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scandalisé. A la vérité, elle étoit fille du marquis de Châtillon, chevalier de l'Ordre, premier gentilhomme de la chambre de Monsieur, etc.; mais, comme elle n'avoit rien, on l'avoit mariée à ce Bacqueville, qui étoit riche, mais le néant. Son nom est Boyvin'. Son père, qui s'appeloit Bonnetot, étoit premier président de la chambre des comptes de Rouen, d'une avarice sordide, dont le père étoit un fermier, laboureur en son jeune temps, qui s'étoit enrichi au commerce des blés. Ce Bacqueville voulut être homme d'épée; son mariage lui valut un régiment. Il y montra de la valeur, mais tant d'avarice et de folies qu'il fut cassé. Il se brouilla bientôt avec sa femme, à qui il ne donnoit rien et qu'il accabloit d'extravagances, qui les fit séparer. Il n'en a pas moins fait depuis dans l'obscurité où il est tombé. Sa soeur avoit épousé Aligre, président à mortier, dont elle a été la seconde femme3. Je ne sais ce qu'on donna à ces dames pour leur voyage; la duchesse de Villars eut cent mille francs'. Son choix fut une nouveauté : jamais duchesse n'avoit conduit de princesse du sang. Cet honneur jusqu'alors avoit été réservé aux filles de France et aux petites-filles de France depuis qu'il y en eut; mais c'étoit la fille du Régent, qui venoit de faire duc et pair le beau-père de la duchesse de Villars, et son mari par conséquent, dont on a vu l'histoire ici en son lieu, et le duc de Brancas presque tous les soirs des soupers de M. le duc d'Orléans, et familièrement bien avec lui de toute sa vie. Madame la Grande-Duchesse, embrassant

1. Tout cela, et ce qui va suivre, a déjà été dit au tome XXIV, et répété dans le tome XXIX, p. 202.

2. Elle plaidait en séparation dès 1716.

3. Étienne IV d'Aligre (tome IV, p. 272), veuf en premières noces d'une fille du contrôleur général le Peletier, et en secondes de MarieAnne Fontaine des Montées, épousa en troisièmes noces Marie-Catherine Boyvin de Bonnetot, qu'il laissa veuve en 1725 et qui vivait encore en 1769.

p. 199-210.

4. Dangeau, p. 228. 5. Tome XXX, 6. Marguerite-Louise d'Orléans, grande-duchesse de Toscane, reti

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Désordre

et de la

Banque de Law se manifeste

et produit

des suites les plus fâcheuses

et infinies.

la princesse de Modène pour lui dire adieu : « Allez, mon enfant, lui dit-elle, et souvenez-vous de faire comme j'ai fait ayez un enfant ou deux, et faites si bien que vous reveniez en France; il n'y a de bon parti que celui-là. » Leçon étrange, mais dont la princesse de Modène ne sut que trop bien profiter1.

Le système de Law tiroit à sa fin. Si on se fût contenté du Système de sa Banque, et de sa Banque réduite en de justes bornes et sages, on auroit doublé tout l'argent du royaume et porté une facilité infinie à son commerce et à celui des particuliers entre eux, parce que, la Banque toujours en état de faire face partout, des billets continuellement payables de toute leur valeur auroient été de l'argent comptant et souvent préférables à l'argent comptant par [Add. SS. 1647] la facilité du transport. Encore faut-il convenir, comme je le soutins à M. le duc d'Orléans dans son cabinet, et comme je le dis hardiment en plein conseil de régence, quand la Banque y passa, comme on l'a vu ici alors, que, tout bon que pût être cet établissement en soi, il ne pouvoit l'être que dans une république, ou que dans une monarchie telle qu'est l'Angleterre, dont les finances se gouvernent absolument par ceux-là seuls qui les fournissent et qui n'en fournissent qu'autant et que comme il leur plaît; mais, dans un État léger, changeant, plus qu'absolu, tel qu'est la France, la solidité y manquoit nécessairement, par conséquent la confiance, au moins juste et sage, puisqu'un roi, et sous son nom une maîtresse, un ministre, des favoris, plus encore d'extrêmes nécessités, comme celles où le feu Roi se trouva dans les années 1707, 8, 9 et 1710, cent choses enfin pouvoient

rée en France depuis 1675 (tome III, p. 59-60), et que nous verrons mourir en 1721.

1. Voyez le tome II des Filles du Régent, où le comte Éd. de Barthélemy raconte la vie de la princesse à Modène; il semble qu'il y eut plus de mésintelligence avec son beau-père qu'avec son mari.

