement pontifical: p. 428, 452, 477, 488-489, 512, 525. En août 1723, le peintre de Serre exposa deux grands tableaux représentant au naturel des scènes de la peste de Marseille; mais en France on les trouva trop réalistes; personne n'en voulut, et ils furent achetés par des Anglais (Mathieu Marais, tome III, p. 31; Mercure d'août 1723, p. 410-414).

APPENDICE

PREMIÈRE PARTIE

ADDITIONS DE SAINT-SIMON

AU JOURNAL DE DANGEAU

1616. L'abbé de Tencin et sa sœur.

(Page 2.)

17 novembre 1719. Law visoit au grand, ou plutôt l'abbé Dubois, et M. le duc d'Orléans pour lui; mais tout étoit impossible sans changer de religion et sans être naturalisé. Il fallut donc commencer par le premier pas. L'abbé Tencin étoit frère d'un président du parlement de Grenoble et de deux sœurs : l'une qui a passé sa vie à Paris dans les meilleures compagnies de la ville, femme d'un M. Ferriol demeuré assez ignoré et bellesœur de celui qui a été ambassadeur à Constantinople; l'autre religieuse professe pendant plusieurs années dans les Augustines de Montfleury, aux environs de Grenoble. Toutes deux belles, aimables, Mme Ferriol avec plus de douceur et de galanterie, l'autre avec infiniment plus d'esprit, d'intrigue et de débauche. Elle attira bientôt les meilleures compagnies de Grenoble à son couvent, dont la facilité de l'entrée et de la conduite ne put jamais être réprimée par tous les soins du cardinal de Camus, et par la commodité de trouver, au bout de la plus belle promenade d'autour de Grenoble, un lieu de soi-même extrêmement agréable, et où toutes les meilleures familles de la ville avoient des religieuses. Tant de commodités, dont Mme Tencin abusa largement, ne firent que lui appesantir le peu de chaînes qu'elle portoit. On la venoit trouver avec tout le succès qu'on eut pu desirer ailleurs; mais un habit de religieuse, une ombre de régularité, quoique peu contrainte, une clòture, bien qu'accessible à toutes les visites des deux sexes, mais d'où elle ne pouvoit sortir que de temps en temps, étoient une gêne insupportable à qui vouloit nager en grande eau, et à qui se sentoit des talents pour faire un personnage par l'intrigue. Quelques raisons pressantes de dérober les suites de ses plaisirs à une communauté qui ne peut s'empêcher d'être scandalisée des éclats du désordre et d'agir en con

séquence, ne fut-ce que par un honneur auquel on ne peut entièrement renoncer, tout cela la hâta de sortir de son couvent sous quelque prétexte, avec ferme résolution de n'y plus rentrer. L'abbé Tencin et elle ne furent jamais qu'un cœur et qu'une âme par la conformité des leurs, si tant est que cela se puisse appeler en avoir. Il fut son confident, et il sut la servir si bien par son esprit et par ses intrigues, qu'il la soutint bien des années au milieu de la vie, des plaisirs et des désordres du monde, dans la province et jusqu'au milieu de Paris, sans avoir changé d'état. Elle fit même beaucoup de bruit par son esprit et par des aventures sous le nom de « la religieuse Tencin », et le frère et la sœur eurent l'art que personne ne l'entreprit sur cette vie vagabonde et débauchée d'une religieuse professe, qui en avoit même quitté jusqu'à l'habit de sa seule autorité. On feroit un livre de la vie de cette créature, qui ne laissa pas de se faire des amis par les charmes de son corps, et même plus par ceux de son artificieux esprit. Vers la fin du dernier règne, elle et son frère trouvèrent enfin moyen d'obtenir de Rome un changement d'état, et de religieuse de la faire chanoinesse, je ne sais plus d'où, et où elle n'alla jamais. Cette solution demeura imperceptible en nom, en habit, en conduite, et ne fit ni bruit ni changement. C'est l'état où la mort du Roi la trouva, et où, fort peu après, elle devint la maîtresse de l'abbé Dubois, et bientôt la confidente, puis la directrice de la plupart de ses secrets et de ses desseins. Cela demeura assez longtemps caché, et tant que la fortune de cet abbé eut besoin de quelques mesures; mais, depuis qu'il fut archevêque, et encore plus, dès qu'il fut cardinal, elle devint maîtresse publique, dominant chez lui à découvert et tenant une cour chez elle comme étant le véritable canal des grâces et de la fortune. Ce fut donc elle qui fit celle de son frère bien-aimé, qu'elle fit bientôt connoître à son amant secret, lequel ne tarda pas à le goûter comme un homme si fait exprès pour le seconder en toutes choses et lui être singulièrement utile. Un esprit vaste, mâle, hardi, entreprenant, surtout incapable de se rebuter d'aucune difficulté, et d'une patience de plusieurs vies, mais toujours agissante vers son but, sans jamais s'en détourner; un esprit plein de ressorts et de ressources, bien souple, fin, discret, doux et âpre selon le besoin, et capable sans effort de toutes sortes de formes; maître en artifices, contempteur souverain de tout honneur et de toute religion, en gardant soigneusement tous les dehors de l'une et de l'autre ; fier et bas toujours selon les gens et les occurences, et toujours avec esprit et discernement; d'une ambition démesurée, et surtout altéré d'or, non par avarice ni par desir de dépenser ou de paroître, mais comme voie abrégée de parvenir à tout. Il joignoit quelque savoir et tous les agréments de la conversation, des manières et du commerce, à une singulière souplesse et à un grand art de cacher avec jugement tout ce qu'il ne vouloit pas être aperçu. Ce ne fut donc pas merveilles si, produit et secondé par une sœur maîtresse, il fut admis par un ministre avec lequel il avoit de si essentiels rapports. Tel fut l'apôtre d'un prosélyte

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