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LE COMTE DE BUFFON FILS'

Le fils de M. de Buffon fut un des plus beaux hommes de son temps. D'une taille élevée-cinq pieds cinq pouces -et admirablement prise, il avait un visage noble et distingué. Ses manières étaient aisées, son esprit vif et délicat. D'un tempérament fougueux, il se laissait facilement séduire par les entreprises difficiles, et, s'il se montra parfois exigeant et absolu, on doit en faire remonter la cause aux basses complaisances des personnes qui l'entouraient.

1. Georges-Louis-Marie Leclerc, comte de Buffon, né à Montbard le 22 mai 1764, mourut à Paris sur l'échafaud révolutionnaire le 10 juillet 1793 (22 messidor an II) avant trente ans ! Il fut successivement officier aux gardes-françaises; capitaine dans le régiment de Chartres en 1786; démissionnaire en 1787; capitaine de remplacement au régiment de Septimanie le 22 juillet 1787; major en second du régiment d'Angoumois le 4 avril 1788; lieutenant-colonel du 9e régiment de chasseurs, puis colonel

1794

On a dit de lui qu'il était vaniteux et sans esprit, on a eu tort. Le voisinage de son père lui a nui comme la gloire de Pierre Corneille a nui à la réputation de Thomas Corneille 2.

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Si M. de Buffon n'eût pas eu un père aussi illustre, il eût été certainement mieux apprécié. Ce fut un militaire du premier ordre, apte à diriger de grands commandements. Il était instruit dans l'art de la stratégie, et avait une grande promptitude de détermination. Il écrivait avec méthode et pureté, parlait plusieurs langues, l'anglais aussi bien que le français, et s'exprimait avec une certaine originalité dépourvue de toute prétention. Élevé sous les yeux de son père, qui n'avait point voulu s'en séparer, il avait ses principes, sa prudence et sa dignité. D'une âme portée à l'enthousiasme, d'un cœur excellent, on remarqua toujours, même dans le temps de sa première enfance, le soin avec lequel il évitait tout ce qui pouvait causer quelque chagrin à ses maîtres, à ses parents ou à ses amis.

Ce fut, en un mot, un de ces hommes qui sont remarqués au sein même des sociétés les plus distinguées, et que l'on place partout au premier rang.

au 58° régiment d'infanterie en 1791. (Voir quelques détails intéressants sur sa vie et sur sa mort à la page 395 et suiv. du tome II de la Correspondance.)

1. Pierre Corneille, né en 1606, mort en 1684.

2. Thomas Corneille, son frère, né en 1625, mort en 1709.

M. de Buffon n'avait que fort peu voyagé, il voulut que son fils voyageât de bonne heure. Il l'envoya d'abord en Suisse avec son gouverneur, puis en Allemagne avec le chevalier de La Marck2..

A Vienne, le chevalier et son jeune compagnon furent accueillis par l'Empereur3 avec une distinction marquée.

1. Le gouverneur avait reçu l'ordre de conduire son élève à Ferney. Voltaire se montra très-sensible à ce procédé et fit fête au fils de Buffon; il le pressa à plusieurs reprises entre ses bras, le fit asseoir dans son vaste fauteuil et se tint devant lui debout, la tête découverte, voulant, disait-il, lui rendre l'hommage qu'il aurait rendu à son illustre père.

2. Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de la Marck, né en 1744, mort en 1829 à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Militaire et savant botaniste, auteur d'ouvrages importants, il vécut pauvre et mourut malheureux. Buffon, par les soins duquel il avait obtenu l'impression de son premier ouvrage à l'Imprimerie royale, montra quelle estime il avait dans son caractère en lui confiant son fils; mais, ne voulant pas réduire le savant au rôle secondaire de précepteur, il lui fit donner une commission de botaniste du Roi. Ce voyage servit de prétexte à Buffon pour contraindre le chevalier à accepter un secours qu'il n'aurait voulu recevoir à aucun autre titre; il le savait pauvre et fier, et son âme délicate imagina ce moyen de l'obliger. Le chevalier de la Marck obtint, dans un âge avancé, la chaire de zoologie du Muséum laissée vacante par la mort de Lacepède.

