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Tout-à-coup, dans un endroit très-resserré entre le flanc de la montagne et un profond précipice, là où le sentier n'a pas deux pieds de largeur, mon cheval bronche avec violence. Un coup de main vigoureux de mon guide le relève, et me préserve de rouler jusqu'au fond de l'abîme (1). Malgré mon accablement je mets bientôt le pied à terre; et tout en bénissant la Providence de son secours, je sens qu'il ne faut pas braver le danger sans nécessité et tenter le Seigneur.

Je descends donc à pied jusqu'à la rencontre du grand chemin : mais que de réflexions se présentent de nouveau sur ces bornes humiliantes posées à notre activité, même dans les jouissances les plus innocentes, même dans l'acquit de nos devoirs! Non; il n'est pas à sa

(1) Dans les descentes par des sentiers étroits, il faut exiger des guides qu'ils tiennent le mulet ou le cheval aussi près du mors que possible, et du côté du précipice.

place celui dont la pensée est forcée de se rabattre vers la terre, alors même qu'il se sent attiré vers la région de la lumière et des plaisirs du cœur. Cette lutte entre l'esprit et le corps, cette opposition au bien qu'on veut opérer, cette triste guerre de l'homme avec lui-même ne lui prouve que trop qu'il est ici-bas dans un état violent, qu'il doit soupirer après sa délivrance, et que son âme, cette flamme descendue du Ciel, doit tendre avec effort à y remonter, jusqu'à ce qu'il lui soit permis d'opérer librement son ascension vers le Dieu qui est son Principe et sa Fin bienheureuse.

Une pensée me console: si je ne puis prolonger cette journée si douce pour moi, je la renouvellerai par les souvenirs qu'elle me laissera. Puissionsnous, mes compagnons de voyage et moi, quand nous serons arrivés au soir de la vie nous endormir avec le doux espoir de nous réveiller entre les bras du Seigneur, pour nous occuper éternellement et sans obstacle des merveilles de sa bonté!

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Savans qui consacrez vos veilles à étudier la nature, n'en oubliez pas l'Auteur. Rien d'immortel que ce qui se rattache à la Divinité : tout ce qui se rapporte à la matière, sans être sanctifié par la Religion, doit périr avec elle. Gardez-vous d'oublier que vous êtes les Sacrificateurs du Très - Haut dans le temple de la Nature. C'est à vous à y entretenir le feu sacré, à faire briller les luminaires de ce lieu Saint, à proclamer que le Dieu de la nature est aussi celui de l'Evangile, et à chercher dans ses œuvres les pensées de sa Suprême Intelligence..

Et vous qui aimez les Beaux-Arts, sanctifiez-les aussi en les rapportant à leur destination première. Mettez votre lyre en accord avec l'harmonie de l'Ordre divin. Alors une muse Chrétienne vous dictera l'histoire des œuvres du Créateur, et vous inspirera des chants dignes de lui. Vous aurez le ton de la vérité, la mesure de la sagesse, le mouvement du zèle, et le crescendo de l'amour divin.

VII.

PROMENADE à la vallée de Mégève, le 16 août 1815.

Je désirais depuis long-temps voir la

vallée de Mégève, dont les voyageurs naturalistes ne parlent point, mais qui par sa position piquait ma curiosité. Je me mis en route de bon matin avec d'autres personnes.

Le côté méridional de la vallée de Sallenches présente un amphithéâtre cultivé du haut en bas, et formé de deux monts parallèles qui s'élèvent à peu près à la hauteur de 350 toises au-dessus de l'Arve. L'intervalle entre ces deux monts forme une vallée peu profonde, parce que le terrain va en montant dans la direction du nord au sud. C'est à l'extrémité méridionale de cette vallée que se trouve Mégève, où nous nous rendîmes par un chemin qui y conduit directement depuis le bas du vallon de St. Gervais.

Nous partons par un très-beau temps qui nous promet de la jouissance, si le Seigneur nous couvre de sa protection. Après avoir côtoyé le Bonnant jusqu'au pont sur lequel on le traverse, nous tournons sur la gauche, et nous commençons à monter l'un des deux monts dont je viens de parler.

De droite et de gauche, en montant au hameau des Fayets, l'on ne voit que prairies et arbres fruitiers, entre lesquels on découvre par échappées de beaux points de vue. Il est fâcheux que le manque de bonnes eaux, et les exhalaisons marécageuses de la plaine y causent le crétinisine. Qu'elle est humiliante, cette infirmité qui réduit à l'abrutissement l'homme, cet être noble et sublime qu'on est alors tenté de confondre avec le corps qui lui sert tout

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