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trouver des mesures efficaces autres que celles que présentait l'administration.

« Je le dis donc, messieurs, reprenait le président du conseil, voilà le caractère général, le caractère essentiel et politique de la loi que nous vous présentons. Liberté, liberté entière de discussion, telle qu'elle existe aujourd'hui sur tous les sujets. Permis, permis à tout le monde de faire de l'opposition contre le gouvernement; mais interdiction de discuter deux points, deux points qu'il n'a jamais été permis de discuter nulle part. Prenez les articles de la loi auxquels nous faisons en ce moment aliusion; poussez-les à leurs dernières conséquences; pressez-les, tordez-les, pour ainsi parler; faites-en sortir ce qu'ils contiennent de restriction, de répression; qu'en résultera-t-il? c'est que le nom du roi ne sera plus discuté, c'est que le principe du gouvernement, c'est-à-dire la déclaration de 1830, c'est-à-dire la Charte de 4830, c'est-à-dire la monarchie constitutionnelle, ne sera pas discuté ni attaqué; c'est qu'on pourra se promener dans les rues sans être obligé de baisser les yeux'en rougissant de honte; c'est que nos spectacles seront rouverts aux hommes et aux femmes qui se respectent, et aux étrangers qui fréquentent cette capitale. Voilà tout, et rien de plus. >>

La loi proposée produirait un grand bien pour le pays, mais le ministère n'en serait que plus vivement attaqué, et, l'ordre étant devenu dans la suite plus facile à conserver, le poste des ministres n'en serait que plus envié, que plus recherché; le ministère actuel aurait donc travaillé seulement à faire la place meilleure pour d'autres. Il eût été facile au ministère, en cédant aux partis, de traverser doucement le pouvoir, au bruit des applaudissemens de tous, mais il aurait perdu le pays; il avait mieux aimé se mettre en guerre ouverte avec les partis, lutter contre eux, leur résister, et en appeler au bon sens du pays contre ses préjugés, contre ses entraînemens, contre ses passions.

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Messieurs, disait le président du conseil en terminant, le gouvernement de juillet a pris naissance au sein d'une révolution populaire. C'est là sa gloire et son danger. La gloire a été pure, parce que la cause était juste; le danger est grand, car toute insurrection qui réussit, légitime ou non, enfaute par son succès des insurrections nouvelles. La révolte, c'est là l'ennemi que la révolution, la glorieuse révolution de juillet, portait dans son sein. C'est là l'ennemi que le gouvernement de juillet devait rencontrer dans son berceau. La révolte, nous l'avons combattue sous toutes les formes, sur tous les champs de bataille. Elle a commencé par vouloir élever en face de cette tribune des tribunes rivales, d'où elle pût vous dicter ses volontés insolentes et vous imposer ses caprices sanguinaires. Nous avons démoli ces tribunes factieuses, nous avons fermé les clubs, nous avons pour la première fois muselé le monstre. (Très-bien, très-bien!)

» Elle est alors descendue dans la rue; vous l'avez vue heurter anx portes du palais du roi, aux portes de ce palais, les bras nus, déguenillée, hurlant,

vociférant des injures et des menaces, et pensant tout entrainer par la peur. Nous l'avons regardée en face; la loi à la main, nous avons dispersé les attroupemens; nous l'avons fait rentrer dans sa tannière. (Bravo!)

» Elle s'est alors organisée en sociétés anarchiques, en complots vivans, en conspirations permanentes. La loi à la main, nous avons dissous les sociétés anarchiques; nous avons arrêté les chefs, éparpillé les soldats.

» Enfin, après nous avoir plusieurs fois menacés de la bataille, plusieurs fois elle est venue nous la livrer; plusieurs fois nous l'avons vaincue, plusieurs fois nous l'avons trainée, malgré ses clameurs, aux pieds de la justice pour recevoir son châtiment. (Bravo.! bravo!)

Elle est maintenant à son dernier asile; elle se réfugie dans la presse factieuse; elle se réfugie derrière le droit sacré de discussion que la Charte garantit à tous les Français. C'est de là que, semblable à ce scélérat dont l'histoire a flétri la mémoire, et qui avait empoisonné les fontaines d'une cité populeuse, elle empoisonne chaque jour les sources de l'intelligence humaine, les canaux où doit circuler la vérité; elle mêle son venin aux alimens des esprits: nous, nous l'attaquons dans son dernier asile; nous lui arrachons son dernier masque; après avoir dompté la révolte matérielle, sans porter atteinte à la liberté légitime des personnes, nous entreprenons de dompter la révolte du langage, sans porter atteinte à la liberté légitime de la discussion. (Nouvelles et vives acclamations.)

