Page images
PDF
EPUB

Prince

épouse

une aventurière angloise

[Add SS. 1619]

sents étoient en billets, qui valoient tout courant leur montant en or, mais qu'on lui préféroit.

Cette soif de l'or fit faire un singulier mariage au prince d'Auvergne d'Auvergne, nom que le chevalier de Bouillon avoit pris depuis quelque temps'. Une Mlle Trant, Angloise, qui se disoit demoiselle, et prétendoit être à Paris à cause de la religion', s'étoit fourrée par là chez Mme d'Alègre, de laquelle j'ai parlé plus d'une fois'. Elle retira chez elle cette fille d'abord par charité, et la garda longtemps, charmée de son ramage. Elle ne tarda pas à se faire connoître par ses intrigues et par son esprit souple, liant, entreprenant, hardi, qui surtout vouloit faire fortune'. Elle

1. Frédéric-Jules de la Tour d'Auvergne (tome II, p. 128), que nous avons vu recevoir récemment une gratification du Régent (tome XXXVI, p. 246).

2. Catherine-Olive Trant (en France on disait plutôt de Trente ou de Trent, et Saint-Simon adopte cette dernière orthographe) et son frère Laurent, qualifié chevalier, qui figurait parmi les pages de la grande écurie en 1710-12, étaient en effet les enfants d'un gentilhomme qui avait suivi Jacques II en France après la révolution de 1688. Leur père Patrice Trant de Dingle, baronnet du comté de Kerry en Irlande, avait perdu de ce fait une fortune assez considérable et était mort au château de la Tour, en Auvergne, en 1696, ce qui indique des relations anciennes avec les Bouillons; un fils aîné fut tué à Cassano en 1705 (Mercure, octobre 1705, p. 124-128; il y a dans le même recueil, février 1728, p. 378-380, une notice sur les baronnets de Trant). Mlle Trant épousa le prince d'Auvergne le 16 janvier 1720 à minuit; le Roi avait signé au contrat, dont des extraits sont au registre Y 302 des Archives nationales, fol. 178 (Dangeau, p. 189, 206 et 208); elle devint veuve en 1733 et mourut le 27 décembre 1738, à cinquante ans (Gazette de 1739, p. 12).

3. En dernier lieu, tome XXXV, p. 275-276.

4. En 1711, le frère et la sœur adressent au contrôleur général une supplique au sujet des escroqueries dont ils sont victimes de la part du banquier Arthur (Archives nationales, G 1727, lettre de M. d'Argenson du 16 mars). Il semble qu'alors ils étaient dans une situation assez précaire: Mlle Trant, qui avait loué en 1707 pour trois ans un logement de trois cents livres de loyer chez les Hospitalières de la place Royale, le quitte dès Pâques 1708 pour en aller occuper un autre de cent cinquante livres chez les Hospitalières de la Roquette; elle dut

attrapa lestement force Mississipi de Law, qu'elle sut faire très bien valoir'. Ce grand bien donna dans l'œil au prince d'Auvergne, qui avoit tout fricassé. Il cherchoit à se marier sans pouvoir trouver à qui; le décri profond et public où ses débauches l'avoient fait tomber, et d'autres aventures fort étranges, ni sa gueuserie, n'épouvantèrent point l'aventurière angloise. Le mariage se fit, au grand déplaisir des Bouillons'. Elle mena toujours depuis son mari par le nez*, et acquit avec lui des richesses immenses par ce même Mississipi. Il est pourtant mort avec peu de bien, parce qu'il avoit été soulagé de presque tout son

vraisemblablement y habiter jusqu'en juin 1716, où on la voit louer pour trois cents livres un pavillon dans la cour du couvent de l'Assomption, rue Saint-Honoré (Archives nationales, S *7093, fol. 244 vo, 7094, fol. 91 vo et 257, et 7100, fol. 173 vo). Pendant la Régence, Mathieu Marais (Mémoires, tome II, p. 32 et 448) la qualifiait d'intrigante et d'aventurière, et M. de Caumartin de Boissy, tout en la disant «< de très aimable compagnie », ajoutait l'épithète de « fort gaillarde» (Les Correspondants de Balleroy, tome II, p. 123).

