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Il me fit part de quelques observations géologiques et de ses entretiens avec le grand voyageur des Alpes, Mr. de Saussure, à qui je dois des instructions précieuses, et le goût que j'ai pour cette partie de l'étude de la nature. Avant de nous quitter, Mr. le Curé fit peser en ma présence un granit de la plus parfaite rondeur qu'il avait trouvé dans l'Arve: le poids était de 39 livres. Aussi polie que ronde, celte boule paraît d'abord être l'ouvrage de l'homme : cependant on n'y découvre aucune trace d'usage; rien, par exemple, qui indique qu'elle ait été au-dessus d'un portail. Point d'autre palais dans ces lieux que celui du temps qui s'accorde avec la nature pour présenter à notre intelligente curiosité des jeux qui l'occupent, l'amusent et la déroutent. Nous ne connaîtrons les secrets de ce maître des choses passagères, que lorsque nous ne serons plus soumis à son empire, lorsque devenus purs, immortels et glorieux,

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nous verrons le temps sous nos pieds, et nous règnerons sur lui avec le Dieu qui nous en aura rendus vainqueurs.

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V.

Le retour de Genève à St. Gervais, le 4 juillet 1815.

PLEIN du souvenir des bienfaits dont

la Providence m'a comblé pendant mon précédent séjour aux bains de St. Gervais, et persuadé qu'elle daignera m'y bénir encore, je pars pour y chercher la guérison de mes maux, après y avoir déjà trouvé un grand adoucissement à leur gravité; soumis toutefois à la volonté du Seigneur, si dans sa sagesse infinie il en dispose autrement.

Je pars sur un char dont la seule vue me fais présager que mon voyage sera fatiguant et pénible; mais le mal ne vient pas sans quelque compensation: le sentiment si doux que de vrais amis m'accompagnent de leurs prières et de leurs vœux, est déjà un bon soulage

ment qui m'arrive par le cœur. Dans un monde où, tirés en divers sens par nos affections et nos besoins, nous ne sommes pas au centre des jouissances, au foyer autour duquel doit se rallier un jour la famille humaine, sachons nous contenter des adoucissemens que le Ciel nous envoie.

Avec quel empressement on fait pour la santé du corps des voyages et des dépenses qu'on ne ferait pas pour celle de l'âme ! Triste et humiliante preuve que l'être passager qui constitue notre enveloppe mortelle, a plus de prix à nos yeux que le vrai moi qui est destiné à l'immortalité? Que de gens qui ne sont éclairés sur ce point que par les ténèbres de la mort !

A peine sorti des murs de Genève, la vue de l'appareil militaire qui l'entoure encore, de ces troupes qui couvrent nos campagnes, de ces armes que les hommes tournent si souvent contre d'autres hommes, me fait penser au fléau si désolant de la guerre. Peut-il être dans l'ordre des choses que l'homme combatte contre son semblable, au lieu de combattre uniquement contre le mal et pour rappeler l'espèce humaine à sa destination première ? Malgré tout ce qu'on peut dire pour justifier la guerre par son ancienneté, comme si la prescription faisait quelque chose en morale, notre destination n'est-elle pas assez manifestée par ce que dit expressément St. Paul, que Dieu nous avait élus en lui avant la création du monde, pour être saints et irrépréhensibles devant lui par la charité ? (Eph. I. 2. 3.) Or, s'il est vrai que malgré une telle déclaration il n'y ait jamais eu depuis la révolte du premier homme un seul saint par nature, jamais un seul homme irrépréhensible en tout point, jamais un seul qui ait pratiqué parfaitement la charité; si dès cette chute fatale l'intérêt personnel a pris la place de cette vertu céleste, et donné naissance à tous les chocs, comment la guerre ne serait-elle pas une preuve de cette dégradation primi tive de l'humanité ?

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