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Majesté Royale aura de nouveau le droit et la liberté de défendre les draps et autres manufactures de laines britanniques ».

Le sol portugais, dédaigné aux heures de prospérité pour les terres coloniales, ravagé depuis par les longues guerres, n'avait qu'une seule culture intéressante la vigne.

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Au nord, les lianes grimpantes du Minho, gonflées par les ondées de l'Atlantique, étaient particulièrement abondantes, les vignes du sud, chauffées au soleil africain des Algarves, particulièrement riches en alcool. Mais surtout, le Portugal s'enorgueillissait de deux crus renommés, celui qui, sur les côtes de la rive droite du Duero supérieur, prenait du port voisin qui l'exportait le nom de porto, et aussi, en plein océan, celui que donnaient les ceps qui, à Madère, remplaçaient déjà les anciennes forêts. Et c'étaient ces deux crus de luxe, ces vins chers, qui étaient surtout visés par le traité. De même que le peuple pauvre du Portugal devait garder les vêtements manufacturés grossièrement dans le pays, le peuple d'Angleterre devait, et l'on n'en doutait pas, continuer à boire de la bière. Ce que le porto remplacerait, c'étaient les vins fins, que seules, mais en assez grandes quantités, consommaient les classes riches, et qui étaient, jusque-là, presque exclusivement les produits des vignobles bordelais, le claret, devenu un goût héréditaire chez les Anglais, créé pendant les trois siècles où ils dominaient en Guyenne. C'était une tâche qui paraissait presque impossible, que celle de remplacer sur les tables britanniques le claret par un vin aussi différent que le porto. Aussi, malgré les difficultés que les hostilités avec la France avaient mises et paraissaient devoir mettre longtemps encore à l'importation du bordeaux, le traité de 1703 stipule pour les vins portugais entrant en Angleterre un régime protecteur que les laines britanniques n'ont pas demandé pour entrer en Portugal. C'est que l'Angleterre désire, plus encore que de conquérir le marché portugais, se libérer de la sujétion économique dans laquelle le goût de ses nationaux pour les vins de France la maintenait vis-à-vis de sa puissante rivale. Surtout, en faisant du Portugal un concurrent heureux de la France pour l'exportation des vins en Angleterre, on créait entre ces deux pays une rivalité qui ne pouvait rester purement économique. C'était l'influence anglaise définitivement assise en Portugal.

Que n'auraient fait les propriétaires des riches vignobles, presque tous seigneurs puissants à la cour de Lisbonne, et plus tard, lorsque le peuple sera, sinon consulté du moins redouté, toutes les populations intéressées au commerce des vins, pour conserver un allié devenu un client si considérable? Et c'est à cela que les stipulations purement commerciales du traité de Methuen prennent une si grande portée politique.

Les événements de la guerre de la succession d'Espagne montrent tout de suite les avantages que l'alliance portugaise donne à l'Angleterre. C'est de Lisbonne que l'archiduc Charles, concurrent du Bourbon Philippe V et le roi de Portugal sont partis pour aller jusqu'à Madrid; c'est de Lisbonne que les escadres anglaises, qui avaient amené le prétendant autrichien et les troupes de la coalition, sont parties pour donner à leur pays des conquêtes plus directes et plus redoutables; Gibraltar remplace Tanger, et Port-Mahon met la puissance britannique au cœur de la Méditerranée.

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Le Portugal est associé d'ailleurs à la fortune qu'il a tant favorisée : au traité d'Utrecht, l'Angleterre, maîtresse, avec TerreNeuve et l'Acadie, de toute la côte américaine jusqu'en Floride, de Saint-Christophe dans les Antilles, obtient dans les Guyanes, aux dépens de la France, des agrandissements pour le Portugal. Dans ces terres mal connues, la frontière est indiquée forcément d'une façon imprécise. C'est là un procès qui durera deux siècles, digne pendant de celui qui, au sud du Brésil, vers la Bande orientale, mettait déjà aux prises les autorités castillanes et lusitaniennes de Buenos-Ayres et de Rio. L'Angleterre, garante des cessions en Guyane, saura entretenir l'irritante discussion, alarmer à propos les susceptibilités portugaises contre la France et contre l'Espagne, au jour où elle désirera poursuivre plus avant ses empiètements dans le continent où elle vient d'obtenir tant de concessions de toutes sortes. Pour une de ces dernières et non des moindres, le privilège de l'Assiento, l'alliance du Portugal lui est encore indispensable. Les établissements de Gambie et de SierraLeone ne sauraient suffire à l'énorme importation de nègres

dont elle va avoir à pourvoir toute l'Amérique espagnole; c'est des possessions portugaises de Guinée et d'Angola qu'elle tirera ses esclaves.

Le simple jeu des intérêts associés par le traité de Methuen resserre chaque jour davantage l'alliance économique de l'Angleterre et du Portugal. Après une génération, le porto a presque remplacé le claret. L'exportation de ce vin ne cesse, tout le long du XVIIIe siècle, de s'accroître rapidement. De 1678 à 1687 la moyenne annuelle du porto exporté avait été de 632 pipes de 527 litres; de 1689 à 1707, elle est de 7 188; de 1718 à 1727, de 17 692.

Les Anglais ne se contentent pas de consommer le vin

portugais, qu'ils transportent presque exclusivement par leurs

navires, ils s'immiscent dans sa culture. Les négociants et les compagnies britanniques établis à Porto et qui bientôt monopolisent le commerce, mélangent au vin des eaux-de-vie, dans une proportion de plus en plus forte.

