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plus éloignés, & vous annonce les principes de fermentation qui naîtront des entreprises arbitraires que formeront les différentes parties contre d'autres, & les forceront à fe détruire réciproquement, fi un pouvoir fupérieur ne ramene tout au point central s'il ne règle, avec énergie, les impulfions que doit donner ou recevoir chaque partie; s'il ne calme, en fixant à chacun la tâche qu'il doit remplir, les mouvemens tumultueux qui naîtront des fauffes idées qu'on aura de la véritable liberté, de l'intérêt propre; s'il n'établit promptement cette organisation harmonieufe qui doit lier, fubordonner impérieufement, pour le bien général, toutes les parties administratives au pouvoir de l'Adminiftrateur fuprême dont elles ne doivent être que les agens circonfcrits, bornés à propofer le bien & à exécuter les ordres qu'elles en recevront, toujours d'après les loix fanctionnées.

J'ofe le dire, Meffieurs, avec la confiance que je ferai applaudi par tous les bons citoyens, comme vous; les Municipalités de Cantons, de Districts & de Départemens ne doivent, lorfqu'il ne s'agira pas d'élection comme je le propofai, en 1775, dans le plan que j'ai eu l'honneur de mettre fous vos yeux, que repréfenter les Intendans & les Subdélégués, avec la différence que ces derniers pouvoient quelquefois cacher le mal au Souverain, ou fe tromper dans le bien qu'ils propofoient; tandis que les Municipalités, plus inftruites fur tout ce qui peut nuire ou concourir au bonheur de leur localité, le diront, le propoferont avec cette noble & harmonieuse franchife que des enfans doivent à leur père.

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Préfervons-nous donc, Meffieurs, le plus promptement poffible, des maux dont l'anarchie pent nous accabler. Telles les abeilles, ces infectes que Dieu a donné à l'homme comme l'exemple le plus frappant du voir de l'ordre & de l'économie, lorfque leurs ruches font renverfées par quelque orage impétueux, s'enfuient d'abord en tremblant, & bientôt devenues furieufes par

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la temptête qui les agite, emportées dans les airs, elles fe jettent fur tout ce qui les environne; elles trouvent par-tout la mort, par les bleffures qu'elles font à ceux mêmes qui font le plus touchés de leurs maux (1); elles périffent en cherchant à fe venger de ceux qui ont le plus d'intérêt à les fauver. Tels auffi les peuples, lorfqu'égarés par de faux principes, emportés par les fureurs qui naîtront de la mifère où les auront réduits l'anarchie & le défordre, ils s'acharneront les uns contre les autres; après s'être entr'égorgés, après avoir tout dévasté, après avoir ôté à leurs bienfaiteurs jufqu'aux derniers des moyens de les fecourir, accablés de tous les maux, ils imploreront eux-mêmes la puiffance publique; ils demanderont à grands cris au Monarque de les fouftraire à leur propre rage: alors, s'il n'eft point trop tard, femblable à l'aftre radieux qui, par l'influence de fes rayons, chaffe les nuages, échauffe la nature, raffemble les abeilles & leur roi, les troupeaux & leurs bergers, diftribue à chacune des parties de ce vafte univers, la tâche qu'elle doit remplir, & lui donne fans ceffe une nouvelle vie; de même auffi la force du Pouvoir fouverain, entre les mains du plus jufte des Monarques, ramenera l'ordre, rétablira & entretiendra, en confultant fouvent ceux dont il exigera cependant l'obéiffance néceffaire pour le bonheur commun, le calme qui feul peut opérer le bien de toutes les Nations.

J'ai vu croître le mal, j'ai long-tems médité fur les moyens d'y remédier: preffé par un defir invincible de me rendre utile à ma patrie, il me fembloit que j'étois plus heureux lorfque je cherchois les moyens qui pourroient concourir au bonheur de mes Concitoyens, Quoique très-jeune encore, je m'étois déja rangé dans

(1) Tout le monde fait que l'abeille, en piquant, laiffe fon dard dans la bleffure, & périt,

la claffe de ceux dont le nom eft une efpèce d'injure ; de ces hommes à projet dont tous les inftans font employés à rêver fur les biens ou fur les maux publics, lorfque notre augufte Monarque fuccéda au trône de fes ancêtres. Pénétré de reconnoiffance pour les bontés dont fon augufte père avoit honoré mes premières années, je fis des voeux pour la profpérité de fon règne; le defir de le voir rendre les peuples heureux, me fit épier fes actions. Sa première démarche parut du plus heureux augure; elle fut celle d'un bon Prince qui defire faire préfider la fageffe à fes Confeils. Le rappel qu'il fit d'un vieillard, d'un ancien Miniftre qu'il crut avoir été sacrifié à une intrigue de Cour, & pour avoir voulu faire fon devoir, me donna la plus haute idée d'un jeune Prince, qui croyoit helas! mettre à la tête de la France un Neftor dont il vouloit être le Pupille; mais combien de circonftances vinrent traverfer fes vues bienfaifantes : l'état de délabrement où étoit notre Marine, & qui nous afferviffoit à l'Angleterre, le defir fi naturel de nous fouftraire à l'efclavage où nous tenoit cette Nation qui nous forçoit de payer à Dunkerque un Commiffaire dont l'objet étoit de s'oppofer à nos propres travaux, nous occafionnerent des frais immenfes.

