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Les sceaux redemandés à Argenson et rendus

au

Chancelier. [Add. S-S. 1678]

crédit de M. le duc d'Orléans, et lui en faire briller aux yeux les grâces, la confiance, le retour actuel avec les sceaux, s'il se vouloit résoudre de bonne grâce à ce qu'on desiroit de lui. Trois ans et demi de séjour à Fresnes' avoient adouci les mœurs d'un chancelier de cinquante ans, qui avoit compté que, parvenu de si bonne heure à la première place, il en jouiroit et avanceroit sa famille. Ces espérances se trouvoient ruinées par l'exil, et il se trouvoit beaucoup plus éloigné de l'avancer et d'accommoder ses affaires domestiques que s'il fût demeuré procureur général. Conflans profita de ces dispositions, qui ne lui étoient pas inconnues, et que l'ennui de l'exil grossissoit. Le beau parler de Law trouva des oreilles bien disposées. Le Chancelier s'accommoda à tout, et le public, quand il en fut informé, le reçut froidement, et s'écria : Et homo factus est3.

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M. le duc d'Orléans, certain du bon succès du voyage, envoya, le vendredi 7 juin, l'abbé Dubois demander les sceaux à Argenson, qui les rapporta à M. le duc d'Orléans l'après-dinée du même jour, et, comme il les avoit non en

1. Deux ans et demi seulement l'exil datait du 28 janvier 1718 (notre tome XXXIII, p. 40).

2. Ce mot est répété deux fois, à la fin d'une ligne et au commencement de la suivante.

3. Jean Buvat (Journal, p. 113-114) raconte que ce mot fut affiché quelques jours plus tard sur la porte de la Chancellerie à la place Vendôme; voyez aussi les Mémoires de Mathieu Marais, p. 334. Dans un noël de cette année (Raunié, Chansonnier historique du dix-huitième siécle, tome III, p. 282), on lit ce couplet :

De son apostasie
Daguesseau tout confus

Se cache et s'humilie.

« Sortez, lui dit Jésus. »

« Si l'on m'amène à vous, Seigneur, c'est avec peine,
Sans vertu, sans renom, don, don,

J'ai perdu tout cela, la, la,

En revenant de Fresne. »

4. Certain est en interligne, au-dessus d'informe, biffé.

5. « M. le Régent envoya dire à M. le Garde des sceaux qu'il n'avoit

commission à l'ordinaire, mais en charge enregistrée au
lit de justice des Tuileries, il en remit en même temps sa
démission'. Il ne jouit donc
jouit donc pas longtemps du fruit de son
insigne malice: les amis de Law, après le premier feu
passé, la firent sentir au Régent, tirèrent sur le temps, et
culbutèrent le Garde des sceaux, sans que l'abbé Dubois,
qui, entre lui et Law, nageoit entre deux eaux, osât sou-
tenir son ancien ami. Le Chancelier arriva dans la nuit
qui suivit la remise des sceaux, alla sur le midi au Palais-
Royal, suivit M. le duc d'Orléans aux Tuileries, où le
Roi lui remit les sceaux2; mais, comme il les dut à Law,
qui le ramena de Fresnes, ce retour fit la première brèche
à une réputation jusque-là la plus heureuse, et qui n'a
cessé de baisser depuis, et de tomber tout à fait par divers
degrés et par différents événements.

Argenson n'avoit pas perdu son temps; il étoit né pauvre, il se retira riche, ses enfants tout jeunes bien pourvus, en place avant l'âge, son frère chargé de bénéfices". Il témoigna une grande tranquillité, qui dans peu lui coûta la

qu'à lui rapporter les sceaux. M. d'Argenson y alla sans hoquetons
par
la cour des cuisines, et il attendit le Régent qui étoit allé à Saint-
Cloud » (Journal de Barbier, édition Charpentier, tome I, p. 39).

1. Dangeau, p. 299-300. Le marquis d'Argenson, dans ses Mémoires, ne donne pas de détails sur la révocation de son père, si ce n'est pour faire son éloge.

2. Tous les contemporains parlent de ce rappel de Daguesseau et plusieurs notent la satisfaction du public : Dangeau, p. 299-300; Journal de Barbier, p. 40-41; Journal de Buvat, tome II, p. 98; Mémoires de Mathieu Marais, tome I, p. 270-272; du maréchal de Villars, tome IV, p: 138; notes du greffier du Parlement, registre U 363; Gazette d'Amsterdam, no XLIX et Extraordinaire; etc. Mathieu Marais raconte (p. 271-272) l'entrevue du Chancelier avec le Roi, qui fut assez froide de la part du jeune monarque.

