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à midi aussi-bien qu'à son lever et le soir: c'était là son culte régulier, indépendamment des autres temps de la journée qu'elle consacrait à la dévotion suivant les circonstances. Elle attendait midi pour nous inviter à remplir ce saint devoir avec elle.

Le calme s'était rétabli; l'angoisse avait cessé; la parole était plus libre, et l'esprit toujours présent. Un pasteur reste seul avec elle: jamais il n'oubliera cet heureux moment où elle lui donna aussi sa bénédiction, et l'entretint de la mort avec le sang-froid du courage. « Quand je serai partie, lui dit-elle, vous me remplacerez auprès des miens. » Elle le charge de diverses choses; elle met ordre à tout; elle pense à tout aussi aisément que si elle n'était pas accablée par la faiblesse et les souffrances.

" Bientôt la terrible agonie de la nuit passée va m'attaquer de nouveau; je la sens revenir. Plaira-t-il à mon Dieu que je meure dans ce cruel état ? » Elle

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baisse la tête, et reste immobile. A ses côtés deux amis, pour la soutenir prononcent par intervalles quelque courte sentence de la Parole de Dieu quelque verset d'un cantique. Tout-àcoup elle relève la tête, et s'écrie : "Mon Dieu, quelles ténèbres! je ne vois plus par où je puis être sauvée. O mon Sauveur, combien tu me fais attendre ! Mais... fais de moi ce qu'il te semblera bon; je suis à toi pour le temps et pour l'éternité. »

A peine a-t-elle achevé son sacrifice que l'angoisse cesse, que la lumière du salut brille de nouveau dans sa pensée, que son visage pâle et mourant reprenant sa sérénité se ranime, et qu'elle

est rendue encore pour deux heures à ses amis, avec lesquels elle s'entretient saintement, jusqu'à ce que fermant les yeux elle s'endort en paix, pour se réveiller et vivre éternellement heureuse dans le sein de la Divinité.

Et nous, prosternés aussitôt en terre, nous puisons dans la prière la consola

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tion dont notre cœur avait besoin, nous adoucissons nos larmes par des entretiens pieux, nous nous promettons d'imiter cette âme chrétienne, et nous faisons la douce expérience que, bien loin d'effrayer, l'appareil auguste de la Religion affaiblit les traits hideux de la mort, pour qui sent la nécessité de se préparer à la véritable vie, pour qui la foi est le premier des trésors, l'Evangile le plus précieux des livres, la pensée même de la mort la plus douce des consolations, des plus ravissantes espérances, et des sentimens les plus dignes de l'homme qui aspire après le bonheur et l'immortalité.

un

On a dit avec raison, la prière est la respiration de l'âme. Pour l'âme il doit y avoir, comme il y a pour le corps, un élément dans lequel elle vive, élément de sa nature, et dont elle nourrisse ses vertus. Philosophes, méditez cette profonde pensée, et vous découvrirez quelque chose des rapports qui vous unissent à votre Créateur; vous

sentirez que jusqu'au dernier moment de notre vie temporelle l'âme doit tendre vers lui par l'élan du cœur, comme l'enfant dans le sein de sa mère tend sans aucune interruption du mouvement vital qu'elle lui a imprimé, vers le terme de son entrée dans l'air que nous respirons tous. Et qu'est-ce que la mort, si ce n'est la naissance à une vie plus parfaite que celle d'ici-bas, mais naissance qui exige que, pour nous préparer à l'éternité, nous ne négligions aucun des secours de vie morale qui nous sont présentés jusqu'au moment même de notre départ?

M

XII.

De Clarens à Martigny le 11 Juillet 1817.

Au

u sortir de Clarens on approche de plus en plus d'une montagne, au pied de laquelle on voit s'élever en amphithéâtre le beau village de Montreux : et peu au delà on passe sous les murs du château de Chillon, bâti au bord du lac, sur un rocher à pic dont le pied est à plus de cent toises de profondeur. Ce château appartenait anciennement aux ducs de Savoie : c'est là que fut enfermé pendant plusieurs années un prisonnier, qui à force de se promener dans son cachot en avait cavé le roc (1).

(1) François Bonnivard commandeur de St. Victor, qui avait des différens avec le Duc de Savoie, et qui fut délivré lorsque les Bernois s'emparèrent du pays de Vaud.

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