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procès-verbal d'audience qu'après la lecture de cette déclaration, le président des assises a demandé aux jurés s'ils avaient fait attention qu'en répondant négativement sur la circonstance de violence, ils avaient dépouillé le fait de tout caractère de criminalité, qu'en agissant ainsi le président avait, sans doute sans intention, violé l'art. 342 du C. d'inst. cr. et méconnu les attributions légales du jury, qui n'est appelé à prononcer que sur le fait et non sur la pénalité attachée aux conséquences du fait;

Attendu, sur le deuxième moyen, que la loi veut qu'il soit donné un défenseur à l'accusé dès le moment qu'il a subi le premier interrogatoire devant le président des assises, avant l'ouverture de la session; que cette sage prévoyance de la loi serait illusoire, si le défenseur n'assistait l'accusé dans tous les cas; que c'est violer tous les principes de justice que de ne pas permettre que le défenseur soit entendu toutes les fois que le ministère public a pris la parole; que la loi veut que l'accusé soit entendu le dernier; que le président, en refusant la parole au défenseur après la lecture de la déclaration, sous le prétexte que l'accusé n'était pas dans ce moment présent à l'audience, a violé l'art. 365 du C. d'inst. cr.;

Attendu, sur le troisième.moyen, que si le président a le droit de diriger les débats et d'employer tout le pouvoir qu'il tient de la loi pour la manifestation de la vérité, il ne s'ensuit pas qu'il puisse seul, et sans avoir consulté la Cour, prononcer sur tous les points contentieux; que si, par un abus de pouvoir, le président a refusé de statuer sur les réquisisitions du ministère public et les conclusions du défenseur, et pris sur lui d'annuler une déclaration du jury, il a violé les dispositions du Code d'inst. cr. précitées;

Attendu qu'il a été déclaré par le jury que le fait incriminé avait eu lieu, mais sans violence; que dès-lors ce fait ne constituait plus ni crime ni délit. -Casse et annulle l'arrêt de la Cour d'assises du Var du 21 décembre dernier, ordonne que Henri Moutte sera immédiatement mis en liberté. น

Du 28 janvier 1830. M. de Bastard, présid.

Cour de cassation. Ch. crim.

Nota. Cet arrêt est remarquable sous plusieurs rapports. Cependant il n'éclaircit pas entièrement les nombreuses difficultés qui s'attachent au renvoi des jurés dans la Chambre des délibérations, et notamment la question de savoir quand la déclaration est définitivement acquise à l'accusé. (V. sur ce point nos art. 9, 81, 113, 163 et 199.)

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Un imprimeur a-t-il le droit de se refuser à imprimer l'écrit qui

lui est présenté, alors même que cet écrit ne serait pas répréhensible? (Charte, art. 8. Loi du 17 mai 1819, art. 24.)

ARRÊT.

LA COUR, considérant en fait qu'il résulte des plaidoiries de la cause, que la convention faite avec l'imprimeur Morisset, et par laquelle il s'était obligé d'imprimer les douze premiers numéros du journal appelé la Sentinelle des Deux-Sèvres, qui ne devait paraître que tous les mois, a été remplie; qu'il n'en existait aucune autre lorsque Morisset a déclaré ne vouloir plus imprimer ce journal, et que le fait de cette convention expirée est sans influence dans la cause;

Considérant en droit que si l'art. 8 de la charte constitutionnelle assure à tout Français le droit de publier et de faire imprimer ses opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté, on ne trouve, ni dans cet article, ni dans aucun autre, l'injonction aux imprimeurs d'imprimer sans examen tous les écrits qui leur sont présentés;

Que si pour eux l'obligation de tout imprimer était une conséquence de l'art. 8 de la charte, il faudrait de deux choses l'une, ou qu'elle fût écrite dans les lois organiques qui ont suivi sa publication, ou qu'elle fút réservée pour devenir l'objet d'une loi qui n'existe pas encore;· Considérant que la loi seule doit servir de base aux jugemens des cours et tribunaux, et que lorsqu'il leur est interdit de faire des réglemens d'ordre public, il leur est bien moins permis encore, ce qui serait entreprendre sur le pouvoir législatif, de remplir par leurs arrêts les lacunes qui pourraient se rencontrer dans la législation;