3. François-Élie de Voyer d'Argenson (tome XXVI, p. 97) était passé en mai 1719 de l'archevêché d'Embrun à celui de Bordeaux et reçut l'abbaye de Relecq, dans l'évêché de Saint-Pol-de-Léon, qui valait seize mille livres de rente, en même temps que son frère était disgracié (Dangeau, p. 40 et 302).

Retraite d'Argenson

en très bon

ordre et fort singulière.

vie ', sort ordinaire de presque tous ceux qui se survivent à eux-mêmes. Sa retraite fut sans exemple: ce fut dans un couvent de filles dans le faubourg Saint-Antoine, qui s'appelle la Madeleine de Traînel, où il s'étoit accommodé depuis longtemps un appartement dans le dehors, qu'il avoit rendu beau et complet, commode comme une maison, où il alloit tant qu'il pouvoit depuis longues années. Il avoit procuré, même donné beaucoup à ce couvent, à cause d'une Mme de Veyny, qui en étoit supérieure, qu'il disoit sa parente, et qu'il aimoit beaucoup. C'étoit une personne fort attrayante, et qui avoit infiniment d'esprit, dont on ne s'est point avisé de mal parler 3. Tous les Argensons lui faisoient leur cour; mais ce qui étoit étrange, c'est que, étant lieutenant de police, elle sortoit lorsqu'il étoit malade pour venir chez lui et demeurer auprès de lui. Il conserva le rang, l'habit et toutes les marques

1. Nous le verrons mourir le 6 mai 1721 (suite des Mémoires, tome XVII de 1873, p. 237).

2. Tout cela a déjà été raconté dans le tome XXXIII, p. 144–145. M. de Caumartin de Boissy écrivait à la marquise de Balleroy (tome II, p. 172): « La maison du faubourg paroît très étonnante à tout le monde; on trouve que c'est trop se mettre au-dessus des discours du public, qui de son côté s'en venge cruellement. Il faut, lorsqu'on perd les grandes places, du moins se conserver l'estime. »>

3. Assertion étonnante de la part de notre auteur. Tous les contemporains au contraire parlent du scandale de cette liaison, et les couplets satiriques abondent. Barbier reproduit cette affiche, placardée dans Paris lors de la disgrâce de M. d'Argenson : « Il a été perdu un grand chien noir avec un collier rouge et les oreilles plates. Ceux qui le trouveront s'adresseront à l'abbesse de Traînel, et on les récompensera. » Buvat (p. 102) en donne un autre texte, de même que Mathieu Marais (p. 320). Cependant le maréchal de Villars (Mémoires, tome IV, p. 138) se rapproche de Saint-Simon : « Peut-être qu'il n'y avoit, dit-il, aucun commerce de galanterie; mais enfin la prieure avoit été très belle, elle l'étoit encore et avoit beaucoup d'esprit. Quoi qu'il en soit, ils s'étoient mis tous deux au-dessus des raisonnements du public.

4. Le verbe estoit a été répété deux fois par erreur, et biffé la seconde.

5. Particularité que notre auteur est seul à rapporter.

de garde des sceaux, mais pour sa chambre; car il n'en sortit plus que deux ou trois fois pour aller voir M. le duc d'Orléans par les derrières, qui lui continua toujours beaucoup de considération; l'abbé Dubois aussi, qui le fut voir plusieurs fois; il alla voir le Chancelier une fois. Hors deux ou trois amis particuliers et sa plus étroite famille, il ne voulut voir personne, et s'ennuya cruellement*. C'est ce même couvent dont, après sa mort, et cette même Mme de Veyny, dont Mme la duchesse d'Orléans a depuis fait ses délices".

