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une action qui répugnerait à la conscience de celui-ci, et qui le rendrait coupable malgré lui. L'intervention des tribunaux, quoiqu'elle pût, sous beaucoup de rapports, corriger ces inconvéniens, ne pourrait les réprimer entièrement; en effet, un écrit peut ne renfermer aucun délit punissable, et cependant, soit par ses doctrines, soit par son objet, il peut être repoussé par la conscience de l'imprimeur: ainsi, que celui-ci soit protestant, peut-on, sans opprimer sa liberté, le contraindre à imprimer un écrit qui attaque le protestantisme? Cependant un pareil système a été soutenu par les plus hautes considérations; l'art 8 de la Charte proclame que les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions. Comment concilier cette liberté, la première de toutes, avec l'indépendance des imprimeurs et le monopole des brevets? N'est-ce pas en proclamant un droit en refuser l'exercice? Nous ne nous dissimulons pas toute la gravité de cette objection, quoique, dans l'application, ces conséquences puissent paraître exagérées. Mais à nos yeux elle ne révèle qu'une lacune extrêmement grave dans notre législation. Cette lacune impose le besoin impérieux d'une disposition neuve sur ce point; mais n'est-ce donc qu'en cette matière que ce besoin se fait sentir? L'édifice de nos lois est-il donc achevé? Des lois complémentaires de la Charte ne sont-elles pas incessamment sollicitées? Ce n'est qu'au pouvoir législatif qu'il appartient de concilier les besoins de la presse avec la liberté des imprimeurs. Mais en attendant, la jurisprudence ne peut suppléer à la loi ; elle ne peut créer des dispositions attentatoires au droit commun, à la liberté individuelle, et si quelques tribunaux, fortement émus des conséquences quelquefois funestes du silence de la loi, ont ́cédé aux inconvéniens dont ils étaient les témoins, ils n'ont pas dissimulé, dans leurs jugemens même, qu'ils créaient un droit tout-à-fait illégal. Nous ne faisons qu'indiquer les réflexions qui nous ont été suggérées par l'examen de la législation sur cette matière, et qui demanderaient de plus grands développemens. Nous terminerons, en émettant le vœu que la Cour de cassation soit promptement appelée à statuer sur cette importante question.

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Les injures proférées à l'audience en présence du public et du barreau, mais après les plaidoiries et pendant le délibéré, ne rentrent pas dans l'exception de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819: elles peuvent donner lieu à une action principale devant le Tribunal correctionnel.

Le 30 mars 1829, à l'audience du tribunal de 1re instance de Blois, pendant que les juges étaient à délibérer sur une contestation civile, dont les plaidoiries venaient de finir, le sieur Pierre Mestivier, l'une des parties, adressą publiquement des paroles injurieuses au sieur Etienne Mestivier son adversaire. En réparation de ces injures, Etienne Mestivier a cité Pierre Mestivier en police correctionnelle. Gelui-ci a prétendu que les paroles qui lui sont imputées ne peuvent donner lieu à aucune action, parce qu'elles avaient été prononcées devant un tribunal et pour le besoin de la défense: il invoquait l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819.

Jugement qui repousse la fin de non-recevoir tirée de cet article, par le motif que les plaidoiries étaient closes, et les juges à délibérer, quand les paroles incriminées avaient été prononcées. Au fond, le tribunal dit ces paroles injurieuses, déclare en outre le sieur Pierre Mestivier coupable de nouvelles diffamations. commises par lui à l'audience même du Tribunal correctionnel de ce jour, et le condamne à 3 mois de prison, 300 francs d'amende, et 200 francs de dommages-intérêts envers le plaignant.

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Appel. - Et le 6 juillet 1829 arrêt de la Cour d'Orléans, qui déclare que les explications données par le sieur Mestivier (Pierre) devant le Tribunal correctionnel, faisaient partie de ́sa défense, et n'ont pu constituer un nouveau délit ; mais que les paroles proférées à l'audience civile du 30 mars présentent le caractère d'injures, et donnent ouverture à une action principale de la part du sieur Etienne Mestivier. En conséquence, le sicur Pierre Mestivier fut condamné à 300 francs d'amende

et à 300 f. de dommages-intérêts.-Mestivier se pourvoit en cassation pour violation de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819, qui porte: «Ne donneront lieu à aucune action en diffamation ou

injure les discours prononcés ou les écrits produits devant les « Tribunaux : pourront néanmoins les juges saisis de la cause, • en statuant sur le fond, prononcer la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires, etcondamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts, etc. »

Les injures prétendues, disait le demandeur en cassation, étaient une suite des discours prononcés à l'audience pour soutenir les droits d'une partie qui plaidait. Le Tribunal pouvait sans doute arrêter ces discours s'ils manquaient de convenance; mais dans aucun cas une action principale en police correctionnelle n'était ouverte à la partie adverse pour leur répression. M Roger pour les héritiers du sieur Etienne Mestivier, intervenant, ainsisté sur la déclaration faite par les premiers juges, que les injures avaient été proférées pendant le délibéré et après les plaidoiries. Ces paroles injurieuses ne pouvaient donc être une partie de la défense, et il était impossible par conséquent d'appliquer en cette circonstance l'art. 23 de la loi du 17 mai. L'injure, que les juges en délibéré n'ont pu connaître ni réprimer, donnait nécessairement an plaignant le droit de saisir par action directe et principale le Tribunal correctionnel, et en se décidant ainsi, l'arrêt attaqué n'a violé aucune loi.