Considérant d'une autre part que sur la question soumise dans ce moment à la Cour et qui peut être féconde en conséquences, ce n'est pas dans la généralité seule d'un principe que l'on doit chercher les motifs de décider; que le droit concédé par l'art. 8 de la charte, de publier et de faire imprimer ses opinions, renferme deux modes de publication; que la publication peut avoir lieu-sans le secours de l'impression, et que la publication faite par la voie d'impression rend applicables les lois existantes sur l'imprimerie et les imprimeurs; Considérant que si, par des motifs d'ordre public et de haute police, il n'est pas permis à toute personne d'exercer l'art de l'imprimerie; que si un imprimeur doit être breveté et prêter le serment voulu par la loi, il ne faut pas en inférer que, semblable à un officier ministériel qui peut être enjoint de fournir son ministère, il peut › aussi être forcé de fournir ses presses, parce que, ce que la loi a voulu l'égard des officiers ministériels, elle ne l'a pas dit encore à l'égard de imprimeurs; et que les tribunaux qui peuvent bien dans certains cas juger par voie de doctrine, ne peuvent pas créer des analogies qui sont dan le domaine des législateurs;

Considérant que le serment exigé d'un imprimeur, soit qu'il contienne

la promesse de ne rien imprimer ou faire imprimer qui puisse porter atteinte aux devoirs des sujets envers le souverain et à l'intérêt de l'état, soit qu'il consiste, ce qui est la même chose, dans le serment de fidélité au roi, d'obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume, impose incontestablement des devoirs, et que c'est contre la violation de ces devoirs que les lois répressives des abus de la liberté de la presse contiennent à l'égard des imprimeurs des dispositions pénales; - Que c'est ainsi qu'en cas de contravention ils peuvent être traduits devant les tribunaux correctionnels, que leur brevet peut leur être retiré, et que pouvant être poursuivis comme complices des auteurs d'écrits incriminés, ils deviennent passibles des mêmes peines;

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Considérant, quelles que soient les exigences de la presse périodique, que, quant à elle, les imprimeurs ne sont placés dans aucune exception, et qu'ils restent au contraire en présence des mêmes dispositions pénales; Que le système de contrainte par voie d'action que l'on voudrait établir contre les imprimeurs, dans l'absence de toute loi, les forçant d'imprimer, serait impraticable; que pour apprécier les motifs de leur refus, les tribunaux devraient donc apprécier et juger le mérite de l'écrit présenté à l'impression; que ce droit, qui ne leur est attribué par aucune loi, produirait par voie de conséquence, celui d'examiner, de critiquer l'écrit, d'en retrancher même une partie, ce qui constituerait une véritable censure repoussée de la législation actuelle sur la liberté de la presse ;

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Considérant que la responsabilité des imprimeurs, pour les ouvrages qui sortent de leurs presses, est certaine, puisqu'elle est établie par la loi, que l'on ne peut alors leur contester le droit de refuser d'imprimer l'écrit qui pourrait les compromettre; Qu'il est si vrai qu'ils ne sont pas forcés d'imprimer tout ce qui leur est présenté, que la loi du 17 mai 1819, art, 24, a pris soin de préciser le cas pour lequel même en imprimant un écrit qui peut être incriminé, leur responsabilité se trouve à couvert; qu'il porte que les imprimeurs d'écrits dont les auteurs seraient mis en jugement en vertu de la présente loi et qui auraient rempli les obligations prescrites par l'art. 2 de la loi du 21 octobre 1814 ne pourront être recherchés pour le simple fait de l'impression de ces écrits, à moins qu'ils n'aient agi sciemment; que bien évidemment, cette distinction n'eût pas été établie dans cette loi si, par la seule force de l'art. 8 de la charte, tout imprimeur était obligé, sans discernement et sans réflexion, d'imprimer tout ce qui lui serait présenté; d'où il suit que le refus, en pareil cas, de l'imprimeur, n'est que l'exercice de son droit, et que les tribunaux ne doivent pas s'interposer entre une résistance qui peut être toute d'honneur et de confiance et des prétentions contraires qui sont en dehors de l'ordre légal: Considérant plus particulièrement dans l'espèce que lorsque l'imprimeur Morisset, en faisant usage de son droit d'imprimer ou de ne pas imprimer, a déclaré qu'il refusait ses presses au journal la Sen

tinelle des Deux-Sèvres, il savait que quelques uns de ses numéros étaient saisis, qu'ils étaient l'objet de poursuites, qu'ainsi il était naturel qu'il ne voulût ni violer son serment de ne rien imprimer de répréhensible, ni compromettre sa responsabilité; Par ces motifs, la Cour met l'appellation et ce dont est appel au néant, et faisant ce que les premiers juges auraient dû faire, décharge l'imprimeur Morisset, partie de M° Calmeil, des condamnations contre lui prononcées, au principal, déclare les rédacteurs de la Sentinelle non recevables dans leurs demandes.

