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Enfin, on l'a accusé d'ingratitude, et il faut convenir qu'il semble quelquefois mériter ce reproche. Je ne parle pas de sa brouille avec Grimm, avec Diderot, avec madame d'Épinay, avec Hume, etc., qui n'eurent certainement pas moins de torts à son égard que lui-même envers eux; je parle de sa conduite à l'égard de madame de Warens, sa bienfaitrice; dont il divulgue la vie privée et les fautes dans ses Confessions. Il faudrait pourtant noter d'abord, comme circonstance atténuante, qu'à l'époque où Rousseau écrivit ses Confessions (1766), madame de Warens était morte (1765); mais ce qu'il importe surtout de faire remarquer, c'est qu'en racontant ainsi la vie de madame de Warens avec la sienne, il péchait plutôt par manque de délicatesse morale que par ingratitude. Il croit, en parlant comme il le fait de sa bienfaitrice, lui témoigner toute la reconnaissance qu'il lui doit; il ne s'aperçoit pas qu'en révélant ses fautes, il divulgue des secrets que la plus simple délicatesse, à défaut de sa reconnaissance, aurait dû lui faire taire. Il n'a pas même le sentiment de son indiscrétion. Voilà son excuse.

Tel fut Rousseau. Si je repousse les défauts qu'on lui a faussement reprochés, je n'ai dissimulé aucun de ceux qu'il eut réellement ; mais j'ai montré aussi, à côté de ces défauts, les grandes qualités qui les compensaient. Je ne dirai pas avec Mirabeau, lequel

n'était pas lui-même le meilleur des juges en matière de vertu, qu'il ne fut jamais peut-être un homme aussi vertueux, et qu'il arracha mille fois plus à ses passions qu'elles n'ont pu lui dérober; mais je dirai que, quand on songe à ce que fut sa jeunesse et de quel abaissement il se releva par sa propre force, on est plus tenté de l'admirer pour ses qualités et ses vertus que de le blâmer pour ses défauts et ses fautes.

VINGT-TROISIÈME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

SES IDÉES MORALES.

LA LIBERTÉ. Elle est la qualité spécifique qui distingue l'homme de l'animal. Le sentiment intérieur que nous en avons plus fort que tous les arguments. Confusion de la liberté et de l'entenRéponse à l'objection tirée de l'incompatibilité de la

dement.

divine.

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liberté humaine, soit avec l'ordre général, soit avec la bonté LE PRINCIPE MORAL. Que le fondement de la morale ne peut être ni la coutume, ni l'intérêt personnel, mais qu'il y a en nous un principe inné de justice et de vertu la Conscience. En quoi consiste ce principe pour Rousseau : difficultés et contradictions que présente sa pensée sur ce point.

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Que sa théorie est au fond celle de la morale du sentiment, mais sous une forme peu rigoureuse. Ce qu'il y avait d'ailleurs de juste et d'opportun dans cette théorie. — IDÉE GÉNÉRALE DE LA VERTU. Pourquoi Rousseau ne veut pas qu'on la définisse l'amour de l'ordre. Que la force (le courage) est la base de la vertu. Comment elle diffère de la bonté. Définition de l'homme vertueux. Rousseau distingue le bonheur de la vertu, mais il voit dans la vertu la condition du vrai bonheur.

La philosophie morale fut, par excellence, l'objet des méditations de Rousseau: il ne voit rien de plus beau et de plus grand que cette étude (1), il y ramène

(1) C'est ce qu'il exprime dès le début de son premier discours : « C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque

toute la philosophie (1), et la philosophie ainsi entendue est pour lui une affaire d'âme et non pas seulement d'esprit (2); mais aussi il ne la sépare pas de la philosophie politique : les devoirs de l'homme ne vont pas chez lui sans ceux du citoyen. Témoin l'Émile, dont le Contrat social n'est lui-même que le développement.

Interrogeons-le d'abord, comme nous avons fait pour Montesquieu et pour Voltaire, sur les deux fondements essentiels de la morale: la liberté morale et la loi morale.

Rousseau peut être regardé à juste titre comme un des plus fermes et des plus éloquents défenseurs de la liberté morale, et il le fut à une époque où le matérialisme et le fatalisme tendaient à envahir les

manière du néant par ses propres efforts; dissiper, par les lumières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé; s'élever au-dessus de lui-même; s'élancer par l'esprit jusque dans les régions célestes; parcourir à pas de géant, ainsi que le soleil, la vaste étendue de l'univers; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l'homme et connaitre sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations.»

(1) Voyez les dernières lignes du même discours : «Ne suffit-il pas pour apprendre les lois (les lois de la vertu) de rentrer en soi-même et d'écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions? Voilà la véritable philosophie, sachons nous en contenter.»>

(2) Voyez Troisième promenade.

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