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des sceaux. Je lui répondis qu'avec sa permission je pensois tout autrement. « Comment, m'interrompit-il vivement, me ferez-vous accroire que vous auriez été aussi mou que le Chancelier, et que vous ne leur eussiez pas fait peur? Ce n'est pas cela, repris-je; mais vous n'ignorez pas à quel point je suis avec le premier président, et que je ne suis pas agréable au Parlement depuis la belle affaire du bonnet, où votre mollesse et votre peur du Parlement, vous qui aujourd'hui la reprochez aux autres, nous a mis dans la fange, et vous dans le bourbier, par l'audace et l'intérêt du Parlement, du premier président et de leur cabale, après qu'ils ont eu reconnu par là, dès l'entrée de votre régence, à qui ils avoient affaire et comment vous manier; aussi s'y sont-ils donné ample carrière. Vous les aviez abattus par le lit de justice des Tuileries; vous ne l'avez pas soutenu; cette conduite leur a remis les esprits, et la cabale tremblante a repris force et vigueur. Cette courte récapitulation ne seroit pas inutile, si à la fin vons en pouviez et saviez profiter. Mais revenons à moi et aux sceaux. Persuadez-vous, Monsieur, que, si ces gens-là se montrent si revêches à un magistrat nourri dans leur sein, qui est leur chef et leur supérieur naturel, qu'ils aiment et dont ils se savent aimés, persuadezvous, dis-je, qu'ils se seroient montrés encore plus intraitables avec un supérieur précaire, regardé par eux comme un supérieur de violence, sans qualité pour l'être, revêtu d'une dignité qu'ils haïssent et qu'ils persécutent avec la dernière audace et la plus impunie; homme d'épée, qui est leur jalousie et leur mépris tout à la fois, et homme que personnellement ils haïssent et dont ils se croient haïs. Ils auroient pris pour une insulte d'avoir à traiter avec moi; leur cabale auroit répandu cent mauvais discours; les députés, par leurs propos, auroient exprès excité les miens, et tout le monde vous auroit reproché et la singularité d'un garde des sceaux d'épée, et le mauvais choix d'une manière d'ennemi pour travailler à une conciliation.

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Voilà ce qui en seroit résulté, c'est-à-dire un bien plus grand embarras pour vous, et un très désagréable pour moi. Ainsi, n'ayez nul regret à mon refus. Tenez-le, au contraire, pour un avantage, qui vous est clairement démontré par l'occasion présente, et ne regrettez que de n'avoir pas eu sous la main un magistrat estimé, royaliste et non parlementaire, à faire garde des sceaux; mais, cela ne s'étant pu trouver, vous avez fait la seule chose naturelle à faire, en rappelant et rendant les sceaux au Chancelier, et à un homme de ce mérite et de cette réputation, puisque, pour d'autres raisons, vous les avez voulu ôter à celui qui les avoit, et qui étoit votre vrai homme, tel qu'il vous le falloit dans les circonstances présentes, et, pour le bien dire, au vol que le Parlement a pris et veut prendre de plus en plus, l'homme pour qui les sceaux étoient le plus faits pendant une régence. Mais il faut partir d'où on est: avez-vous quelque plan formé pour sortir bien du détroit où vous êtes? Il faut laisser le passé, et voir ce qu'il y a à faire. >>

M. le duc d'Orléans demeura muet sur les sceaux, se rabattit encore sur le Chancelier, et me dit qu'il ne voyoit autre chose à faire que d'envoyer le Parlement à Blois. Je lui dis que cela étoit bon faute de mieux, non que j'imaginasse ce mieux, mais que je voyois avec peine que, par cet exil, le Parlement étoit puni, mais n'étoit ni ramené ni dompté. Le Régent en convint; mais il espéra que ces magistrats, accoutumés à Paris dans leurs maisons, leurs familles, leurs amis, se lasseroient bientôt d'en être séparés, se dégoûteroient de n'être plus qu'entre eux, s'ennuieroient encore plus de la dépense de l'éloignement de chez eux, et de la diminution du sac1 par celle des affaires, qui suivroit nécessairement leur transplantation. Cela étoit vrai, et, comme on ne pouvoit autre chose, il falloit bien s'en contenter. Je lui proposai ensuite de bien exa1. C'est-à-dire, des profits et des épices des procès; on sait que les pièces se mettaient dans des sacs.

miner tout ce qui pouvoit arriver, les remèdes prompts et sûrs à y apporter, parce [qu']il valoit sans comparaison mieux' ne rien entreprendre que demeurer court et avoir le démenti de ce qu'on auroit entrepris, qui seroit la perte radicale de toute l'autorité. Il me dit qu'il y avoit déjà pensé, qu'il y réfléchiroit encore, qu'il comptoit tenir un petit conseil le lendemain au Palais-Royal, où il vouloit que j'assistasse, où tout seroit discuté. Il se mit après sur les maréchaux de Villeroy, Villars, Huxelles, et sur quelques autres moins marqués, et ces propos terminèrent cette conversation.

Petit conseil

tenu au Palais-Royal.

de Silly.