ARRÊT.

LA COUR, sur le moyen de nullité présenté par le demandeur; attendu qu'il est constaté par l'arrêt attaqué qui a adopté les motifs en fait du jugement correctionnel de 1re instance, que les injures proférées par Pierre Mestivier, contre Etienne Mestivier son oncle, l'ont été dans la salle d'audience, en présence du barreau et du public, pendant que les juges étaient en délibéré; que dès-lors elles ne peuvent être comprises dans les discours et plaidoyers, à l'égard desquels l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819 a établi une exception; que par suite et pour la répression desdites injures, il y ayait lieu à l'application légale contre Pierre Mestivier des art. 13 2o § et 19 de la loi; attendu que d'ailleurs l'arrêt est régulier dans la forme :- Reçoit l'intervention et rejette le pourvoi.

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dence de M. Olivier. M. Brière, rapp. M. Voysin de Gar-M. —

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Est-il nécessaire pour qu'un écrit soit réputé produit en justice, dans le sens du § 1o de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819, qu'il ait été signifie, et qu'il soit signé par un avocat attaché au barreau du Tribunal saisi de la contestation ?

La nécessité des réserves dont parle l'art. 23, § 4 de la loi du 17 mai 1819 s'applique-t-elle à l'action du ministère public comme à l'action civile des parties?

L'action du ministère public ne pouvant s'exercer à l'égard des faits diffamatoires contenus dans un écrit produit en justice, qu'autant que ces faits sont étrangers à la cause, suffit-il que les juges déclarent qu'il est impossible d'apprécier, dans l'état de la cause, si les faits lui étaient ou non étrangers, pour que cette action soit irrévocable? (Loi du 17 mai 1819, art. 23.)

M Michel, avocat à Tarascon, publia en 1826 et en 1827, trois mémoires pour servir à la défense des sieurs de Preigne, qui se prétendaient victimes d'immenses exactions. Plus tard, et déjà cité en police correctionnelle à raison de diffamations contenues dans ces mémoires, M° Michel en imprima un quatrième, mais il n'en fit aucune distribution: cependant le ministère public en posséda un exemplaire. En cet état, le Tribunal de Toulouse, saisi de la cause par suite d'un renvoi de la Cour de cassation, a renvoyé le prévenu de la poursuite. — Appel, et le 10 avril 1829, arrêt de la Cour de Toulouse qui confirme par les motifs suivans: 1o qu'à l'égard des deux premiers mémoires, l'action du ministère public est prescrite, aux termes de l'art. 29 de la loi du 26 mai 1819; 2o qu'en ce qui touche le troisième mémoire, le ministère public ne peut poursuivre qu'autant que les faits diffamatoires sont étrangers à la cause, et que son action lui a été expressément réservée ; qu'en fait, le ministère public n'a fait aucunes réserves, et qu'il est impossible d'apprécier si les passages incriminés étaient ou non étrangers à la contestation, et n'étaient point comman

dés

par

l'intérêt d'une légitime défense; 3° qu'il est résulté des faits de la cause, que le quatrième mémoire n'a reçu aucune publication et n'a pas été produit au procès.

Pourvol de la part du ministère public, pour fausse application et violation de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819: fausse application, en ce que les écrits poursuivis auraient été mal à propos considérés comme produits, puisqu'ils n'avaient point été signifiés et que l'avocat qui les avait signés, étranger à la Cour saisie de la contestation, n'avait pas eu qualité pour les produire. Violation, en ce que la Cour de Toulouse avait déclaré qu'à défaut de réserves, l'action du ministère public était éteinte. Un troisième moyen était tiré de la publicité du quatrième mémoire.

ARRÊT.

LA COUR, attendu, sur le 1er moyen, que la Cour royale de Toulouse a décidé, en fait, que le 3e mémoire incriminé avait été produit aux tribunaux, et était relatif à la défense des parties; qu'en cet état elle a fait une juste application de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819; Attendu, sur le 2e moyen, que le ministère public ne peut exercer le droit de poursuivre que lorsque les faits diffamatoires sont étrangers à la cause ; et attendu que la Cour de Toulouse n'a point déclaré que ces faits fussent tels; qu'ainsi elle a, en l'état, par ce second motif, fait une juste application' du § 4 de l'art. 23 de la loi précitée; —Attendu, sur le 3e moyen, que le 4o mémoire de Michel ne pouvait être poursuivi par le ministère public, dans les limites de cet art. 23, que s'il avait été produit au procès, et que la Cour royale a décidé, en fait, que ce mémoire n'avait reçu aucune publi

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Observations. Il est à regretter que la Cour de cassation, enchaînée par les décisions en fait de la Cour de Toulouse, n'ait pas tranché la question importante soulevée par cette dernière, et qui consiste à savoir si le ministère public dont l'action n'a pas été réservée par le Tribunal, est dépouillé du droit d'exercer cette action, à raison des faits diffamatoires étrangers à la cause qui ont été produits en justice. Il nous serait difficile d'admettre cette interprétation de l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819. Quels sont en général les effets des réserves faites par le

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