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un certain genre d'éducation. On en trouvera peutêtre les couleurs un peu chargées; je la crois, pour ma part, d'une vérité frappante.

<«< Un enfant passe six ou sept ans de cette manière entre les mains des femmes, victime de leur caprice et du sien; et après lui avoir fait apprendre ceci et cela, c'est-à-dire après avoir chargé sa mémoire, ou de mots qu'il ne peut entendre, ou de choses qui ne lui sont bonnes à rien; après avoir étouffé le naturel par les passions qu'on a fait naître, on remet cet être factice entre les mains d'un précepteur, lequel achève de développer les germes artificiels qu'il trouve déjà tout formés, et lui apprend tout, hors à se connaître, hors à tirer parti de lui-même, hors à savoir vivre et à se rendre heureux. Enfin, quand cet enfant, esclave et tyran, plein de science et dépourvu de sens, également débile de corps et d'âme, est jeté dans le monde, en y montrant son ineptie, son orgueil et tous ses vices, il fait déplorer la misère et la perversité humaines. On se trompe; c'est là l'homme de nos fantaisies celui de la nature est fait autrement. >>

VINGT-CINQUIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

SES IDÉES MORALES (SUITE).

Que la première éducation doit être purement négative; ce qu'il y a de vrai et d'exagéré sur ce point dans la méthode de Rousseau.

- Que les leçons morales doivent être plutôt en action qu'en disMéthode relative au premier enseignement de la justice.

cours.

Ce que doit être la punition à l'égard des enfants.

Méthode relative à la bienfaisance et à la charité; trois importantes maximes à ce sujet. Proscription des livres (à l'exception de Robinson) et même des fables dans l'éducation des enfants; leur emploi dans celle des jeunes gens. Conduite à tenir en cas d'offense. Rousseau ne veut point qu'on parle de Dieu et de religion aux enfants avant l'âge de dix-huit à vingt ans; examen de cette opinion.

J'ai entrepris de chercher dans l'Émile comment Rousseau comprenait les devoirs de l'homme, et comment il voulait qu'on travaillât à en inculquer l'idée et l'habitude par le moyen de l'éducation.

Selon l'auteur de l'Émile, et ceci est pour lui une conséquence du grand principe qu'il donne pour base à toute l'éducation, la première éducation doit

être purement négative, c'est-à-dire qu'elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le cœur du vice et l'esprit de l'erreur.

Le but de cette règle est de laisser à l'enfance le temps de mûrir afin de l'instruire ensuite plus sûrement, et de ne pas décréditer d'avance la raison dans un esprit qui n'est pas encore en état de l'entendre.

Il est très-vrai qu'il faut laisser mûrir l'enfance dans les enfants, et qu'on doit prendre garde de fausser leur esprit et de gâter leur cœur par une culture prématurée; mais s'ensuit-il qu'on doive laisser, jusqu'à l'âge de douze ans, leur âme tout à fait oisive? N'est-ce pas un singulier moyen de la laisser mûrir que de s'abstenir de la cultiver? Un singulier moyen de la mettre en mesure de résister à l'erreur et au vice que de la laisser à l'état brut?

Il est très-vrai qu'il faut traiter les enfants comme des enfants, et ne pas leur parler un langage qu'ils ne sauraient comprendre en voulant en faire de petits savants, on en fait des perroquets, sinon des esprits faux ou des cœurs corrompus; mais est-il absolument impossible de raisonner avec eux en appropriant son langage à leur esprit et à leur caractère? Il y a là dans Rousseau une évidente exagération. Il se défie beaucoup trop de la raison des enfants. Sans doute il y a un âge où ce serait peine

perdue que de vouloir leur faire entendre le langage de la raison et de leur parler du devoir : ils ne font alors que ce qui leur plaît ou ce qu'on les force à faire; mais aussi ils sont capables d'entendre ce langage et particulièrement de comprendre l'idée de la justice et des devoirs qu'elle prescrit plus tôt qu'on ne le pense communément : « Quel est l'âge, demandait Voltaire, où nous connaissons le juste? » Et il répondait très-bien: « l'âge où nous connaissons que deux et deux font quatre. » Il n'y a pas d'idée rationnelle que les enfants conçoivent plus vite et plus aisément, et celle-ci est éminemment propre à les initier à l'intelligence du langage de la raison. Seulement il faut savoir approprier cette idée et ce langage à leur âge, et c'est là le grand art.

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Rousseau a, d'ailleurs, très-bien compris luimême que sa méthode inactive, la meilleure à ses yeux si l'éducation pouvait être solitaire, était tout à fait impraticable au milieu de la société. Je tiens pour impossible, dit-il, qu'au sein de la société l'on puisse amener un enfant à l'âge de douze ans sans lui donner quelque idée des rapports d'homme à homme et de la moralité des actions humaines. » Le voilà donc forcé de sortir de sa méthode négative, suivant laquelle il désirait qu'on pût amener son élève jusqu'à l'âge de douze ans sans qu'il sût seulement distinguer sa main droite.

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