Si l'écoulement en Angleterre en est ainsi favorisé, les autres clients, actuels ou possibles, des vignobles portugais sont éloignés d'un marché où ils ne trouvent plus de produit naturel. Le sol portugais ne s'en recouvre pas moins de vignes; celles qui ne donneront pas de vin pour l'exportation serviront à la distillation. Plus que jamais les autres produits du sol sont négligés; l'Angleterre se chargera de pourvoir à la nourriture comme à l'habillement des Portugais. Le blé et le riz sont importés par ses navires. La morue surtout, l'aliment national, nécessaire pour les innombrables jours d'abstinence, arrive des eaux de Terre-Neuve, et seulement sur des vaisseaux anglais, malgré les droits laissés à la France dans ces parages. Au départ, ils se chargent, pour la salaison de la pêche suivante et pour la vente dans le nord, de sel de Sétubal. Les Portugais dont la puissance d'achat devient d'abord plus considérable favorisent puissamment le double essor industriel et maritime de la Grande-Bretagne en achetant à la fois et les produits des manufactures britanniques, et ceux qui de tous les points du monde leur parviennent sous le pavillon anglais. Mais leur vin et leur sel ne suffiront bientôt plus à solder les importations. Les denrées coloniales même, concurrencées celles que donnent à leur puissant ami les terres tropicales

par

par lui conquises, ne s'échangeront plus contre les céréales, salaisons et lainages d'Angleterre. Des navires anglais se chargeront bien encore, et de plus en plus, du tabac et du sucre du Brésil; mais ce sera pour ajouter au stock des produits exotiques dont ils tendent à monopoliser le transport.

Le sol du Brésil, heureusement, renferme d'autres richesses. Des explorations plus méthodiques ou plus fortunées que les précédentes découvrent d'opulentes mines d'or et des gisements de diamant. Ce métal et ces pierres, ce métal surtout, paieront les achats faits en Angleterre.

Lisbonne redevient comme au xvIe siècle un des lieux où l'Europe va s'approvisionner des produits d'outre-mer. Mais cette fois c'est au profit d'une seule nation. En 1774 et 1775, le commerce britannique avec Lisbonne seule excède le double du commerce réuni de tous les autres États. Lisbonne est, après Londres, le premier des entrepôts anglais. La marine portugaise se meurt; les quelques chantiers qui restent de ceux qui rivalisèrent autrefois avec ceux d'Amsterdam passent entre des mains britanniques. Jusque dans la religion l'influence anglaise se fait sentir saint Antoine reste toujours généralissime des armées portugaises, mais il lui faut compter avec la dévotion concurrente qui s'adresse à saint Georges.

Cependant un grand homme d'État, le marquis de Pombal, a conscience du danger que court son pays. Il veut, sans rompre avec l'Angleterre, redonner au Portugal son indépendance économique, refaire une nation produisant elle-même les produits nécessaires à son existence, transportant ellemême ses exportations, dirigeant en un mot librement son commerce. Avec cette énergie souvent brutale de ces esprits éclairés, de ces ministres philosophes qui, au XVIIIe siècle, mettaient le despotisme au service des lumières et de la liberté, il essaya de réduire la grande culture nationale, la vigne, à la proportion qu'il jugeait indispensable au juste équilibre des forces productrices du pays, et en même temps de refaire par une fabrication sincère un produit naturel et délicat, capable de s'imposer à tous les marchés du continent. Il fit arracher et remplacer par du blé les vignobles médiocres; il constitua pour les vins de Porto, la Compagnie de l'Alto Duero, une des plus grandes institutions de l'État, qui exerça une sur

veillance étroite sur la culture des vignes, dont elle prenait les produits, d'après les conditions réglées à l'avance, avec un droit de priorité sur tous les autres acheteurs. La création de la Compagnie des Indes, de celle de l'Amazone et du Grand Para, de Pernambouc pour le commerce du Brésil, l'interdiction de l'exportation de l'or; l'établissement de droits protecteurs sur les produits manufacturés; l'adjonction au territoire de Goa, des « nouvelles conquêtes », l'accession surtout du Portugal en 1780 à la Ligue des Neutres sont autant d'efforts pour libérer le Portugal de la vassalité britannique. Ils ne devaient pas avoir de suite.

En 1781, Pombal est disgrâcié, le Portugal va retomber dans l'assujettissement où le tient l'Angleterre. Les traités de commerce signés avec les nations du nord de l'Europe, clientes indiquées de cet État méridional et colonial, en créant un nouveau courant, favorisent surtout la navigation anglaise. En 1787, quarante-sept navires vont de Portugal à Hambourg, deux seulement ont le pavillon lusitanien. Et les produits britanniques ne cessent d'envahir le Portugal; en une seule année, 1786, il entre pour plus de onze millions et demi de livres tournois de lainages, pour plus de cinq millions de francs de morues, pour des sommes considérables de blé, de riz, de lard, de cuirs, de fers ouvrés et de porcelaines, de denrées alimentaires et d'objets manufacturés de toute sorte.

L'exportation portugaise augmente, il est vrai; celle des vins de Porto, après être descendue en 1757 à 12 488 pipes est en 1785 de 31 456, elle sera en 1795 de 55 911, en 1798, de 72 496. Mais la balance du commerce n'en est pas moins de plus en plus favorable à l'Angleterre. On calcule qu'en 1785, la valeur totale des importations britanniques dans les ports de Lisbonne, de Sétubal, de Figueira, de Porto et dans ceux des Algarves, s'éleva à environ dix-sept millions de francs. Les exportations du Portugal en Angleterre étaient seulement d'environ 7800 000 francs. Le change se ressent de cette différence, il est en moyenne de 15 p. 100.

Ce n'était pas assez, une immense contrebande anglaise fouillait les côtes du Brésil, enlevant encore au Portugal les bénéfices de l'entrepôt, et les métaux précieux, malgré la prohibition de l'exportation, aflluent en Angleterre. Les paquebots

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