Page images
PDF
EPUB

VINGT-SEPTIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

[ocr errors]

SES IDÉES POLITIQUES.

[ocr errors]

Rôle de Rousseau dans l'ordre des idées politiques. Le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes: esprit de ce discours; conclusion dirigée contre le despotisme, et magnifique dédicace à la république de Genève. Le Contrat social but de celte œuvre; en quoi elle se distingue de celle de Montesquieu. Difficultés signalées par Rousseau (dans l'Émile) au sujet de la tâche entreprise ici. Véritable sens, en général mal compris, de la question fondamentale du Contrat social. Faux principes à écarter : l'autorité paternelle, la volonté de Dieu (le droit divin), le droit du plus fort, le droit d'esclavage (Grotius) : inaliénabilité de la liberté humaine. Que la base juridique de la société civile est le contrat social. Fausses objections contre ce principe.

Vérité de ce principe, bien compris.

formule du problème à résoudre.

Excellente

Nous avons étudié les idées morales de Rousseau, et, tout en relevant les erreurs ou les exagérations du trop paradoxal écrivain, nous avons constaté ce que son rôle eut de beau et de grand dans cet ordre d'idées rappeler à l'homme la nature de l'homme si étrangement défigurée par les institutions et par

BARNI.

, II - 12

les préjugés; et, par ce retour même à la nature et à ses profonds instincts, relever en lui le sentiment moral, étouffé par la superstition, outragé par les mœurs du temps et méconnu par toute une école de philosophes qui ramenaient les idées morales à des conventions et réduisaient le devoir à l'intérêt personnel, tel a été le rôle de Rousseau. Dans l'ordre des idées politiques, son rôle a été plus important encore et son influence plus considérable. Ce rôle, je l'ai marqué d'avance en deux mots, quand je vous ai dit que, dans cette distribution des tâches que se sont en quelque sorte partagées les philosophes du XVIIe siècle, Rousseau représente plus particulièrement l'idée de la souveraineté du peuple et de l'égalité politique. C'est ce que va confirmer l'étude où nous entrons. Nous verrons aussi combien fut grande l'influence de Rousseau sur la révolution française.

Je ne m'arrêterai pas longtemps sur le premier ouvrage politique de Rousseau, le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Ce n'est pas là qu'il convient de chercher la véritable théorie de Rousseau; il n'y faut même pas chercher une doctrine réfléchie. La thèse qu'il y développe, prise en elle-même, est insoutenable. Essayant de retrouver l'homme naturel, l'homme originel, il imagine un certain état de nature qui

est au-dessous de l'état sauvage, car les sauvages de la nature vivent au moins en société, tandis que le sauvage de Rousseau errant dans les forêts, sans industrie, sans parole, sans domicile, sans liaison, passe sa vie sans nul besoin de ses semblables, peutêtre même sans jamais en reconnaître aucun individuellement; et c'est dans l'état de société qui, selon lui, n'est pas naturel (il va jusqu'à nier l'instinct de sociabilité), qu'il place le principe de l'inégalité et de tous les maux qui affligent les hommes. Une telle thèse n'a pas besoin d'être réfutée; il suffit de dire avec Voltaire : on n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes (1). Mais faut-il prendre ici Rousseau au pied de la lettre? Les écrivains de ce genre sont très-gênants: si on les prend au mot et qu'on entreprenne, soit de les combattre, soit de les suivre, ils vous accusent de ne les avoir pas compris. Voici à ce propos une petite anecdote fort caractéristique. On raconte qu'un père de famille étant venu faire une visite à Rousseau et lui ayant dit : « Monsieur, vous voyez un homme qui a élevé son fils suivant les principes qu'il a eu

(1) Voltaire ajoutait : « Il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. »

[ocr errors]

le bonheur de puiser dans votre Émile »; l'auteur d'Émile lui répondit : « Tant pis, monsieur, tant pis pour vous et pour votre fils. Je n'ai point voulu donner de méthode, j'ai voulu empêcher le mal qui se commettait dans l'éducation. » Mais ce père de famille n'aurait-il pas été en droit de répondre à l'écrivain: pourquoi donc, voulant dire une chose en avez-vous dit une autre? Que ne disiez-vous tout simplement ce que vous vouliez dire? Je ne sais si cette observation ne s'appliquerait pas au Discours sur l'inégalité. Je suis pourtant tenté de croire que Rousseau, égaré par son amertume contre les institutions sociales de son temps, s'est fait illusion sur la valeur de sa thèse, qu'il a du reste abandonnée ou modifiée depuis. Mais, quoi qu'il en soit, il vaut mieux en chercher l'esprit qu'en examiner la lettre. Ce qu'il y faut donc voir surtout, c'est d'abord ce grand principe du retour à la nature de l'homme, comme au type primitif, principe excellent par lui-même, bien que Rousseau en fasse ici une très-fausse application, et qu'il gardera toujours, sauf à l'appliquer autrement; c'est ensuite, au nom même de ce principe, une satire amère contre les préjugés et les vices de la société, et une attaque détournée contre les institutions politiques du temps, particulièrement contre le despotisme. Tel est en effet le véritable esprit de ce discours. Aussi les dernières pages

« PreviousContinue »