Du 30 décembre 1829. - Cour royale de Poitiers. M. Descordes, prem. présid. — M. Montaubricq, procur.-gén.

Observations. Une controverse s'est établie à l'occasion de cette décision qui soulève les plus graves intérêts. La loi est muette sur ce point: il faut donc, pour suppléer à son texte, interroger les principes qui dominent la matière. Deux théories différentes ont été présentées; assises à la fois sur des principes irréfragables, elles ont pu paraître également spécieuses. L'une s'appuie sur la liberté commune, sur l'indépendance des professions, sur la fidélité que les imprimeurs doivent à leur serment, sur le droit, que personne ne peut aliéner, de rester fidèle à sa conscience, et de ne pas se rendre complice d'une action qu'on croit mauvaise. L'autre opinion, tout en reconnaissant la rigueur de ces principes, soutient qu'ils doivent fléchir ici devant un principe plus élevé encore, la liberté de la presse. Examiner cette question, ce n'est donc que résumer ces deux systèmes. La responsabilité de l'imprimeur est définie par la loi: celle du 21 octobre 1814 avait limité ses effets à des infractions purement matérielles, telles que l'omission de l'indication de son nom, de sa demeure, de la mention du dépôt, etc. Mais la loi du 17 mai 1819 a modifié cet état de choses. L'article 24 de cette loi est ainsi conçu : « Les imprimeurs d'écrits << dont les auteurs seraient mis en jugement en vertu de la pré« sente loi, et qui auraient rempli les obligations prescrites « par le titre 2 de la loi du 21 octobre 1814, ne pourront être « recherchés pour le simple fait d'impression de ces écrits, à « moins qu'ils n'aient agi sciemment, ainsi qu'il est dit à l'art. 6ɔ « du Code pénal qui définit la complicité. » Il résulte de cette disposition, 1o que l'imprimeur ne peut jamais être recherclié

pour le seul fait de l'impression d'un écrit; 2) qu'il peut être seulement mis en cause quand il a agi sciemment, en imprimant Quelle est l'étendue de ces dernières expressions? Leur définition se trouve dans l'art. 6o du Code pén., aux termes duquel sont complices, 1° ceux qui, par dons, promesses, etc., ont provoqué à commettre un délit; 2° ceux qui ont procuré des armes ou instrumens pour le commettre ; 3° ceux qui ont avec connaissance assisté l'auteur du délit. Ainsi, comme il est évident que la deuxième de ces circonstances ne s'applique pas à l'imprimeur, d'après l'exception portée en l'art. 24 que nous avons signalée, il s'ensuit que l'imprimeur n'est réputé complice du délit, que dans le cas où il aurait provoqué l'auteur de F'écrit à le composer, ou dans celui où il aurait imprimé l'écrit avec connaissance, c'est-à-dire avec l'intention du dėlių. La responsabilité de l'imprimeur est donc plutôt restreinte qu'étendue par la loi du 17 mai 1819; mais elle existe, et quelque vagues que soient les termes de la loi, l'imprimeur ne pourrait que difficilment soutenir qu'il n'a pas agi sciemment, si l'écrit imprimé renfermait un délit grave et patent. Il était nécessaire de rappeler ces principes avant de discuter les droits et les obligations de l'imprimeur. Maintenant rappelons la question: est-il astreint à imprimer sans examen tous les écrits qui lui sont présentés? Peut-il refuser ses presses à tel ou tel écrit ? Nous n'hésitons pas à penser que l'imprimeur est maître de livrer ou de refuser ses presses: son droit résulte de la loi même qui le déclare responsable de l'écrit imprimé; car, comment concilier cette responsabilité qui le proclame évidemment indépendant dans ses actions, avec la contrainte qu'on veut lui imposer? D'ailleurs, l'imprimeur n'est point un officier public: comme le libraire, comme tout autre commerçant, il exerce une industrie particulière. La nécessité du brevet ne lui est imposée qu'en raison de la nature de cette industrie, et de l'influence qu'elle peut exercer sur le repos de la société, influence telle, qu'on a dû exiger des garanties morales contre les abus pui pouvaient en résulter. Il est inutile d'ajouter que toutes les règles du droit commun repoussent un principe exorbitant qui armerait tout individu du droit d'imposer à un tiers

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