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lui apprit, il y aurait eu de quoi garnir le cœur et le cerveau de plusieurs gentilhommes.

Mais comment tant de leçons s'amalgamèrent ou se combattirent dans l'âme de Louis-Lycurgue, c'est ce qu'il peut être malaisé de concevoir.

Pour prendre en effet un exemple, au sortir d'un sermon où l'abbé, au moyen de textes tirés de l'Écriture sainte, lui avait prescrit le pardon des offenses, madame Olympe lui démontrait comment, plutôt que de subir une insulte, un honnête homme est bien fondé à la prévenir, et le vieux PierreAntoine lui révélait une botte secrète infaillible pour jeter à bas le fâcheux; après quoi, M. de Migurac se mettait en devoir de lui exposer tout ce qu'a de relatif le préjugé de l'honneur et de ridicule l'opinion qui exige de le

satisfaire.

Il n'y aurait donc rien eu d'étrange à ce que quelque désarroi résultât en ce jeune esprit, du fait même de ses précepteurs; ajoutons que Louis-Lycurgue portait en lui-même des germes vivaces que l'on ne saurait négliger. C'est une question obscure jusqu'à quel point l'éducation modifie le fonds naturel de sentiments que nous apportons en naissant. Il est certain, en revanche, que ce fonds est fort variable, soit par suite de dispositions physiques, soit selon une mystérieuse volonté de la Providence. En sorte que pas plus que des graines semblables jetées en terrains divers ne produiront mêmes fleurs, pas plus les mêmes enseignements ne susciteront pareilles vertus dans des âmes différentes. Celle de Louis-Lycurgue ne paraît point avoir été fort souple à modeler.

C'est de quoi feront foi, sans doute, quelques anecdotes qu'il nous semble à propos de relever parmi celles que M. Joineau a consignées relativement aux mœurs de son pupille et où, peut-être, l'observateur retrouvera quelque chose de cette humeur ardente, généreuse, subite et difficile à dompter, dont le sein de Maguelonne subit les premiers effets.

IV

ANECDOTES RELATIVES Α L'ENFANCE DE LOUIS-LYCURGUE

Ainsi que l'a fort sagement observé un auteur, c'est principalement dans la manière dont il se divertit qu'apparaît le caractère original de l'homme. A plus forte raison cela, est-il vrai de l'enfant, et nous rendrons grâce à l'abbé Joineau qui a gardé registre des jeux de son pupille et de la façon dont il les entendait.

M. Joineau aurait tenu pour agréable et conforme à la raison que, dépensant l'exubérance de sa force naissante aux exercices où Pierre-Antoine et Gilles étaient ses maîtres, Louis-Lycurgue s'accoutumât par ailleurs à goûter les distractions paisibles qui sont en usage entre gens de bonne compagnie, telles que tric-trac, loto, jeu de dames ou d'échecs, voire tapisserie ou parfilage. Il dut à son regret s'apercevoir que ces innocentes pratiques, fort propres à son agrément personnel, allaient à l'encontre des dispositions évidentes de son élève. Non que le jeune vicomte eût la tête dure; bien loin de là, son esprit était d'une promptitude singulière et il lu fallait peu d'instants pour s'approprier les finesses d'un jeu, fût-il compliqué tel que celui des échecs. Mais c'était la persévérance qui lui faisait défaut passé l'attrait de la nouveauté, tout ce remuement de dés, de jetons et de cartes lui semblait d'une puérilité fastidieuse, et l'abbé dut renoncer à le retenir pour partenaire, ayant plusieurs fois reçu par la figure les dés, les marques et les cornets. Il se consola en liant partie avec mademoiselle Séraphine, qui aimait le clergé et dont le corsage était plaisant à l'œil; et son contentement s'accrut de considérer qu'au moins son pupille ne donnerait pas dans le travers du jeu en quoi il fut, hélas! médiocre prophète.