L'après-dînée du jour que les sceaux furent rendus au chancelier Daguesseau, il assista à une assemblée fort singulière qui fut tenue par M. le duc d'Orléans, où se trouvèrent le maréchal de Villeroy, seul du conseil de régence, des Forts, Ormesson, beau-frère du chancelier',

1. « M. d'Argenson a obtenu un brevet du Roi qui le maintient dans les honneurs de garde des sceaux, avec les appointements de vingt mille écus. C'est qu'il avoit les sceaux par une charge créée en sa faveur, et cette charge n'est point supprimée. Ces honneurs sont d'avoir les marques de la dignité dans ses armes, de pouvoir porter sa robe violette, d'avoir ses entrées au Louvre, et de prendre place au Conseil, s'il y vient, après le Chancelier » (Mémoires de Mathieu Marais, p. 283; voyez les Correspondants de Balleroy, p. 174-175). Le brevet, daté du 7 juin, est dans le registre 01 64, fol. 159. La question de la place au Conseil émut beaucoup Saint-Simon, qui était bien décidé à ne pas laisser Argenson précéder les ducs: voyez sa lettre du 15 juin dans le tome XIX de l'édition des Mémoires de 1873, p. 296. 2. Le fut corrige l'alla.

3. Dangeau ne mentionne aucune de ces visites.

4. A peine destitué, il choisit sa sépulture aux Théatins et leur donna par contrat dix mille écus, en fondant trois grands-messes annuelles une à la Saint-Philippe pour le Régent, une pour lui à la Saint-René, et la troisième à la Saint-Marc pour la république de Venise, où il était né (Les Correspondants de Balleroy, p. 177).

:

5. La maison que la duchesse d'Orléans occupa auprès du couvent a été déjà mentionnée dans le tome XXXVI, p. 201.

6. Tout ceci est la copie de l'article du Journal de Dangeau du 8 juin (p. 300).

7. Mme Daguesseau était sa sœur.

Conférence

de finance singuliere au PalaisRoyal. Création de rentes à

pour cent

enregistrée.

Des Forts

deux et demi et Gaumont, tous trois conseillers d'État et ayant des départements de finance de la dépouille de Law', les cinq Diminution députés du Parlement susdits pour les remontrances, qui des espèces étoient le premier président, les présidents Aligre et Portail, et deux conseillers clercs de la grand chambre, les abbés Pucelle et Menguy, et la Vrillière, en cas qu'on eût besoin de plume et qu'il y eût des ordres à donner ou quatre frères des expéditions à faire. Le fruit de cette conférence fut l'enregistrement de l'édit de création de rentes sur l'hôtel de ville à deux et demi pour cent, qui fut fait au Parlement le surlendemain lundi 10 juin, qui fut publié le lendemain3.

presque contrôleur général. Les

Paris exilés.

1. Jean-Baptiste de Gaumont (tome XXIX, p. 65) n'était pas conseiller d'État. Il était un des quatre administrateurs des fermes générales, et on a vu ci-dessus, p. 316, note 1, qu'il avait été nommé le 14 juin commissaire des finances avec M. d'Ormesson.

2. Nous donnerons plus loin à l'appendice VII le récit de cette conférence du samedi 8 juin, dont le premier président rendit compte au Parlement le 10; on y verra que Dangeau, et par conséquent SaintSimon, s'est trompé sur les noms de ceux qui y assistèrent outre les cinq députés du Parlement, le Régent et le Chancelier, il ne s'y trouva que les ducs de Chartres et de Bourbon, et MM. le Peletier des Forts et de la Vrillière; du moins le premier président ne nomma ni M. d'Ormesson et M. de Gaumont, ni le maréchal de Villeroy.

3. Dans le courant de 1719, le Régent, profitant de la grande vogue des actions du Mississipi et des billets de la banque de Law, avait remboursé un grand nombre de charges vénales (nous avons vu dans le tome XXXVI, p. 303 et suivantes qu'il avait même songé à rembourser celles du Parlement) et aussi la majeure partie des rentes sur les aides et gabelles, l'hôtel de ville, le clergé, etc.; mais ces remboursements avaient été faits en billets de banque, ce qui en avait aggravé l'inflation d'une façon énorme. Lorsque, en 1720, le décri de ces billets se produisit, les anciens porteurs de rente réclamèrent de toutes leurs forces. Il fallut les calmer, et d'autre part il était indispensable de réduire le nombre extrême des billets de banque. C'est à quoi prétendit parer l'édit que le Parlement enregistra le 10 juin. Il créait vingt-cinq millions de rentes au denier quarante, c'est-à-dire à deux et demi pour cent, qui ne pouvaient être acquises que par les anciens porteurs de rentes remboursées, et devaient être payées au moyen des billets de banque ou récépissés du Trésor royal qu'ils avaient reçus en échange. Une déclaration explicative, promulguée le 19 juin, fut enregistrée au Parlement le 22.

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