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douce, et possédait les plus rares vertus. Sans fortune, entièrement dévouée aux soins que réclamait sa mère

«< frère ne me persuade que trop que la mort n'est pas attachée « au climat : on la trouve partout. Ce n'est donc pas la peine de <«< fuir; et je reste, en effet, décidé à tenter encore pendant un « an de résister aux rigueurs de la zône torride. Qu'irais-je cher«< cher en Europe, ne pouvant y trouver l'ami dont le destin « m'a séparé? Quelles consolations pourrais-je vous offrir, à « vous, mademoiselle, et à la plus tendre des mères? Hélas! << rien ne saurait vous rendre ce que vous avez tant de raisons << de pleurer. Vous m'aviez bien jugé, mademoiselle, en me << proposant de consacrer un monument funèbre à la mémoire « de mon ami, de mon compagnon d'études, de mon frère en << un mot, car je le regardais comme tel. J'y avais bien songé « avant de recevoir votre lettre; mais alors je n'avais plus d'épi« taphe à préparer que la mienne. Aujourd'hui je reviens à cette <«< idée, tout attendrissante et lugubre qu'elle puisse être pour << un convalescent. Mais j'aime mieux cette douleur que toutes << les fausses et folles joies du monde. L'ombre de mon ami est << encore ma société la plus intime et la plus douce. Il me «< manque néanmoins pour son éloge des renseignements et des << matériaux nécessaires. Je n'ai point ses ouvrages; il m'en fau« drait un exemplaire, afin de les caractériser d'une manière « plus précise. Qu'a-t-on fait de ses manuscrits? Quel parti « comptez-vous tirer de son Histoire de Lorraine? Ces détails << plairaient au public et ne vous seraient peut-être pas inutiles. « Si j'eusse été plus près de vous, j'aurais réclamé le droit de << rassembler les débris de son génie et de publier ses travaux. << Mon éloignement même ne me rend pas cette tâche impossible; « voyez, mademoiselle, ce que vous en pensez. Vous pourrez me « faire parvenir vos paquets en les adressant à M. Geoffroi, chez « M. le comte de Vergennes. Il faudrait que les livres et les pa«<quets fussent emballés dans de la toile cirée, et que vous eussiez

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infirme, elle consacra sa jeunesse à l'accomplissement sévère des plus rigoureux devoirs. J'ai beaucoup connu mademoiselle Bexon; elle venait fréquemment à l'hôtel avec son frère. Un jour, à un dîner auquel j'assistais, l'abbé, en levant sa serviette, trouva un brevet qui lui

« la bonté de m'écrire par duplicata. Je me mets aux genoux de «madame votre mère et je lui demande de me regarder encore «< comme un fils qui lui reste.

« J'ai l'honneur d'être avec un respectueux attachement, ma

« demoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU. »

Au cap Français, île Saint-Domingue, le 29 juin 1785.

« Post-scriptum. Je me rappelle à l'instant qu'il y a maintenant « à Paris un Américain de mes amis, homme très-distingué et qui « se ferait un plaisir de se charger de ce que vous voudriez m'a« dresser. Son nom est M. Belin de Villeneuve. Il est logé chez « M. Baby Dumoreau, chevalier de Saint-Louis, rue Taitbout. «En lui montrant cette lettre, où même sur mon nom seul, il « s'empressera de répondre à vos vues. »

François (de Neufchâteau) n'écrivit pas l'éloge de l'abbé Bexon; mais, lorsqu'en l'an VIII il fit paraître le premier volume du Conservateur, il dédia l'ouvrage aux mânes de son ami, et comprit dans son recueil des fragments de son histoire de Lorraine, ainsi que vingt-cinq lettres de Buffon. Ces lettres, communiquées par Scipion Bexon, furent publiées dans le but de révéler au public, peut-être même d'exagérer l'importance de la collaboration de l'abbé à l'histoire naturelle.

Madame Bexon, voulut, elle aussi, élever à la mémoire de son fils un monument de son amour. François de Neufchâteau avait fait connaître ses travaux, elle entreprit de raconter sa vie. Nous donnons à la fin de cet article cet intéressant document.

conférait la charge de grand chantre de la Sainte-Chapelle de Paris. La rétribution de cette dignité était de huit mille livres tournois. M. de Buffon, ayant appris que le poste était vacant, par suite du décès du chanoine titulaire, avait sollicité et obtenu la nomination de l'abbé Bexon à son insu. On ne peut rendre ni la douce joie de M. le comte, qui avait fait deux heureux, ni les sentiments de surprise et de reconnaissance de l'abbé, touché jusqu'aux larmes d'un bienfait généreux autant que délicat ce spectacle fut réellement aussi noble qu'attendrissant.

Un soir, quelques jours après sa nomination à cette nouvelle dignité, l'abbé Bexon, qui dînait an Jardin du Roi, quitta la table au milieu du repas, en s'excusant sur ce qu'il ne pouvait rester davantage. « Qu'avez-vous? lui demanda M. de Buffon, « êtes-vous indisposé ? <«< Non, monsieur le comte, répondit le grand chantre, <«< mais je suis convoqué pour une solennité qui a lieu « chaque année à la Sainte-Chapelle, et dont je ne con<«< nais pas encore l'objet ; à mon retour je vous en don<<< nerai les détails. >>>

Le surlendemain, l'abbé et sa sœur dînèrent à l'hôtel; il n'y avait à table que M. le comte, son fils et moi.

«Eh bien, monsieur Bexon, dit M. de Buffon, quelle « était cette cérémonie qui vous a subitement éloigné << de nous l'autre soir? est-ce elle qui vous préoccupe

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