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Il vivait à une époque où la gloire de Buffon eut à subir bien des outrages: on attaquait le savant, on ne ménageait pas l'homme. Son cœur honnête s'indigna, et, malgré son grand âge, malgré l'affaiblissement inévitable de ses facultés, il se mit courageusement à l'œuvre, et conçut la louable pensée de composer, avec ses souvenirs, une vie impartiale de Buffon'.

1. La pensée de M. Humbert se trouve nettement exprimée dans deux lettres que j'ai sous les yeux; elles peuvent servir de préface à son œuvre. L'une fut écrite à M. Faujas de SaintFond, l'autre a été adressée à mon père. Dans la première (25 avril 1839), on lit ce passage : « ........... J'ai déjà réuni à mes << souvenirs de nombreux documents, afin de composer une << bonne histoire (qui nous manque) sur M. de Buffon. J'ai sondé « son cœur, je me suis efforcé de faire ressortir ses hautes << qualités, soit comme philosophe, soit comme écrivain; j'ai fait <«< connaître sa vie privée, j'ai réuni les principaux actes de sa « vie publique, j'ai rappelé enfin ses vastes plans et ses systèmes «< ingénieux..... M. Hérault de Séchelles, moins réservé que « M. le chevalier Aude, est entré dans quelques détails sur la « vie et les habitudes de M. le comte de Buffon, dans un opus«< cule intitulé: Voyage à Montbard en 1785. Il révèle ce qui se «< passait, dit-il, dans la maison d'un vieillard où je puis attester «< qu'il ne fut jamais reçu. Quoi de plus blâmable! en ajoutant << surtout à quelques observations vraies une foule de détails << mensongers.... Si avec votre aide, monsieur, je puis atteindre «<le but que je me propose, à mon âge de 81 ans; mon étude << achevée, mon premier mouvement sera de vous en offrir le « fruit, » — Le 7 décembre 1841, M. Humbert-Bazile écrivait à mon

M. Humbert mourut en léguant à sa famille, qui les conserve avec une pieuse sollicitude, les notes qu'il avait réunies dans ce travail de ses derniers jours. Ces notes sont incomplètes; le style en est incorrect et négligé, car elles furent écrites au courant de la plume, par un homme qui, s'étant mis tard à l'œuvre, comprend que le temps peut lui manquer, et recueille en hâte ses souvenirs, plutôt qu'il ne se trace le plan d'un livre.

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Un grand secours fit défaut à M. Humbert. Il

père: «..... Je vous avouerai, monsieur, qu'à mes heures de « loisir j'ai composé un recueil en deux volumes in-8 sur M. de « Buffon. Je le prends au berceau et je trace rapidement l'his<< toire de sa vie jusqu'à son dernier soupir. Je décris son beau visage, et la noblesse de sa démarche, sur laquelle se sont égayés quelques esprits envieux ou légers; je parle de sa jeu«nesse, de ses liaisons, de ses habitudes familières, de ses dé« lassements; je nomme les personnes remarquables que j'ai « vues soit à Montbard, soit au Jardin du Roi..... Mais mes sou«venirs se reportent à un temps bien éloigné; souvent la mé<< moire me fait défaut, aussi je n'ai pu que les noter sans ordre, « sans méthode, sans enchaînement. Que de redites à faire dis« paraître ! que d'anecdotes sans valeur à retrancher ! Ces notes << seraient bonnes tout au plus à servir de matériaux. Vous savez, << monsieur, que Buffon a dit qu'il n'est si mauvais ouvrage « dans lequel on ne trouve quelque chose à glaner! J'ai ras« semblé les pièces, mais je ne puis construire l'édifice; ma << main tremble et ne peut plus tenir une plume, ma tête fléchit « sous le poids de mes quatre-vingt-quatre ans !...>>

manquait de documents écrits, il n'avait pour matériaux que ses seuls souvenirs. Le secrétaire, poussant la délicatesse jusqu'au scrupule, s'était fait un devoir de ne conserver aucune copie des lettres qu'il écrivait sous la dictée de Buffon, ou de celles que Buffon recevait. Parmi ses papiers, il ne s'est trouvé, en ce genre, qu'un seul document une copie d'un manuscrit apocryphe du roi de Prusse. Si M. Humbert eût eu moins de délicatesse ou plus de prévoyance, que de documents curieux il aurait pu nous conserver! Buffon, redoutant la confusion à laquelle donne lieu un trop grand nombre de papiers, déchirait ceux qu'il jugeait inutiles. Combien, dans le nombre, seraient utiles aujourd'hui à ses historiens!

Telles qu'elles nous furent transmises, les notes de M. Humbert-Bazile, que leur auteur n'a eu ni le temps de revoir, ni le temps de compléter, forment cependant un recueil du plus haut intérêt. C'est le récit d'un homme qui a connu Buffon, fut admis dans l'intimité de sa vie, et écrit simplement, naïvement parfois, sans esprit de dénigrement ou de louange aveugle, ce qu'il a vu. Tout ce qui se rattache au Naturaliste lui a paru digne d'être conservé, il parle de sa famille, de ses colla

borateurs, de ses familiers eux-mêmes, et nomme tour à tour les divers personnages qu'il vit soit à Montbard, soit au Jardin du Roi. Ils étaient de la famille ou de l'intimité de Buffon, à ce titre il les trouve intéressants et nous les fait connaître.

Ces notes m'ont été communiquées avec la meilleure grâce par madame Beaudesson, fille de M. Humbert. J'en ai joint quelques-unes à la Correspondance de Buffon; aujourd'hui je publie le manuscrit dans son entier. Il a demandé, avant de paraître, un pénible travail de correction et de classement. En m'imposant cette tâche, longue autant qu'ingrate, j'ai eu la volonté d'accomplir le dernier vœu de son auteur, et d'attacher son nom à une histoire de Buffon, écrite avec un grand esprit de justice. Le public recevra ce livre comme le legs pieux d'un cœur reconnaissant. Il renferme de curieux détails; il vient, en outre, compléter, en l'étudiant par son côté intime, l'histoire de la vie et des idées de Buffon, sur lequel, au point de vue biographique, il n'y aura plus rien à dire désormais.

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