3. Joseph II, frère de l'infortunée Marie-Antoinette, naquit en 1741 et mourut en 1790. Lorsqu'il voyagea en France sous le nom de comte de Falkenstein, il vint plusieurs fois visiter Buffon. A sa première course au Jardin du roi, il dit à l'intendant qui l'était venu recevoir : « Maintenant, monsieur, me voici sur les terres de votre empire. » On connaît la façon charmante dont

Il leur fut permis de descendre dans les souterrains de Kremnitz, d'où l'on extrait l'argent. Leur descente s'opéra à l'aide de machines; ils restèrent plusieurs heures dans ces vastes mines, et ils purent s'entretenir avec les ouvriers que l'on y emploie. Ces ouvriers y habitent avec leurs familles, et ne remontent que rarement à la surface du sol. Le chevalier de La Marck fit, de cette excursion souterraine, une description détaillée qu'il envoya à M. de Buffon.

Après l'Allemagne, M. le comte de Buffon fils visita la Russie. Il s'était offert une occasion toute naturelle de lui faire entreprendre ce long voyage.

L'impératrice avait commandé à Houdon 2 le buste de l'historien de la nature, et, lorsqu'il fut achevé, M. de Buffon chargea son fils de porter l'ouvrage du grand

il répara la maladresse de son frère l'archiduc Maximilien, qui avait poliment refusé l'hommage d'un exemplaire de l'Histoire naturelle, dans la crainte d'en priver l'auteur: « Je viens, dit-il un jour en entrant dans le cabinet de Buffon, réclamer les livres que mon frère a oubliés sur votre table. »>

1. Catherine II, née en 1729, morte en 1796, disait de Buffon: « Celui qui a ainsi parlé des coquilles et de l'homme civilisé n'a « pas dit encore tout ce qu'il en sait. »

2. Jean-Antoine Houdon, né le 20 mars 1741, mort le 15 juillet 1828, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Le buste de Buffon qu'il fit pour l'impératrice est un de ses plus parfaits ouvrages. Nous le connaissons par les plâtres moulés sur l'original. M. Gatteaux, membre de l'Institut, en possède un fort bel exemplaire en marbre aussi attribué à Houdon. C'est le même style; est-il de

sculpteur à Pétersbourg. Dans son voyage, le jeune comte eut pour compagnon le chevalier de Contréglise, qui servait avec lui au régiment des gardes-françaises.

Lorsque les voyageurs approchèrent de Saint-Pétersbourg, ils trouvèrent à quarante lieues de la capitale une compagnie de gardes du corps venue au-devant d'eux pour les accompagner dans la route qu'il leur restait à faire. Le chef de l'escorte avait reçu ordre de veiller à ce que rien ne leur manquât, et de payer les dépenses du voyage. A une lieue de la ville, dès qu'ils furent aperçus des remparts, une double salve d'artillerie annonça leur arrivée; l'état-major de la place vint à leur rencontre, et le gouverneur les invita à monter dans les voitures de la cour qui les attendaient depuis plusieurs jours. Ils furent conduits au grand maréchal du palais, qui présenta les deux voyageurs à Sa Majesté Impériale. Le premier mot de l'impératrice fut pour s'informer de

la même main? Il est certain que le buste commandé par Catherine Il fut emporté en Russie par le jeune comte de Buffon; le sculpteur, dans ce cas, aurait reproduit son ouvrage.

Je possède une quittance donnée au nom de Houdon, pour l'exemplaire du buste de Buffon offert par son fils à l'Assemblée nationale et qui fut placé en face de celui de Franklin,

- « Je « soussigné reconnais avoir reçu du citoyen Buffon la somme « de quatre-vingt-quatre livres pour un plâtre couleur de terre «< cuite du buste de feu le naturaliste célèbre Buffon, son père. A Paris, ce 24 ventôse an II de la république française, << une et indivisible. P. V. Houdon. Pour mon frère, sculpteur. »

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