>> Si nous y réussissons, messieurs, et je l'espère, nous y réussirons, grâce à votre sagesse! advienne ensuite de nous ce qui pourra; nous aurons rempli notre tâche, nous aurons droit au repos. Que le roi, dans sa sagesse, appelle dans d'autres circonstances d'autres hommes au maniement des affaires; que, par des motifs que nous respecterons toujours, vous nous retiriez l'appui généreux que vous nous avez accordé jusqu'ici, que nous succombions par notre faute on sans notre faute, peu importe; quand l'heure de la retraite sonnera pour nous, nous emporterons en rentrant dans la vie privée la consolation d'avoir exercé le pouvoir en gens de bien, en hommes de cœur ; nous emporterons la conscience de n'avoir rien fait pour nous-mêmes, et d'avoir bien mérité de notre pays. »

Ce discours fut suivi des plus vifs applaudissemens, et laissa la Chambre dans un tel état d'agitation, que M. Du◄ gabé, qui succéda au président du conseil, ne put obtenir le silence, malgré l'énergie de ses attaques contre le projet de loi, si mauvais, selon lui, que le rétablissement de la censure eût été préférable. A peine l'orateur eut-il cessé de parler, que la clôture de la discussion fut demandée avec force, et prononcée, nonobstant les réclamations de l'opposition. «Votons maintenant toute la loi d'enthousiasme, cela vaudra mieux », s'écria M. Odilon Barrot au milieu du tumulte. Plusieurs orateurs s'étaient inscrits pour prendre la parole sur l'article 1, le plus important de la loi; les premiers appelés n'ayant pas répondu à leur nom, les centres voulaient néanmoins qu'il fût passé outre, mais les membres

de la gauche réclamèrent vivement le renvoi au lendemain, et comme l'heure était avancée, la séance fut levée.

25 août. Une circonstance particulière avait motivé l'insistance de l'opposition pour que le droit de parler fût maintenu aux orateurs absens : un membre de la Chambre d'une haute autorité parlementaire, et dont la voi ne s'était pas fait entendre depuis la discussion mémorable de la loi relative à la constitution de la pairie, M. Royer-Collard, se proposait de rompre son long silence dans cette mémorable occasion. Ce fut avec un inexprimable intérêt que la Chambre vit l'éloquent orateur paraître à la tribune, à l'ouverture de la séance suivante.

Après un rapide préambule, dans lequel il déclarait n'avoir rien à dire sur l'attentat, si ce n'est que l'admiration qu'inspirait la magnanimité royale serait plus utile à la cause de l'ordre, que les mesures de rigueur proposées, M. Royer-Collard abordait ainsi la question :

« Il s'agit de la presse. Je n'ai nulle sympathie pour le désordre. Si vous savez des répressions efficaces que la Charte avoue et que la prudence conseille, je les appuierai. Mais, messieurs, il y a sur la presse des vérités acquises qui sont sorties victorieuses de nos longues discussions, qui ont pénétré peu à peu dans les esprits, et qui forment aujourd'hui la raison publique; celles-ci, par exemple, le bien et le mal de la presse, sont inséparables; il n'y a pas de liberté sans quelque licence; le délit échappe à la définition, l'interprétation reste arbitraire. Le délit lui-même est inconstant; ce qui est délit dans un temps ne l'est pas dans un autre. Ces inépuisables vérités ont été élevées à la démonstration, et c'est par elles que nous sommes arrivés à la grande conquête, à la conquête nationale de l'attribution de la presse au jury. En effet, si les jugemens de la presse sont arbitraires, ils ne doivent pas être confiés à un tribunal permanent; ce serait une tyrannie constituée. Si les délits de la presse sont mobiles, ils réclament un tribunal également mobile, qui, se renouvelant perpétuellement, exprime sans cesse les divers états des esprits et les besoins changeans de la société. Autant vous attribuerez d'efficacité à la presse, plus vous exagérerez sa puissance, et mieux vous établirez que la société a dû se réserver dans le jury une participation directe aux jugemens de la presse. C'est à cette condition seulement qu'elle jouit de la liberté politique et qu'elle s'appartient à elle-même. »

La loi ne semblait pas franche à l'orateur, elle n'osait pas dire ce qu'elle osait faire. Au moyen d'un subterfuge, en appelant attentat ce qui était délit selon la loi et la raison, ces délits transformés sortaient du jury et s'en allaient clan

destinement à la Chambre des pairs. Par le fait de ce changement de qualification, le jury était destitué, spolié de ses attributions constitutionnelles.

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<«<A la bonne heure, continuait l'orateur, je n'invoque pas la bonne foi, je n'invoque pas la Charte, trop faible recours; mais il y a quelque chose audelà cette destitution est une sérieuse entreprise. Le jury, messieurs, n'est pas une de ces juridictions vulgaires dont la plume du légiste se joue, et qu'elle élève ou abaisse à son gré; ce n'est pas même une juridiction, c'est une institution politique, c'est, comme vous, et au même degré de souveraineté, le pays lui-même. Et comment le jury a-t-il encouru la disgrâce dont il est frappé? On l'a dit de mille manières; on se défie de lui; il ne condamne pas assez ! Ne voyez-vous pas, messieurs, qu'on s'attaque à la conscience des jurés; car c'est dans leur conscience qu'ils prononcent. Ne vous reviendra-t-il pas en mémoire que les jurés sont vos électeurs, marqués du même sceau que vous, et, comme vous, dépositaires de la souveraineté ? Si vous vous défiez d'eux aujourd'hui, ne pourront-ils pas un jour aussi se défier de vous? et certes ce serait de bon droit; car je déclare, moi, que je me défie profondément d'un pouvoir, quel qu'il soit, qui se défie de la justice même ordinaire, à plus forte raison de la justice du pays, »

