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mune la personne et les biens de chaque associé, et pour laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Nous verrons bientôt si, dans la solution qu'il en donne, Rousseau est toujours resté fidèle aux termes de son problème et aux grands principes que nous venons de le voir si bien mettre en lumière; mais jusque-là nous ne pouvons que lui applaudir.

VINGT-HUITIÈME LEÇON.

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JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

SES IDÉES POLITIQUES (SUITE).

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Clause à laquelle Rousseau ramène toutes les autres : l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communaulė. Comment il cherche à concilier cette clause avec son principe de l'inaliénabilité de la liberté humaine. Comment et d'après quel modèle il conçoit l'État. Que, suivant lui, c'est l'État qui crée le droit individuel, par exemple de propriété ; et que par conséquent il peut le régler à son gré ou même l'anéantir.

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Idéal social de Rousseau au sujet de la propriété.

Fausse idée de l'unité ou de la communauté civile (assimilation du corps polilique au corps organisé); le moi commun considéré comme la règle du juste et de l'injuste; d'où cette fausse maxime : Tout ce qu'ordonne la loi est nécessairement légitime.

Nous allons pénétrer dans l'intérieur du monument sur le seuil duquel nous nous sommes arrêtés. Mais ici commencent les difficultés. En déterminant le but que Rousseau s'est proposé dans le Contrat social et la base juridique qu'il donne à la société civile et aux obligations qu'elle implique, nous avons pu nous contenter d'analyser sa pensée et d'en faire

ressortir la vérité : cette pensée était, en effet, simple, claire, ou du moins facile à dégager, et, sinon complète, du moins incontestable. Mais en entrant plus avant dans ce grand ouvrage, nous allons nous trouver arrêtés par des obscurités, des contradictions apparentes ou réelles, de graves erreurs mêlées å de grandes vérités, qui rendront notre tâche plus malaisée, mais aussi plus importante. Car, comme le Contrat social renferme ou paraît renfermer des principes très-opposés, et que, si les uns peuvent être acceptés par la politique la plus libérale, on peut aussi tirer des autres un système qui serait le tombeau de la liberté même, il importe de soumettre ces principes à une critique approfondie.

J'ai indiqué et approuvé les termes dans lesquels Rousseau formule le problème fondamental dont le Contrat social doit donner la solution :

Trouver une forme d'association qui défende et protége de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant.

Ces termes sont excellents: ils indiquent supérieurement le but même de la société civile, par conséquent du pacte social, qui est, en effet, de défendre et de protéger la personne, la liberté, les biens, c'est-à-dire en un mot les droits de chacun,

au moyen de la force de tous; et, par cela même qu'ils assignent ce but à la société civile et au contrat social qui lui doit servir de base, ils consacrent l'antériorité des titres de la personne humaine, et semblent confirmer ce que Rousseau a si bien dit plus haut de l'inaliénabilité de la liberté de l'homme.

Mais voici qu'immédiatement après avoir ainsi formulé le problème à résoudre, il ramène toutes les clauses du contrat social qui doit résoudre ce problème à celle-ci l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté.

Cette nouvelle formule, prise à la lettre, pourrait être celle du communisme ou au moins de cette espèce de socialisme qui sacrifie toute liberté individuelle à l'État. Mais comment la concilier avec ce principe, si supérieurement exposé plus haut, que nul n'a le droit de renoncer à sa liberté et qu'une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme? N'y a-t-il pas là une contradiction manifeste? Plus haut, Rousseau déclarait que nul ne peut s'aliéner lui-même, et il parle maintenant d'une aliénation totale. Il soutenait dans l'Émile qu'un contrat où un homme aliène sa liberté « sans restriction, sans réserve, sans aucune espèce de condition », est par le fait même nul et non avenu, et il fait maintenant de l'absence même de toute réserve

dans l'aliénation la condition de la perfection du contrat social et de l'union civile.

Il est vrai qu'il ne s'agit plus ici de l'aliénation d'un homme à un autre, mais de celle de chaque associé à toute la communauté; mais voyons si cela fait une différence réelle.

<< Premièrement, dit Rousseau, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous. » Mais de ce qu'une condition est égale pour tous, il ne s'ensuit pas qu'elle soit légitime pour chacun? Si l'aliénation totale de chaque individu est contraire à la nature de la personne humaine, il ne suffit pas qu'elle soit commune à tous pour cesser de lui être contraire.

Rousseau ajoute: «La condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt à la rendre onéreuse aux autres. Mais la question n'est pas ici de savoir si les uns peuvent avoir ou non intérêt à la rendre onéreuse aux autres, ce qui, d'ailleurs, n'est pas aussi simple que le pense l'auteur; il s'agit d'abord de savoir si elle est compatible avec la nature et la dignité de l'homme.

Enfin, dit Rousseau, chacun se donnant à tous ne se donne à personne; et, comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce que l'on perd, et plus de force pour conserver ce que l'on a.»

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