Page images
PDF
EPUB

travaux opposés de ces savants. Mais, après en avoir depuis pris connaissance, je crois pouvoir maintenir les conclusions auxquelles je m'étais arrêté. L'hypothèse du suicide par le pistolet reste, malgré le nouvel appui que vient de lui donner M. Dubois (d'Amiens), absolument inadmissible; et quant à celle de l'empoisonnement, laquelle, comme je l'ai dit (p. 93), ne deviendrait une vérité démontrée que si l'on pouvait prouver que les symptômes indiqués par le procès-verbal de l'autopsie du corps et les circonstances qui ont précédé le décès, non-seulement s'accordent parfaitement avec cette hypothèse, mais ne sauraient s'accorder avec aucun autre genre de mort, je vois les hommes les plus compétents exprimer sur ce point des avis. contraires là où M. Dubois (d'Amiens) affirme, M. Chéreau et M. Delasiauve nient, après d'autres savants médecins (1). N'avais-je donc pas raison de douter que l'on pût faire cette démonstration?

(1) Entre autres M. le docteur G. H. Morin (Essai sur la vie et le caractère de J. J. Rousseau, Paris, 1851), et M. le docteur L. Aug. Mercier (Explication de la maladie de J. J. Rousseau et de l'influence qu'elle a eue sur son caractère et ses écrits, Paris, 1859). M. Morin a particulièrement discuté (p. 441-449) la question médicale soulevée par le procès-verbal de l'autopsie, c'est-à-dire le point capital du débat, et fortement combattu l'opinion que vient de reprendre M. Dubois (d'Amiens).

Après avoir commencé par des regrets, je veux finir par une promesse, que le public m'a lui-même encouragé à lui faire: celle de compléter l'ouvrage dont il a si bien accueilli la première partie. Je réunirai dans un troisième volume aux moralistes Vauvenargues, Duclos, Helvétius, Saint-Lambert et Volney, les communistes Mably et Morelli et les économistes Quesnay, etc. Enfin, dans un quatrième et dernier volume, suivant le mouvement des idées morales et politiques du xvi° siècle dans les publicistes-hommes d'État, Turgot, Malesherbes, Necker, Mirabeau et Condorcet, je montrerai ces idées passant avec eux de la théorie dans les faits et aboutissant à la Révolution française, ce qui me conduira naturellement à exposer mes dernières conclusions sur le rôle de la philosophie du XVIII° siècle. La carrière à parcourir est encore vaste, mais je ne regretterai pas ma peine si cette revue critique des travaux de nos pères profite en quelque chose à l'instruction de mes jeunes contemporains.

JULES BARNI.

Paris, 26 novembre 1866.

DES

IDÉES MORALES ET POLITIQUES

EN FRANCE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

DIX-HUITIEME LEÇON.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

L'HOMME SA VIE.

Que sans Rousseau l'œuvre de Montesquieu et de Voltaire serait restée incomplète. Le lieu de sa naissance : la protestante et républi

[blocks in formation]

Sa famille, originaire de France; son père et sa

Ses premières lectures.

graveur, nouvelles lectures.

--

[blocks in formation]

Sa fuite de Genève.

il entre en relations avec madame de Warens.

[blocks in formation]

l'hospice des catéchumènes de Turin, son abjuration.

laquais pour vivre, aventure du ruban.

[blocks in formation]

Influence qu'exerce sur

lui l'abbé Gaime, l'un des types du Vicaire savoyard.— Séjour à Annecy chez madame de Warens, nouvelles lectures. Placé au séminaire, Rousseau n'est pas même jugé bon à faire un curé de

Il entre à la maîtrise de la cathédrale.

campagne.
pied en Suisse et à Paris.

[ocr errors][merged small][merged small]

Effet produit sur lui par le spectacle

BARNI.

II

1

de la condition du paysan français.

Nouveau séjour chez madame de Warens, à Chambéry; influence de ce nouveau séjour. — Retraite aux Charmettes: méditation, lecture des philosophes, études sérieuses. Invention d'une méthode pour noter la musique en chiffres; nouveau voyage à Paris.

Les écrivains du xviir siècle, animés tous de la passion du bien public et de l'humanité, ont chacun leur rôle spécial dans l'oeuvre commune; aussi se complètent-ils les uns les autres, et il ne faut pas les séparer, si l'on veut embrasser cette grande œuvre dans toute son étendue. La postérité l'a bien senti malgré les fâcheuses divisions et les tristes querelles qui les avaient séparés de leur vivant, elle les a réunis après leur mort dans le même bataillon, le bataillon sacré. Les noms de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau sont des noms qui vont ensemble et qui sont indissolublement liés.

Nous avons vu quelle fut l'œuvre de Montesquieu, et quelle fut celle de Voltaire. Sans Rousseau, cette double œuvre serait restée incomplète. Celui-ci représente, dans l'ordre des idées morales, le retour de l'âme sur elle-même, l'appel à la conscience comme à une voix intérieure qu'il faut toujours consulter, le sentiment en général ou l'instinct naturel; et, dans l'ordre des idées politiques, le principe de l'égalité républicaine et de la souveraineté du peuple. C'est ainsi que dans ce second ordre

d'idées, se trouva complétée l'œuvre de Montesquieu et de Voltaire, dont l'un s'était surtout attaché à l'idée de la liberté politique et l'autre au principe de l'humanité dans les rapports sociaux; et que, dans le premier ordre d'idées, la morale, sans abandonner le souci du bien de la société et du genre humain, revint à cette culture de l'homme intérieur dont Montesquieu n'avait guère eu à s'occuper, au point de vue critique et historique où il s'était placé, mais que Voltaire négligeait beaucoup trop dans la préoccupation de son principe de l'humanité: en prenant un caractère plus intime, la morale devint aussi plus sévère et plus complétement digne de l'homme.

Par ce côté, non-seulement Rousseau corrigea et compléta la morale de Voltaire, mais en général il opéra une réaction salutaire dans la morale de son temps, contre le relâchement de laquelle il protesta éloquemment et à laquelle il opposa de si nobles leçons, sinon toujours, hélas! les meilleurs exemples.

Mais, avant d'étudier les idées morales et poli tiques de Rousseau, il nous faut d'abord considérer l'homme; nous comprendrons mieux ensuite le moraliste et le politique.

Jean-Jacques Rousseau est né dans les premières années du siècle sur lequel il devait avoir une si grande influence, le 28 juin 1712, vingt-trois ans

« PreviousContinue »