J'allai donc le lendemain jeudi 18 juillet, sur les quatre heures, au Palais-Royal. Ce conseil fut tenu dans une pièce du grand appartement, la plus proche du grand Impudence salon, avec Monsieur le Duc, le duc de la Force, le Chancelier, l'abbé Dubois, Canillac, la Vrillière et le Blanc 2. On étoit assis vers une des fenêtres, presque sans' ordre, et M. le duc d'Orléans sur un tabouret comme nous et sans table. Comme on commençoit à s'asseoir, M. le duc d'Orléans dit qu'il alloit voir si quelqu'un n'étoit point là auprès, qu'il ne seroit pas fâché de faire venir, et l'alla chercher. Ce quelqu'un étoit Silly, de la catastrophe duquel j'ai parlé ailleurs d'avance, ami intime de Law, de Lassay, de Madame la Duchesse, qui le fit chevalier de l'Ordre depuis, et qui étoit fort intéressé avec eux. Il en. tra donc à la suite de M. le duc d'Orléans, qui l'avoit relaissé dans son petit appartement d'hiver, et vint jusque tout contre nous. Je ne sais, et j'ai depuis négligé d'apprendre, ce qu'il avoit contre le Blanc; mais, dès qu'il l'avisa: «Monseigneur, dit-il en haussant la voix à M. le

1. Mieur, oublié, a été remis en interligne.

2. Dangeau n'a pas noté ce petit conseil, qu'il ignora sans doute. 3. Le mot sans est répété deux fois, par mégarde.

4. Jacques-Joseph Vipart, marquis de Silly: tome XII, p. 190.

5. Ibidem, p. 193-198.

6. Ci-dessus, p. 345.

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duc d'Orléans, je vois ici un homme, en regardant le Blanc, devant' qui on ne peut parler, et avec lequel Votre Altesse Royale trouvera bon que je ne demeure pas. Elle m'avoit fait la grâce de me dire que je ne le trouverois pas ici. » Notre surprise à tous fut grande, et le Blanc fort étonné. « Bon bon ! répondit M. le duc d'Orléans, qu'est-ce que cela fait? Demeurez, demeurez, Non pas, s'il vous plaît, Monseigneur,» reprit Silly, et s'en alla. Cette incartade nous fit tous regarder l'un l'autre. L'abbé Dubois courut après, le prit par le bras pour le ramener. Comme la pièce est fort grande, nous voyions Silly secouer Dubois et continuer son chemin, enfin passer la porte, et Dubois après lui. « Mais quelle folie ! » disoit M. le duc d'Orléans, qui avoit l'air embarrassé, et qui que ce soit qui dît un mot, excepté le Blanc, qui offrit à M. le duc d'Orléans de se retirer, qui ne le voulut pas. A la fin M. le duc d'Orléans alla chercher Silly; son absence dura près d'un quart d'heure, apparemment à catéchiser Silly, qui méritoit mieux, pour cette insolence, d'être jeté par les fenêtres, comme lui-même s'y jeta depuis. Enfin M. le duc d'Orléans rentra, suivi de Silly et de l'abbé Dubois.

Pendant l'absence personne n'avoit presque rien dit que s'étonner un peu de l'incartade et de la bonté de M. le duc d'Orléans. Monsieur le Duc ne proféra pas un mot. Silly se mit donc dans le cercle, au plus loin qu'il put de le Blanc, et, en s'asseyant, combla l'impudence par dire à M. le duc d'Orléans que c'étoit par pure obéissance, mais qu'il ne diroit rien, parce qu'il ne le pouvoit devant M. le Blanc. M. le duc d'Orléans ne lui répondit rien, et tout de suite ouvrit la conférence par expliquer ce qui la lui avoit fait assembler par un récit fort net de l'état des

1. Devant est en interligne, au-dessus d'avec, biffé.

2. « Catéchiser signifie figurément tâcher de persuader quelque chose à quelqu'un, lui dire toutes les raisons qui peuvent l'induire à faire une chose » (Académie, 1718).

3. Voyez le récit de sa mort dans notre tome XII, p. 197-198.

choses, de la nécessité de prendre promptement un parti, de celui qui paroissoit le seul à pouvoir être pris, et finit par ordonner au Chancelier de rendre compte à l'assemblée de tout ce qui s'étoit passé chez lui avec les cinq députés du Parlement susdits. Le Chancelier en fit le rapport assez étendu avec l'embarras d'un arrivant d'exil qui n'y veut pas retourner, et d'un protecteur secret, mais de cœur et de toute son âme, du Parlement qu'il voyoit bien ne pouvoir sauver. Ce ne fut donc qu'en balbutiant qu'il conclut la fin de son discours: que les conjonctures forcées où on se trouvoit jetoient dans une nécessité triste et fâcheuse, sur quoi il n'avoit qu'à se rapporter à la prudence et à la bonté de Son Altesse Royale. Tous opinèrent à l'avis de M. le duc d'Orléans, qui s'étoit ouvert sur envoyer le Parlement à Blois. Monsieur le Duc, le duc de la Force et l'abbé Dubois parlèrent fortement; les autres, quoique de même avis, se mesurèrent davantage et furent courts. Je crus ne devoir dire que deux mots sur une affaire résolue qui regardoit le Parlement. Silly tint parole, et ne fit qu'une inclination profonde quand ce fut à lui à opiner. De là on parla sommairement des précautions à prendre pour être sûrement obéi; puis on se leva. Alors le Chancelier s'approcha de M. le duc d'Orléans, et lui parla quelque temps en particulier. L'abbé Dubois s'y joignit sur la fin, et cependant chacun s'écouloit. Monsieur le Duc fut appelé. Enfin je sus qu'il s'agissoit de Pontoise au lieu de Blois, et cela fut emporté le lendemain matin. Ainsi le châtiment devint ridicule et ne fit que montrer la foiblesse du gouvernement, et encourager le Parlement, qui s'en moqua. Néanmoins ce qui s'étoit passé en ce petit conseil demeura tellement secret, que le Parlement n'eut pas la plus légère connoissance de ce qui y fut résolu que par l'exécution.

Le dimanche 21 juillet, des escouades du régiment des gardes avec des officiers à leur tête se saisirent à quatre

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