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BUFFON ET SES FAMILIERS

!

LE PÈRE IGNACE'

Deux personnages s'occupaient à Montbard des affaires privées de M. de Buffon: - le P. Ignace et mademoiselle Blesseau. Avec les anecdotes recueillies dans la vie du révérend père on pourrait écrire un livre; je citerai de lui quelques traits.

Le P. Ignace était capucin; il en avait la tournure et la physionomie. Petit, gras et sale, il possédait une grosse tête, des épaules hautes, un cou apoplectique, des lèvres épaisses et tout un extérieur hypocrite et rusé; son langage était humble et empressé.

M.Bougot, son père, appartenait à une honorable famille de Dijon. De ses deux enfants, l'aîné fut une fille, qui entra de bonne heure en religion; mais, le couvent ayant mal fait ses affaires, la communauté fut dissoute et elle revint chez son père. Le cadet fut un fils; à seize ans, il

1. Antoine Bougot, né à Dijon en 1721, mort à Buffon le 1er juillet 1798, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

quitta la maison paternelle pour courir les provinces à la suite d'une troupe de saltimbanques; il revint misérable, manquant de tout, et se fit capucin.

Le P. Ignace, qui avait obtenu les ordres ecclésiastiques par le crédit de sa famille, fut d'abord frèreservant, puis frère-quêteur, et enfin gardien du couvent des capucins de Semur-en-Auxois. En cette qualité il avait de fréquents rapports avec Montbard, et parvint à s'insinuer dans les bonnes grâces du seigneur du lieu. Il venait quelquefois célébrer la messe à Buffon, que desservait le curé de Rougemont, village voisin. Bientôt Buffon devint une cure dont il fut le titulaire. Il obtint de ses supérieurs l'autorisation de résider dans sa nouvelle paroisse et s'installa dans la maison seigneuriale, dont M. de Buffon lui abandonna la jouissance, en y comprenant les meubles et la vaisselle d'argent'. Devenu curé, le P. Ignace jouissait d'un véritable

1. Quelques jours après la mort de son père, le jeune comte de Buffon s'empressa de donner au P. Ignace, qui avait été l'ami de son enfance et le mentor indulgent de sa jeunesse, un témoignage direct de son affection. Il lui abandonna la propriété des meubles dont il n'avait que la jouissance, et lui envoya la pièce suivante, retrouvée dans ses papiers.

« Je soussigné, comte de Buffon, capitaine de cavalerie, gou« verneur de la ville de Montbard, donne et abandonne au ré« vérend père Ignace Bougot, ancien gardien de la communauté « des capucins de Semur, desservant la paroisse de Buffon, << tous les meubles meublants qui sont dans ma maison de Buffon

crédit; il recevait des présents, et se voyait demander sa protection. Son garde-manger était en réputation dans la province; si quelque chose manquait à Montbard dans les cuisines du château, on envoyait à la cure. Le P. Ignace donnait souvent à dîner; lui-même venait dîner plusieurs fois la semaine à Montbard. Il avait un cabriolet conduit par un domestique et attelé d'un vieux

<< qu'il habite, et dans mon château de Quincy, dont feu mon « père lui a laissé la jouissance par son testament. »

Ce 22 avril 1788.

BUFFON.

Cinq années plus tard, sentant sa vie menacée, le fils de Buffon fit ses dispositions dernières. A ce moment il songea encore à son ami; à une somme de trente mille livres que le P. Ignace lui devait, à sa pension qui le faisait vivre, et il rédigea en sa faveur un acte ainsi conçu :

«Par égard pour l'amitié qui existait entre mon père et le << citoyen Bougot, et pour celle qui a continué d'exister entre lui « et moi, je déclare renoncer à exiger de son vivant la somme « de trente mille livres qu'il me doit, et m'en remettre entière<<ment à sa volonté pour les intérêts.

« Je déclare, en outre, que sa pension continuera à lui être « payée jusqu'à la fin de ses jours, sans que son payement puisse « jamais être imputé soit sur le capital, soit sur les intérêts des «dites trente mille livres.

« A Paris, ce 6 pluviôse, l'an II de la République française, « une, indivisible et impérissable. »

LECLERC-BUFFON.

Une amitié qui se transmet du père au fils comme un héritage, fait trop l'éloge de l'homme qui l'inspira pour être passée sous silence.

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