1. On lui attribuait alors une fortune de cinq millions, suivant le jeune d'Argenson, qui ajoutait : « Voilà du mariage!» (ibidem, p. 93); voyez aussi la Gazette de Rotterdam de 1720, no III. Amelot, écrivant au cardinal Gualterio le 25 décembre (British Museum, ms. Addit. 20365, fol. 428), parle de « quatre millions gagnés au Mississipi » et ajoute que la demoiselle a « beaucoup d'esprit ».

2. On a déjà rencontré fricasser au figuré dans nos tomes III, p. 197, et VI, p. 327, etc. Quant à donner dans l'œil, le Dictionnaire de l'Académie de 1718 ne connaissait que donner dans les yeux au sens de plaire, avoir un éclat qui surprend; la dernière édition a une meilleure définition: éblouir, séduire, faire une impression vive.

3. Ils n'en eurent peut-être pas tant de déplaisir, puisque la noce se fit à l'hôtel de Bouillon (Dangeau, p. 208). Nous avons dit plus haut que Mile Trant devait être en relations depuis son enfance avec la famille de la Tour d'Auvergne.

4. Locution annotée dans le tome XII, Dès le mois de mai p. 89. qui suivit le mariage, M. de Caumartin de Boissy notait qu'il y avait « de grands tapages entre le comte d'Auvergne et son Angloise » (Les Correspondants de Balleroy, tome II, p. 161). Le mari avait reçu du Régent le justaucorps brodé le 10 février 1720 (Archives nationales, O1 64, fol. 38).

Law se fait garder chez

lui.

portefeuille, que sa femme avoit eu l'adresse de lui faire prêter, et qu'elle a été fort accusée d'avoir mis de côté. Quoi qu'il en soit, il a été perdu pour le mari et pour les siens, sans moyens contre la femme, qui en demeura brouillée avec tous les Bouillons, et qui n'a point eu d'enfants qui aient vécu. Elle chercha, avant et depuis la mort de son mari, à faire un personnage2; mais la défiance la fit rejeter partout. Elle se retrancha donc sur la dévotion", la philosophie, la chimie, qui la tua à la fin, au bel esprit surtout, dans un très petit cercle de ce qu'elle put à faute de mieux.

Avec tout ce florissant Mississipi, il y eut des avis qu'on vouloit tuer Law, sur quoi on mit seize suisses du régiment des gardes chez lui, et huit chez son frère qui étoit depuis quelque temps à Paris.

1. Il y a ait vescu, par mégarde, dans le manuscrit. La princesse d'Auvergne eut au moins deux fils, le 20 décembre 1720 et le 23 août 1725 (Mémoires de Mathieu Marais, tome II, p. 32; Mercure de septembre 1725, premier volume, p. 2108); mais tous deux moururent jeunes.

2. Voyez dans le Journal de Barbier, en mai 1723 (édition Charpentier, tome I, p. 272) une anecdote sur une scène entre elle, le cardinal Dubois et le Régent.

3. Lors de sa mort, le duc de Luynes (Mémoires, tome II, p. 291) disait qu'elle était très janséniste, mais que, d'après le Roi, elle avait fait « abjuration »>.

4. Dangeau, p. 185. Nous verrons la même mesure prise encore à son égard l'année suivante (suite des Mémoires, tome XVII de 1873, p. 91).

5. Guillaume Law, frère du financier, né à Édimbourg le 24 octobre 1675, épousa à Londres, le 3 juillet 1716, Rebecca Desves, et vint en France auprès de son frère. Il eut cinq enfants : Jean, baptisé à Saint-Roch le 3 novembre 1719, Rébecca-Louise, baptisée à SaintNicolas-des-Champs le 23 novembre 1720, Jeanne-Marie, JacquesFrançois et Élisabeth-Jeanne, baptisés à Saint-Philippe-du-Roule les 8 novembre 1722, 27 février 1724 et 18 juin 1723. Guillaume Law fut arrêté en mai 1721, après la déconfiture de son frère. La National Biography ne le fait mourir qu'en 1752; cependant, en 1731, on voit sa veuve intervenir dans le règlement de la succession de Jean Law (Archives nationales, G7 1628). Ce furent ses enfants qui héritèrent

J'ai différé à ce temps, où Pezé1 eut enfin le régiment du Roi-infanterie, à parler plus à fond de lui et de Nangis qui le lui vendit, parce que tous deux ont fait en leur temps une fortune singulière. Celui-ci, porté haut sur les ailes de l'amour et de l'intrigue, déchut toujours; celui-là, avec peu de secours, mais par de grands talents, monta toujours, et par eux touchoit à la plus haute et à la plus flatteuse fortune, lorsque, arrêté au milieu de sa course, il mourut au lit d'honneur2 environné de gloire et d'honneurs qui, lui promettant les plus élevés et les plus distingués, lui laissèrent en même temps voir la vanité des fortunes et le néant de ce monde.

