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gueil, n'est que cette disposition naturelle de l'homme à s'élever, mais déviée de sa véritable direction.

Admirer ce qu'on voit pour la première fois, ce qui est grand, beau, parfait, c'est le résultat de notre tendance à la perfection, et c'en est aussi le moyen. Il y a dans l'âme une capacité immense, et par cela même, un vide immense qu'elle cherche à remplir: de là sa joie, quand une idée nouvelle et digne d'elle vient accroître son trésor. Quel abîme insondable de pensées, de volontés, de sentimens, de mouvemens! quelle rapidité, quelle activité non interrompue à s'avancer toujours vers l'infini! Et comment en serait-il autrement, hors le cas d'une complète dégradation? Cette âme n'est-elle pas un rayon émané du Soleil divin, un rayon projeté par la bonté de Dieu pour s'élancer sur une ligne infinie dans l'immensité des régions de l'intelligence, de la sagesse et de la gloire?

Mais telle est notre faiblesse ici-bas,

que nous ne pouvons satisfaire sans interruption cette faim et cette soif de lumière et de grandeur. Ce n'est que par intervalles et par degrés que nous pouvons en jouir; nous sommes encore des enfans incapables de posséder actuellement tout ce que nous sommes destinés à posséder, quand nous serons devenus des hommes faits: et pas plus que nous ne pouvons supporter long-temps le froid des plus hautes montagnes, pas plus nous ne pourrions supporter le feu et la lumière des régions angéliques. Et bien, redescendons dans la vallée, retournons respirer l'air épais de ce bas monde; mais n'oublions ni ce que nous avons vu, ni ce que nous avons senti, ni les devoirs que nous impose le désir même qui nous anime, de vivre enfin dans les cieux.

Je descendis donc de la montagne, en bénissant Dieu de la grâce qu'il venait de me faire, et que j'aurais voulu partager avec d'autres personnes.

De temps en temps j'étais distrait de

mes réflexions, et tiré de ma douce réverie par le bruit des avalanches qui se précipitaient du haut des Aiguilles dans le glacier des Bois. Ces avalanches ont lieu à mesure que la chaleur du soleil détache les neiges et les glaces qui couvrent les flancs des montagnes : une partie reste dans un état de congélation; et l'autre, comme je l'ai déjà dit, alimente les rivières. Ainsi la Providence se sert de la mort pour alimenter la vie; et du désordre, pour opérer l'ordre et conserver la nature. Mais gardons-nous de croire que Dieu ait créé le désordre et la mort, lui qui est l'auteur de toute grace excellente et de tout don parfait; et demandons au Soleil du monde divin de fondre la glace de nos cœurs, de nous animer de la chaleur du zèle, du feu de l'amour divin, et de la vie des vertus. Demandons-lui d'attirer nos pensées vers le ciel, pour nous faire arriver plus tôt à la hauteur qui nous est propre, comme l'astre du jour fait monter dans l'étendue les eaux qu'il a rendues à leur fluidité.

IV.

PROMENADE de Chamouny à la TêteNoire, le 12 août 1814.

LE spectacle que je vais présenter n'a pas l'éclat et la grandeur de celui du jour précédent. J'avais vu la nature dans sa beauté; je voulus la voir aussi dans ses horreurs; je m'acheminai vers la -Tête-Noire. On donne ce nom à l'un des passages par lesquels on va de Chamouny en Valais.

Je partis par un temps serein: la lumière qui brillait sur le Mont-Blanc présentait un aspect aussi riant et aussi agréable, que les pensées qu'elle m'avait inspirées au coucher du soleil, avaient été tristes et lugubres. A son lever l'astre du jour épanouit la nature; il la montre et rafraîchie et plus belle; il fait ressortir ce qu'elle a de grand et de beau, de tendre et de délicat ; il révèle les progrès qu'ont fait les plantes pendant la nuit ; et s'il présente à l'homme une nouvelle tâche, il lui présente aussi de nouveaux bienfaits du Créateur.

Ainsi, lorsqu'après les ténèbres du péché et de l'ignorance, la lumière du Seigneur commence à luire sur une âme, cette âme entrevoit les beautés de la vie religieuse, le charme des vertus, la sérénité du séjour qu'habitent les bienheureux, et la gloire qui brille en Sion : l'aurore du bonheur qui commence à luire anime son courage, la console des maux qu'elle s'est attirés et des remords qui la tourmentent, éclaire la route qu'elle doit suivre, et lui découvre les secours qui l'attendent, et les fruits dont elle nourrira ses vertus. Divine lumière! fais luire dans ma pensée quelques-uns de tes rayons.

Après une heure de marche en remontant la vallée, nous arrivâmes aux

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