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était avec les gens en place, comme avec ses amis, rempli de cette politesse pleine de candeur qui n'est autre chose qu'un instinct heureux de bienfaisance, et un épanchement d'humanité.

D'autres que lui, sans déroger à l'honneur, auraient pu trouver près des distributeurs des grâces une augmentation de fortune. Des personnages influents lui ont souvent reproché de ne pas songer à augmenter la sienne, et d'après la réponse modeste de mon fils, on lui a dit : Eh bien, nous y penserons pour vous.

Toutes ses prospérités n'ont jamais diminué la douceur de son caractère, la simplicité de ses mœurs, son attachement pour ses amis. C'était pour eux et leur avancement qu'il faisait usage de son crédit auprès des grands. Satisfait de la fortune dont il jouissait, il trouvait des charmes dans un état d'aisance qui le mettait à même de soutenir sa famille, à laquelle il a toujours prodigué ses dons. Un père, une mère, une sœur ne subsistaient que par ses bienfaits; et les grâces avec lesquelles ils étaient distribués, les rendaient doublement précieux. C'était moi surtout qui pouvais mieux les apprécier, puisque j'étais seule instruite des sacrifices et des privations qu'il s'imposait pour subvenir aux besoins de ses parents.

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Je vivais avec mon cher et à jamais regrettable fils, depuis son établissement à Paris; je prenais soin de sa maison et j'avais une autorité absolue sur tout ce qui en dépendait. Rien ne s'y faisait que par mes ordres, et mon fils ne savait pas mieux ce qui s'y passait que si elle ne lui eût pas appartenu. Si je lui parlais d'affaires domes

tiques, il disait - << Votre gouvernement est admirable, et n'est sujet à aucun contrôle. » Il me détaillait ce qu'il faisait, me parlait de tout ce qu'il avait envie d'entreprendre, et me consultait dans les affaires de conséquence. J'ai eu, presque toujours, la satisfaction de voir mon avis conforme au sien; s'il s'y est trouvé parfois quelque différence, ce ne fut que sur des accessoires peu importants. Malgré cela, je n'aimais pas à m'expliquer sur des matières graves. Je me défiais de mon peu de lumière; mais je savais que mon fils rectifierait mes idées, et qu'il n'en avait pas besoin d'ailleurs pour faire éclore les siennes. C'était sans doute pour me donner une nouvelle marque de son respect qu'il m'appelait à son conseil; car il a toujours recherché les occasions de me prouver l'énergie de ses sentiments. Je ne crains pas de le dire, il n'y aura jamais d'enfant plus bienfaisant, plus respectueux, plus tendre, plus soumis, plus dévoué que mon fils ne l'a été à ses père et mère.

Le bien qu'il a fait à ses parents n'a pas nui à ses aumônes; ses grands travaux n'ont pas empêché qu'il ne s'occupât à consoler les affligés. Les bonnes actions étaient pour son cœur des besoins qu'il brûlait de satisfaire. Ce n'était qu'en donnant cet essor à son âme qu'il trouvait le bonheur.

Une ingénuité touchante, une sécurité peut-être trop aveugle prêtaient un nouveau charme à ses vertus. Il ne pouvait penser qu'il y eût des méchants et des perfides; il croyait à l'amitié, à la reconnaissance, à la franchise, à tous ces sentiments qui sont autant de voluptés pour un heu

reux naturel. On eût dit qu'il était né dans les premiers beaux jours du monde, où l'innocence inspirait toutes les démarches, où le crime ne s'était pas encore fait connaître. A l'exemple de ses bienfaits, sa belle âme ne demandait qu'à se répandre.

C'est au milieu d'une vie si pure et à l'âge de trente-six ans, que l'impitoyable mort est venue m'enlever un fils, cher à tant de titres. Une suffocation, occasionnée par l'ouverture d'une caisse de minéraux, dont la vapeur maligne tomba sur sa poitrine, lui fit souffrir pendant quinze heures les douleurs les plus violentes. Il les a supportées avec la patience d'un sage, et, malgré le déchirement de la nature, dans le redoublement même de ses souffrances, il a demandé les secours de l'Église. Sa mort fut celle d'un saint, qui, avec une grande confiance en Dieu, a l'assurance qu'il va vivre d'une meilleure vie. Il n'a témoigné qu'un seul regret en quittant celle-ci; celui de laisser sa famille sans secours. Ses dernières paroles ont été : Je meurs... que deviendra ma pauvre mère!

Du haut des cieux, ta première et dernière patrie, mon fils! reçois mon serment: - je jure de ne pas perdre un seul instant de vue l'image de tes vertus, de ton respect filial, de ta bienfaisance; et de ne former d'autre vœu que celui d'aller bientôt te rejoindre dans l'éternité!

Dieu, qui épuisâtes vos dons en le formant; ne le donnâtes-vous à sa mère que pour être un moment admiré, et toujours regretté!

Je me disais : Mon fils est jeune, et je touche à mon dernier terme; c'est lui qui me fermera les yeux. O ren

versement de toutes les probabilités humaines! ma vieillesse a survécu à ses beaux jours; il n'y a plus personne au monde pour moi, et ma destinée est de vivre seule!

Je ne crains pas d'être démentie sur aucun des faits consignés dans la vie de mon fils. J'atteste le ciel et la terre de la vérité de ce que j'ai dit. J'invoque les souvenirs de ceux qui l'ont connu, dans son enfance, dans sa première jeunesse, dans ses études, dans ses différents séjours à Paris, dans ses sociétés, dans son Chapitre; en un mot dans tout le cours de sa vie. Si quelqu'un de ses amis désavoue une seule phrase de cet abrégé historique, je consens à être regardée comme la plus indigne et la plus méprisable des créatures, et à subir les peines qu'on inflige aux imposteurs.

Loin de contredire mes assertions, tous ceux qui le connurent conservent un souvenir précieux de son mérite, de ses vertus, de ses talents; et ils n'ont jamais manqué l'occasion d'en faire les plus grands éloges. Les journaux ont payé un tribut honorable à sa mémoire, et ont exprimé, avec beaucoup d'énergie, les regrets universels de sa perte.

Mon fils a, dans le cours borné d'une vie de trente-six ans, déployé les talents de l'homme de lettres, les vertus du sage, l'âme du chrétien.

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M. DE GRIGNON

M. de Grignon' fut très-utile à M. de Buffon dans les recherches qu'il fit sur les fers et les meilleurs procédés à employer pour leur fabrication. Il lui fut utile surtout par les conseils qu'il lui donna pour la construction de ses forges.

M. de Buffon aimait les métamorphoses. A Montbard

1. Pierre Clément de Grignon, né à Saint-Dizier le 24 août 1723, mourut à Bourbonne-les-Bains le 2 août 1784.

Il appartenait à une ancienne famille, originaire de Bourgogne, qui remonte à un capitaine des gardes du duc de Guise; comme le constatent ses preuves de noblesse faites en 1775, devant Chérin, lorsqu'il fut reçu dans l'ordre de Saint-Michel. Ses travaux scientifiques et littéraires consistent principalement en mémoires publiés dans les bulletins des diverses Académies dont il était membre. Ces mémoires sont au nombre de plus de quarante-six, et embrassent les matières les plus variées : ils ont tour à tour pour objet la chimie, la métallurgie, l'archéologie,

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