2. Tome XXX, p. 91-92.

renverser la Banque, dont l'appât étoit trop grand et en même temps trop facile. Mais d'ajouter comme on fit au réel de cette Banque la chimère du Mississipi, de ses actions, de sa langue toute particulière, de sa science, c'est-à-dire un tour de passe-passe continuel pour tirer l'argent des uns et le donner aux autres, il falloit bien, puisqu'on n'avoit ni mines ni pierre philosophale, que ces actions, à la fin, portassent à faux, et que le petit nombre se trouvât enrichi de la ruine entière du grand nombre, comme il arriva. Ce qui hâta la culbute de la Banque et du Système fut l'inconcevable prodigalité de M. le duc d'Orléans, qui, sans bornes et, plus s'il se peut, sans choix, ne pouvoit résister à l'importunité, jusque de ceux qu'il savoit à n'en pouvoir douter lui avoir toujours été et lui être encore les plus contraires, et en même temps fort à mépriser, donnoit à toutes mains, plus souvent se laissoit arracher par des gens qui s'en moquoient et n'en savoient gré qu'à leur effronterie. On a peine à croire ce qu'on a vu, et la postérité considérera comme une fable ce que nous-mêmes nous ne nous remettons que comme un songe. Enfin, tant fut donné à une nation avide et prodigue, toujours desireuse et nécessiteuse par son luxe, son désordre, la confusion des états, que le papier manqua et que les moulins n'en purent assez fournir. On peut juger par là de l'inimaginable abus de ce qui étoit établi comme une ressource toujours prête, et qui ne pouvoit subsister telle qu'en ajustant ensemble les deux bouts et de préférence à tout, se conservant toujours de quoi répondre sur-le-champ à tous venants. C'est ce dont je m'informois à Law tous les mardis matins qu'il venoit toujours chez moi1; il m'amusa longtemps avant de m'avouer son embarras, et de se plaindre modestement et timidement à moi que le Régent jetoit tout par les fenêtres. J'en savois par le dehors plus qu'il ne pensoit,

1. Déjà dit tomes XXX, p. 94, XXXIII, p. 2, et XXXVI, p. 304.

et c'étoit ce qui me faisoit insister et le presser sur son bilan. En m'avouant enfin, quoique légèrement, ce qu'il ne pouvoit plus me cacher, il m'assuroit qu'il ne manquoit pas de ressources, pourvu que M. le duc d'Orléans le laissât faire. Cela ne me persuada pas. Alors les billets commencèrent à perdre, un moment après à se décrier, et le décri à devenir public1. De là nécessité de les soutenir par la force, puisqu'on ne le pouvoit plus par industrie, et, dès que la force se fut montrée, chacun désespéra de son salut. On vint à vouloir d'autorité coactive, à supprimer tout usage d'or, d'argent et de pierreries, je dis d'argent monnoyé, à prétendre persuader que depuis Abraham, qui paya argent comptant la sépulture de Sara', jusqu'à nos temps, on avoit été dans l'illusion et dans l'erreur la plus grossière, dans toutes les nations policées du monde, sur la monnoie et les métaux dont on la fait; que le papier étoit le seul utile et le seul nécessaire ; qu'on ne pouvoit faire un plus grand mal à nos voisins, jaloux de notre grandeur et de nos avantages, que de verser et faire passer chez eux tout notre argent et toutes nos pierreries; mais, comme à ceci il n'y avoit point d'enveloppe, et qu'il fut permis à la Compagnie des Indes de faire visiter dans toutes les maisons, même royales, d'y confisquer tous les louis d'or et tous les écus qui s'y trouveroient, et de n'y laisser que des pièces de vingt sous et au-dessous, et encore jusqu'à deux cents francs pour les appoints des billets et pour acheter le nécessaire des moindres denrées, avec défenses et de fortes punitions d'en garder davantage, en sorte qu'il fallut porter tout ce

1. Voyez, à partir de février 1720, les articles du Journal de Dangeau, et surtout les correspondances très précises de la Gazette d'Amsterdam, et les documents officiels insérés dans ses colonnes; le Journal de Buvat et les lettres des Correspondants de Mme de Balleroy sont curieux à consulter comme l'expression des impressions du public.

2. Genèse, chapitre XXIII.

qu'on avoit à la Banque de peur d'être décelé par un valet, personne ne se laissa persuader, et de là recours à l'autorité de plus en plus, qui ouvrit toutes les maisons des particuliers aux visites et aux délations pour n'y laisser aucun argent, et pour punir très sévèrement quiconque en réserveroit de caché1. Jamais souveraine puissance ne s'étoit si violemment essayée et n'avoit attaqué rien de si sensible ni de si indispensablement nécessaire pour le temporel. Aussi fut-ce un prodige, plutôt qu'un effort de gouvernement et de conduite, que des ordonnances si terriblement nouvelles n'aient pas produit non-seulement les révolutions les plus tristes et les plus entières, mais qu'il n'en ait pas seulement été question, et que, de tant de millions de gens, ou absolument ruinés ou mourants de faim et des derniers besoins auprès de leur bien, et sans moyens aucuns pour leur subsistance et leur vie journalière, il ne soit sorti que des plaintes et des gémissements. La violence toutefois étoit trop excessive et en tous genres trop insoutenable pour pouvoir subsister longtemps; il en fallut donc revenir à de nouveaux papiers et à de nouveaux tours de passe-passe. On les connut tels; on les sentit; mais on les subit plutôt que de n'avoir pas vingt écus en sûreté chez soi, et une violence plus grande en fit souffrir volontiers une moindre. De là tant de manéges, tant de faces différentes en finance, et toutes tendantes3 à fondre' un genre de papier par un autre, c'est-à-dire faire toujours perdre les porteurs de ces différents papiers,

2

1. Arrêt du conseil de régence du 28 janvier ordonnant de porter aux hôtels des monnaies toutes les matières et espèces d'or et d'argent, et autorisant la Compagnie des Indes à perquisitionner dans toutes les maisons, pour y confisquer les espèces et matières qui pourront s'y trouver; arrêt du 31, déclarant que toutes les pièces de monnaie supérieures aux pièces de vingt sols n'auront plus cours à partir du 20 février;

etc.

2. Dès le 6 février, création de deux cents millions de nouveaux billets, 3. Il y a tendandes, dans le manuscrit.

4. Au sens de remplacer, détruire

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