Page images
PDF
EPUB

aux Petites-Maisons', ou chez les Pères de la Charité à Charenton, chez qui on met aussi des fous; mais la réponse fut qu'on ne pouvoit se défaire trop tôt des fous qui portent la folie jusqu'à la fureur. Éconduits de leur demande, ils représentèrent quelle infamie ce seroit que l'instruction du procès, et ses suites pour une maison illustre, qui appartenoit à tout ce qu'il y avoit de plus grand, et à presque tous les souverains de l'Europe. Mais M. le duc d'Orléans leur répondit que l'infamie étoit dans le crime et non dans le supplice3. Ils le pressèrent sur l'honneur que cette maison avoit de lui appartenir à luimême. « Hé bien! Messieurs, leur dit-il, fort bien ; j'en partagerai la honte avec vous. » Le procès n'étoit ni long ni difficile. Law et l'abbé Dubois, si intéressés à la sûreté

encore atteints d'aliénation mentale et que lui-mème a été temporairement malade d'une affection du même genre. Cette pièce qui est signée par plus de cinquante parents ou alliés de la maison de Horn paraît apocryphe.

1. Cet hospice, fondé en 1557 par la ville de Paris, dans la rue de Sèvres, à la place d'un ancien hôpital établi en 1497 pour les vénériens, occupait l'emplacement du square actuel du Bon-Marché. On y recevait les infirmes, les femmes épileptiques et les fous. Son nom venait de ce qu'il se composait presque entièrement d'un ensemble de petites maisons basses entourant les diverses cours.

2. Les Pères, ou plutôt Frères de la Charité avaient été fondés vers 1540 en Espagne par saint Jean-de-Dieu; ils ne s'introduisirent en France qu'en 1601, époque à laquelle Marie de Médicis leur donna, au coin de la rue Saint-Père et de la rue du Colombier (Jacob), un terrain sur lequel ils bâtirent le grand hôpital de la Charité. Leur maison de Charenton avait été fondée en 1645 par le contrôleur des guerres Sébastien Leblanc; elle était spécialisée dans le traitement des maladies mentales, et dépendait du roi. Un président du Parlement, délégué royal, la visitait régulièrement, et les procès-verbaux de ces visites, depuis 1717 jusqu'en 1789, sont encore conservés aujourd'hui aux Archives nationales, carton X2B 1335.

3. Duclos (Mémoires, p. 594) prétend que le Régent cita même à cette occasion le vers de Thomas Corneille dans Le comte d'Essex (acte IV, scène III):

Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud.

des agioteurs, sans laquelle le papier tomboit tout court et sans ressource, prirent fait et cause auprès de M. le duc d'Orléans, pour le rendre inexorable, et lui, pour éviter la persécution qu'il essuyoit sans cesse pour faire grâce, eux dans la crainte qu'il ne s'y laissât enfin aller, n'oublierent rien pour presser le Parlement de juger'. [Add. S'S. 1655] L'affaire alloit grand train, et n'alloit à rien moins qu'à la roue. Les parents, hors d'espoir de sauver le criminel, ne pensèrent plus qu'à obtenir une commutation de peine. Quelques-uns d'eux me vinrent trouver, pour m'engager de les y servir, quoique je n'aie point de parenté avec la maison d'Horn. Ils m'expliquèrent que la roue mettroit au désespoir toute cette maison, et tout ce qui tenoit à elle

1. Quoi qu'en dise Saint-Simon, ce ne fut pas le Parlement qui jugea le procès, mais la chambre criminelle du Châtelet, présidée par le lieutenant criminel; Gueullette le dit formellement, et la teneur de l'arrêt qu'il donne lui avait été fournie par Brussel, l'un des greffiers criminel du Châtelet. D'autre part, il n'y a pas trace du procès dans les arrêts de la Tournelle au Parlement. On devrait donc retrouver les pièces dans les archives du Châtelet. Or, les arrêts criminels y manquent pour toute l'année 1720, et il ne reste plus trace de l'information du crime dans les papiers des commissaires Aubert et Regnard, qui en furent chargés. Cela pourrait donner à penser que ces disparitions ne sont pas accidentelles. Mais nous avons cependant une preuve formelle du jugement le greffier criminel tenait un répertoire alphabétique des personnes jugées par la chambre criminelle; celui qui se rapporte aux années 1716 à 1725 existe encore aux Archives nationales sous la cote Y 10617. Or on y trouve à la lettre D, au mois de mars 1720, les noms De Hornes Antoine et De Mille Laurent. La preuve est péremptoire.