Nangis, avec une aimable figure dans sa jeunesse, le jargon du monde et des femmes3, une famille qui faisoit elle-même le grand monde', une valeur brillante et les propos d'officier, mais sans esprit et sans talent pour la guerre, une ambition de toutes les sortes, et de cette espèce de gloire sotte et envieuse qui se perd en bassesses pour arriver, a longtemps fait une figure flatteuse et singulière par l'élévation de ses heureuses galanteries et par le grand vol des femmes, du courtisan, de l'officier. Ce groupe tout ensemble forma un nuage qui le porta longtemps avec éclat, mais qui, dissipé par l'âge et par les changements, laissa voir à plein le tuf et le squelette. Il avoit le régiment d'infanterie du Roi, qui, sous le feu

en effet de leur oncle en vertu de l'arrêt du 12 mars 1735, et qui continuèrent la famille.

1. Hubert de Courtarvel, marquis de Pezé tome XXXV, p. 320. Saint-Simon a raconté alors comment Nangis, après avoir voulu vendre le régiment du Roi, s'était ravisé. Dangeau enregistre l'achat au 13 décembre (p. 181).

2. Blessé grièvement à la bataille de Guastalla, il mourut quelques jours après, 23 novembre 1734.

3. Voyez le portrait déjà fait en 1704 tome XII, p. 271.

4. Il a dit dans le tome XII que la mère et la grand'mère de Nangis l'avaient produit tout jeune dans le grand monde, «< dont elles étoient une espèce de centre ».

Caractère et fortune de Nangis et de Pezé, qui obtient le régiment du Roi

d'infanterie, et Nangis

force graces. [Add. SS. 1620]

Roi, étoit un emploi de grande faveur1, et qui sembloit devoir mener à la fortune par les distinctions et l'affection particulière qu'il donnoit à ce régiment par-dessus tout autre, et par les privances attachées à l'état du colonel, qui travailloit directement avec le Roi sur tous les détails de ce corps, sur lequel nul inspecteur ni le secrétaire d'État de la guerre n'avoient rien à voir. Après la mort du Roi, l'âge de son successeur et l'incertitude éloignée du goût et du soin qu'il prendroit de ce régiment dégoûtèrent Nangis. On a vu ici en son temps qu'il le voulut vendre au duc de Richelieu, puis à Pezé, et de quelle façon capricieuse, et pire, il cessa de le vouloir vendre. Il ne lui avoit rien coûté, non plus qu'à ses prédécesseurs, et le vendre étoit une grâce que M. le duc d'Orléans auroit bien pu, pour ne pas dire dû, se passer de lui faire. On a vu aussi en son lieu comment et pourquoi j'y étois fort entré pour Pezé, auquel il faut venir maintenant, aux dépens peut-être de quelque répétition, pour mettre mieux le tout ensemble.

3

Pezé étoit du pays du Maine, bien gentilhomme, mais tout simples, parent éloigné du maréchal de Tessé par la généalogie, et tout au plus près par la galanterie : il avoit

1. Déjà dit plusieurs fois, et particulièrement tome XIII, p. 119. 2. Tome XXXV, p. 320–322.

3. Ibidem, p. 321.

4. Avant du pays, il a biffé un Gentilho".

5. Saint-Simon dira plus loin, p. 121, « de la plus petite noblesse ». Cependant la famille de Courtarvel avait une généalogie suivie depuis le milieu du treizième siècle, qui figure dans tous les grands recueils généalogiques. Elle tirait son nom d'un fief de la paroisse de MontSaint-Jean, dans le canton actuel de Sillé-le-Guillaume (Sarthe); on en trouve divers actes d'état civil dans les registres paroissiaux (Inventaire des archives départementales de la Sarthe, tome I, série E supplément, p. 122-124). Des papiers de famille sont conservés aujour d'hui dans le chartrier d'Hunolstein; les preuves de page de LouisRené, en 1692, sont au Cabinet des titres, Franç. 32111, fol. 243.

6. Nous avons dit dans le tome XXXV, p. 321, n'avoir pu retrouver la parenté.

« PreviousContinue »