La guerre d'Amérique accrut à elle feule, de deux milliards, la maffe de nos dépenfes, & prépara l'excès de nos malheurs par la forme que nous fûmes forcés d'adopter pour nos emprunts.

Difpofé à me plaindre du poids de l'impôt, comme tous les autres fujets; envifageant avec effroi la dette accablante de l'État ; tremblant à l'afpect d'un déficit qui pouvoit compromettre fes créanciers légitimes, ou exiger de notre part de nouveaux facrifices, gémiffant fur le fort d'une foule d'infortunés que la cherté des denrées de première néceffité plongeoit dans le marafme, je crus cependant, avant de mêler ma voix à celle de tant d'autres qui crioient contre les abus, devoir m'aflurer jufqu'à quel

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point ils exiftoient, en calculer la force & les progrès dans le calme, afin de voir comment on pourroit y remédier, & de hafarder mes réflexions.

Nous avons une Nation voifine, notre rivale; une Nation dont nous louons la Conftitution; une Nation dont nous fommes les enthousiastes aveugles, & dont nous admirons jufqu'aux excès; une Nation qui s'adminiftre elle-même, & dont les opérations ont toujours forcé les nôtres; je cherchai à en faire un modèle de comparaifon qui pût me mettre à portée de juger fainement de la bonne ou mauvaise adminiftration de ceux que nous blâmons. Je penfai que fi cette Nation avoit moins d'impôts, plus d'objets de dépenfes & moins de dettes, ce feroit déja un grand préjugé contre notre adminiftration: mais que si au contraire les impôts y étoient plus multipliés, avec moins d'objets de dépenfes, ramené par des principes de juftice, il falloit moins s'occuper de blâmer, que des moyens de remédier au mal paffé, de perfectionner pour l'avenir les opérations, de manière à avoir l'avantage fur les autres Nations. Le réfultat de mes recherches, comme vous allez le voir, fut entièrement à notre avantage.

L'impôt en France en 108 années ne s'eft accru que de 264 millions, tandis que dans ce même efpace de tems celui d'Angleterre a été augmenté de 319 millions, dont 229 y ont été ajoutés dans le court efpace de 37 années. La dette Nationale, en Angleterre, s'eft accrue de deux milliards deux cent quatre-vingt douze millions, tandis que celle de France celle de France, dans le même espace de tems, n'a été augmentée que d'un peu moins d'un milliard cinq cents millions; il eft cependant, prouvé que la France n'a de libre à dépenfer que so millions de plus que l'Angleterre, quoique la différence de fa pofition exige des fommes bien plus confidérables, L'Angleterre en effet eft une ile, la France eft un pays ouvert une barrière naturelle défend celle-là des

invafions; des vaiffeaux fuffifent à fa fûreté. La France; au contraire eft obligée d'avoir une Marine pour protéger les côtes, en même tems que des armées & des villes de guerre pour défendre fes frontières, ce qui fait que les fonds deftinés en France à la guerre furpaffent de plus de so millions ceux confacrés en Angleterre à leur fervice de terre.

Un territoire plus étendu, d'ailleurs, exige plus de frais d'adminiftration; ceux de juftice & des routes qui, payés par l'Etat, font très-chers en France, ne font pas en Angleterre à la charge du Gouvernement.

Affuré par ces recherches & comparaifons qui portent fur plus de cinquante ans, que nos maux étoient plutôt encore le réfultat des circonftances générales qui avoient enchaîné toutes les Nations, & que le Législateur collectif des anglois avoit été même moins modéré lorfqu'il s'étoit agi des dépenfes nationales, & moins économe que notre Légiflateur, lors individuel, je devins plus circonfpect. Ramené à des fentimens moins tumultueux que ceux qui portant à tout fronder, fans connoiffance de cause, ne font qu'échauffer les efprits & accroître les maux publics, je crus qu'il feroit beaucoup mieux de chercher d'où venoit le mal & comment on pouvoit y remédier.

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Je vis alors que fi les Anglois n'ont point de déficit: c'eft qu'ils mettent des impôts, en raifon des emprunts qu'ils font, pour en payer l'intérêt, ce qui leur donnant un avantage important fur nous, pour emprunter à meilleure compofition, prouve encore que notre gouvernement a été plus économe, puifque notre dette n'eft pas auffi confidérable tandis qu'elle autoit dû furpaffer celle de nos voisins, nos emprunts fur-tout, depuis quel ques années, ayant été faits à un taux très-considérable, comme feul propre à déterminer les capitalistes en raison de ce qu'on leur donnoit,moins de fûreté.

Réfléchiffant enfuite que i les Anglois, après s'ètre affurés par l'apurement des comptes de la guerre d'Amé

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