Se défiant, ainsi qu'il était avéré, de la justice du pays appliquée à la presse, le gouvernement voulait une autre justice, une justice spéciale; mais, n'osant la proposer, il recourait à une transformation; il transformait la Chambre des pairs en cour spéciale, en cour prévôtale. On l'avait faite cour spéciale de l'émeute, on la faisait cour spéciale de la presse. La Chambre des pairs ne méritait pas ce traitement; elle n'existait pas pour servir d'instrument de gouvernement. On la détournait de sa destination essentielle de pouvoir politique, lorsqu'on la faisait descendre à l'humiliante condition de cour spéciale, de cour prévôtale, assise sur les ruines de la justice du pays violée dans son sanc

tuaire.

«Messieurs, poursuivait l'orateur, la Chambre des pairs n'est que trop affaiblie, elle n'a éprouvé que trop de revers. Mutilée dans ses membres, dépouillée de sa prérogative vitale, compromise tout à l'heure dans un procès qui lui était étranger et auquel on l'a fatalement dévouée, elle a besoin qu'on ménage enfin sa dignité. Si loin déjà de son origine, elle est encore, vous le savez, l'asile de toutes les illustrations de la France, de toutes nos gloires politiques, militaires, civiles; elle renferme certainement beaucoup de vertus éprouvées; et cependant, si elle subit l'affront qu'on lui prépare, elle périra. Un tribunal permanent juge de la presse, perpétuellement battu par les flots irrités des partis, s'abîmera bientôt dans l'impuissance. Alors, messieurs, alors la Chambre des pairs décriée, avilie, frappée de mort politique, ne pourra plus revivre que par l'élection. La Chambre de pairs élective, voilà, Ann. hist. pour 1855.

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messieurs, la dernière et inévitable conséquence de la loi. Je le veux bien; mais ce n'est pas par cette voie qu'il faudrait y arriver. Et si nous y arrivons en effet, une Chambre des pairs élue ne s'enrichira pas, soyez-en sûr, de la dépouille du jury. »

Après avoir jeté un coup d'œil triste sur la situation du pays, après avoir dit que le mal lui paraissait grand, mais qu'il n'était pas nouveau, qu'il n'était pas entièrement l'oeuvre de la presse, M. Royer-Collard achevait en ces termes :

Le respect est éteint, dit-on! Rien ne m'afflige, ne m'attriste davantage; car je n'estime ríen plus que le respect: mais qu'a-t-on respecté depuis cinquante ans? Les croyances sont détruites ! Mais elles se sont détruites, elles se sont battues en ruine les unes les autres. Cette épreuve est trop forte pour l'humanité; elle y succombe. C'est ainsi que le pouvoir, création de la Providence qui a fait les sociétés, a été arraché de ses fondemens, et poursuivi comme une proie offerte à la force, sur laquelle se sont élancées les plus viles passions. Est-ce à dire que tout soit perdu? Non, messieurs, tout n'est pas perdu; Dieu n'a pas retiré sa main, il n'a pas dégradé sa créature faite à son image; le sentiment moral qu'il lui a donné pour guide, et qui fait sa grandeur, ne s'est pas retiré des cœurs. Le remède que vous cherchez est là, et n'est que là. Les remèdes auxquels M. le président du conseil se confiait hier, illusion d'un homme de bien irrité, sont des actes de désespoir, et ils porteraient une mortelle atteinte à la liberté, à cette liberté dont nous semblons avoir perdu à la fois l'intelligence et le besoin, achetée cependant par tant de travaux, de douleurs, de sang répandu pour sa noble cause. Je rejette ces remèdes funestes, je repousse ces inventions législatives où la ruse respire; la ruse est sœur de la force, et une autre école d'immoralité. Ayons plus de confiance dans le pays, messieurs, rendons-lui honneur. Les sentimens honnêtes y abondent; adressons-nous à ces sentimens. (Très-bien!) Ils nous entendront, ils nous répondront. Pratiquons la franchise, la droiture, la justice exactement observée, la miséricorde judicieusement appliquée. Si c'est une révolution, le pays nous en saura gré, et la Providence aidera nos efforts. >>

Un organe du gouvernement pouvait seul répondre à un adversaire aussi considérable et dont le discours avait produit une profonde sensation : le ministre de l'intérieur, qui entreprit cette rude tâche, fit précéder l'apologie du projet de loi de son apologie personnelle, et repoussa le reproche qu'on lui adressait d'attaquer aujourd'hui la presse qu'il avait jadis célébrée; il déclara qu'après s'être scruté lui-même, qu'après avoir consulté ses souvenirs, examiné ses actes et ses paroles, il demeurait profondément convaincu qu'il ne manquait pas à ses doctrines, qu'il n'était pas en contradiction avec lui-même. Le ministre discutait longuement ses publications pour démontrer la vérité de cette justification,

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