2. Le supplice de la roue consistait à attacher le condamné par les quatre membres sur deux morceaux de bois en forme de croix de SaintAndré. Le bourreau, avec une barre de fer, lui brisait les bras, les jambes et la poitrine. On l'attachait ensuite sur une roue de carrosse suspendue à un poteau ; on ramenait les jambes et les bras brisés derrière le dos et on tournait la face du supplicié vers le ciel, pour qu'il expirât dans cet état dans une agonie parfois longue. La plupart du temps, les juges ordonnaient que le condamné serait étranglé avant d'être fixé à la roue. C'est un édit de Henri II de juillet 1547 qui avait appliqué ce supplice aux assassins.

dans les Pays-Bas et en Allemagne, parce qu'il y avoit en ces pays-là une grande et très importante différence entre les supplices des personnes de qualité qui avoient commis des crimes; que la tête tranchée n'influoit rien sur la famille de l'exécuté, mais que la roue y infligeoit une telle infamie, que les oncles, les tantes, les frères et sœurs, et les trois premières générations suivantes, étoient exclues d'entrer dans aucun noble chapitre, qui, outre la honte, étoit une privation très dommageable, et qui empêchoit la décharge, l'établissement et les espérances de la famille, pour parvenir aux abbayes de chanoinesses et aux évêchés souverains. Cette raison me toucha, et je leur promis de la représenter de mon mieux à M. le duc d'Orléans, mais sans m'engager à rien au delà pour la grâce.

J'allois partir pour la Ferté, y profiter du loisir de la semaine sainte1. J'allai donc trouver M. le duc d'Orléans, à qui j'expliquai ce que je venois d'apprendre. Je lui dis ensuite que quiconque lui demanderoit la vie du comte d'Horn, après un crime si détestable en tous ses points, ne se soucieroit que de la maison d'Horn, et ne seroit pas son serviteur; que je croyois aussi que ne seroit pas son serviteur quiconque s'acharneroit à l'exécution de la roue, à quoi le comte d'Horn3 ne pouvoit manquer d'être condamné; que je croyois qu'il y avoit un mezzo-termine à prendre, lui qui les aimoit tant, qui rempliroit toute justice et toute raisonnable attente du public; qui éviteroit le honteux et si dommageable rejaillissement de l'infamie sur une maison si illustre et si grandement alliée, et qui lui dévoueroit cette maison et tous ceux à qui elle tenoit,

1. Il y allait tous les ans à cette époque; voyez particulièrement notre tome XV, p. 78.

2. Dans les Souvenirs de Mme de Créquy (p. 44) ces mots sont mis dans la bouche du Régent.

3. Les mots le C. d'Horn sont en interligne au-dessus d'il, biffé. 4. Avant maison il a biffé aussy, et plus loin luy est en interligne avant dévoüeroit.

