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que la raison nous fait concevoir et qu'elle nous fait un devoir de respecter.

Quelles que soient les difficultés que présente la Profession de foi du vicaire savoyard, touchant le fondement de la vertu, difficultés qui s'expliquent d'ailleurs, soit par l'inconsistance même de la théorie de Rousseau, soit par les exagérations naturelles au style oratoire (ajoutez qu'ici Rousseau fait parler un personnage), il n'en a pas moins bien reconnu que la vertu, comme son nom l'indique, suppose l'effort, la lutte, le combat.

« Mon enfant, il n'y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. Le mot vertu vient de force; la force est la base de toute vertu. La vertu n'appartient qu'à un être faible par sa nature, et fort par sa volonté ; c'est en cela seul que consiste le mérite de l'homme juste; et, quoique nous appelions Dieu bon, nous ne l'appelons pas vertueux, parce qu'il n'a pas besoin d'effort pour bien faire. »

Il distingue très-bien lui-même la vertu de la bonté, qui n'est qu'un effet de la nature, et par-là corrige heureusement sa propre théorie :

« Celui qui n'est que bon ne demeure tel qu'autant qu'il a du plaisir à l'être ; la bonté se brise et périt sous le choc des passions humaines, l'homme qui n'est que bon n'est bon que pour lui, »

Il définit très-bien l'homme vertueux :

« Qu'est-ce donc que l'homme vertueux? c'est celui qui sait vaincre ses affections; car alors il suit sa raison, sa conscience; il fait son devoir; il se tient dans l'ordre, et rien ne peut l'en écarter. »

Enfin Rousseau, tout en repoussant l'erreur des stoïciens, qui confondaient le bonheur avec la vertu, montre avec raison dans la vertu la source des plus pures jouissances et la condition du vrai bonheur. Rien de plus sensé et de plus juste que ce qu'il dit à ce sujet, dans une lettre adressée de Montmorency (4 mai 1761) à un M. d'Offreville, de Douai, qui l'avait interrogé sur cette question: S'il y a une morale démontrée ou s'il n'y en a point.

« Surtout, monsieur, songez qu'il ne faut point outrer les choses au delà de la vérité, ni confondre, comme faisaient les stoïciens, le bonheur avec la vertu. Il est certain que faire le bien pour le bien, c'est le faire pour notre propre intérêt, puisqu'il donne à l'âme une satisfaction intérieure, un contentement d'elle-même, sans lequel il n'y a point de vrai bonheur. Il est sûr encore que les méchants sont tous misérables, quel que soit leur sort apparent, parce que le bonheur s'empoisonne dans une âme corrompue, comme le plaisir des sens dans un corps malsain. Mais il est faux que les bons soient tous heureux dès ce monde; et comme il ne suffit pas au corps d'être en santé pour avoir de quoi se nourrir, il ne

suffit pas non plus à l'âme d'être saine pour obtenir tous les biens dont elle a besoin. Quoiqu'il n'y ait que les gens de bien qui puissent vivre contents, ce n'est pas à dire que tout homme de bien vive content. La vertu ne donne pas le bonheur, mais elle seule apprend à en jouir quand on l'a; la vertu ne garantit pas des maux de cette vie et n'en procure pas les biens; c'est ce que ne fait pas non plus le vice avec toutes ses ruses; mais la vertu fait porter plus patiemment les uns et goûter plus délicieusement les autres. Nous avons donc, en tout état de cause, un véritable intêrêt à la cultiver, et nous faisons bien de travailler pour cet intérêt, quoiqu'il y ait des cas où il serait insuffisant par lui-même sans l'attente d'une vie à venir. Voilà mon sentiment sur la question que vous m'avez proposée.

Je n'ai parlé jusqu'ici que de la vertu en général. En recherchant dans Rousseau la théorie des différents devoirs de l'homme, nous verrons quelles sont les vertus particulières dans lesquelles il la décompose, et nous préciserons et compléterons ainsi l'idée que nous en avons déjà.

VINGT-QUATRIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

SES IDÉES MORALES.

Que c'est sous la forme du problème de l'éducation (dans l'Émile) que Roussean a en général traité la question des devoirs de l'homme. Idée qui domine sa théorie de l'éducation, comme toute sa philosophie morale: Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses; tout dégénère entre les mains de l'homme. -Critique de cette idée; ce qu'elle contient de vrai et de bon. Ce que Rousseau entend par nature. Distinction de l'amour de soi et de l'amour-propre; comment le premier se transforme dans l'amour des hommes, et devient le principe de la justice humaine; comment le second au contraire engendre les passions haineuses. Que Rousseau a mal posé le problème de l'éducation; mais que sa théorie n'en a pas moins un beau et grand côté. Il a bien vu que le premier soin de l'éducation doit être de former l'homme même, et que la véritable éducation doit moins consister en préceptes qu'en exercices. regarder l'éducation domestique comme la meilleure?

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sacrifie trop la discipline à la liberté naturelle: opposer ici Kant à

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Après avoir vu comment Rousseau répond aux deux questions fondamentales de la morale, la ques

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