qui au fond sentoient bien que la grâce de la vie étoit impraticable, au lieu du désespoir et de la rage où tous entreroient contre lui, et qui se perpétueroit et s'aigriroit même à chaque occasion perdue d'entrer dans les chapitres, où la sœur du comte d'Horn étoit sur le point d'être reçue'. Je lui représentai que ce moyen étoit bien simple. C'étoit de laisser rendre et prononcer l'arrêt de mort sur la roue, de tenir toute prête la commutation de peine toute signée et scellée pour n'avoir que la date à y mettre à l'instant de l'arrêt, et sur-le-champ l'envoyer à qui il appartient, puis le jour même faire couper la tête au comte d'Horn. Par là toute justice est accomplie, et l'arrêt de roue prononcé, le public est satisfait, puisque le comte d'Horn est en effet puni de mort, auquel public, l'arrêt rendu, il n'importe plus du supplice, pourvu qu'il soit à mort, et la maison d'Horn et tout ce qui y tient, trop raisonnables pour avoir espéré une grâce de la vie qu'euxmêmes en la place du Régent n'auroient pas accordée, lui seroient à jamais redevables d'avoir sauvé leur honneur et les moyens de l'établissement des filles et des cadets. M. le duc d'Orléans trouva que j'avois raison, la goûta, sentit son intérêt de ne pas jeter dans le désespoir contre lui tant de gens si considérables en accomplissant toutefois toute justice et l'attente du public, et me promit qu'il le feroit ainsi. Je lui dis que je partois le lendemain ; que Law et l'abbé Dubois, acharnés à la roue, la lui arracheroient; il me promit de nouveau de tenir ferme à la commutation de peine, m'en dit là-dessus autant que je lui en aurois pu dire en m'étendant là-dessus; je lui déclarai que je n'étois ni parent ni en la moindre connoissance avec la maison d'Horn, ni en liaison avec aucun de ceux qui se remuoient pour elle3; que c'étoit uniquement raison et attachement à sa personne et

1. Marie-Josèphe de Horn, qui épousa en 1729 un Ghistelles, marquis de Saint-Floris, et mourut en 1738.

2. Il y a par mégarde dans le manuscrit en accomplissement. 3. Il avait été sollicité peut-être par le duc d'Havré, comme on le verra dans la note suivante; mais il n'avait aucune liaison avec lui.

à son intérêt qui me faisoit insister, et que je le conjurois de demeurer ferme dans la résolution qu'il me témoignoit, puisqu'il en sentoit tout le bon et toutes les tristes suites du contraire, et de ne se point laisser entraîner aux raisonnements faux et intéressés de Law et de l'abbé Dubois, qui se relayeroient pour arracher de lui ce qu'ils vouloient. Il me le promit de nouveau, et, comme je le connoissois bien, je vis que c'étoit de bonne foi. Je pris congé, et partis le lendemain1.

Ce que j'avois prévu ne manqua pas. Dubois et Law l'assiégèrent, et le retournèrent si bien que la première nouvelle que j'appris à la Ferté fut que le comte d'Horn et son scélérat de Mille avoient été roués en Grève vifs, et avoient expiré sur la roue, le mardi saint, 26 mars, sur les quatre heures après midi, sur le même échafaud, après avoir été appliqués à la question. Le succès en fut tel aussi que je l'avois représenté à M. le duc d'Orléans. La maison d'Horn et toute la grande noblesse des Pays-Bas, même d'Allemagne, furent outrées, et ne se continrent ni

1. Il y a dans les Souvenirs de la marquise de Créquy, p. 49-50, le texte d'une lettre de Saint-Simon au duc d'Havré résumant tout ce qui vient d'être dit, et qui peut bien avoir été fabriquée au moyen du récit de nos Mémoires.

2. Voyez J. Court, L'exécution du comte de Horn dans La Cité, bulletin de la Société historique et archéologique du quatrième arrondissement de Paris, tome II, 1904-1905, p. 222-225. Une relation populaire du crime, où le comte de Horn n'est pas nommé, fut mise en vente en une feuille volante dont un exemplaire nous a été conservé par le greffier du Parlement, U 363, au 23 mars. Duclos (Mémoires, p. 564) dit que deux de ses parents lui firent passer du poison, mais qu'il refusa de s'en servir. Il mourut très repentant : « L'abbé Guéret, docteur de Sorbonne, qui a assisté le comte de Horn lorsqu'il fut exécuté, a été très édifié des sentiments de repentance qu'il a témoignés pendant ses tourments. Il dit qu'il savoit assez l'Écriture sainte et les psaumes et que ses dernières paroles furent celles de saint Augustin : Brûlez ici, mettez en pièces, pourvu, mon Dieu, que vous me pardonniez dans l'éternité. On a arrêté une quarantaine de personnes qu'il a accusées, tant dans ses interrogatoires que lorsqu'il fut mis à la question » (Gazette d'Amsterdam, no xxix, lettre de Paris du 1er avril).

« PreviousContinue »