:

En somme, aux morceaux de papier, de carton et de bois, l'humeur turbulente de Louis-Lycurgue préférait la compagnie des enfants de son âge. Par malheur, la noblesse se faisait rare dans cette région du Périgord et le château de

:

que

Perthuiseau, le plus proche de Migurac, étais sis à quatre bonnes lieues. Louis-Lycurgue y eût été plus assidu si la baronne de Perthuiseau l'y avait encouragé. Mais cette dame, craintive et timide, n'était point sans appréhender sa présence, et peut-être son sentiment se trouvera-t-il justifié par la suite. Hâtons-nous d'affirmer que cette défiance n'allait point au caractère du jeune gentilhomme de la pureté de son âme, quelques traits rapportés par l'abbé suffisent pour faire foi. C'est dans sa dixième année qu'au débarqué de son carrosse il fut averti par dame Gertrude, gouvernante · de mademoiselle Aline de Perthuiseau, celle-ci était gravement atteinte d'une affection de la gorge malgré ses larmes, le mal étant contagieux, il ne put être admis auprès d'elle. Il s'en retournait donc vers la voiture, l'âme navrée, quand soudain il se représenta sa lâcheté d'abandonner dans la douleur sa compagne de jeu et aussi que, l'ayant incitée à demeurer avec lui, huit jours plus tôt, immobile dans l'eau du fossé pour attraper des grenouilles, il était peut-être la cause de son malheur. De la résolution subite que ces réflexions lui suggérèrent, dame Gertrude fut consternée quand, rentrant dans la chambre d'où elle était sortie peu d'instants auparavant, elle y trouva le petit vicomte, entré on ne savait comment, baignant de ses pleurs la main moite de son amie, et l'adjurant de lui donner son mal, sinon tout entier, au moins par moitié, afin qu'elle en fût soulagée d'autant et que lui-même, souffrant de son corps, eût l'âme moins ulcérée.

Il advint vers le même temps qu'au cours d'une promenade dans le parc les enfants furent surpris par une vache échappée qui fonça sur eux cornes basses; déjà ils fuyaient à toutes jambes, en tête Louis-Lycurgue, comme le plus agile, quand, regardant derrière lui, il vit ces cornes pointées sur mademoiselle Aline, que son jeune âge et la terreur paralysaient. Il fit demi-tour, et, poussant de grands cris pour arrêter la brute, s'élança à sa rencontre, tandis que les autres cherchaient un abri. Les gens de l'étable, avertis, accoururent, le pensant mis en pièces, mais ils le trouvèrent assis fort paisiblement sous le ventre de la bête, qu'il trayait dans son chapeau cependant qu'elle lui léchait le visage.

A la suite de l'abbé Joineau nous rappellerons également l'affaire qu'il eut avec un gâte-sauce de Perthuiseau, lequel il trouva les yeux rouges et d'avance se frottant le derrière, pour ce que, ayant été surpris à cracher dans la sauce, il avait, du maître cuisinier, reçu promesse d'une verte correction. Ému de ses lamentations, Louis-Lycurgue lui ordonna de dépouiller ses habits et de s'aller réfugier derrière un fagot. Les ayant revêtus et cachant son visage, il tendit. son derrière au cuisinier, qui l'arrangea fort mal à coups de pieds et de bâton. Mais le faquin eut la mauvaise pensée d'ajouter un soufflet comme conclusion sur quoi, le jeune vicomte, qui n'avait fait le sacrifice que de ses fesses et non de ses joues, se retourna comme un furieux et lui sauta à la gorge d'un tel élan que le pauvre hère s'en alla rouler à terre et y resta stupide d'effroi en le reconnaissant. LouisLycurgue le releva et lui donna fort noblement sa main à baiser; puis, s'étant mis en quête du marmiton pour lui rendre ses hardes, il le trouva qui avait déniché un nid de mésanges et s'amusait à plumer les oiselets. Cette cruauté révolta le petit vicomte il tomba sur le manant à coups de poings, de si bon cœur que l'autre ne tira pas grand profit d'avoir été épargné par le cuisinier, lequel d'ailleurs sut le rattraper. Louis-Lycurgue ramassa le nid où les bestioles ensanglantées piaulaient piteusement, et, ayant réfléchi que dans l'état où elles étaient il ne leur restait qu'à mourir de faim ou de leurs blessures, il prit une grosse pierre et, fermant les yeux d'horreur, acheva de les écraser. M. de Perthuiseau, qui survint à cet instant, le tança sévèrement sur sa barbarie, dont il garda le renom, parce qu'il ne voulut point se justifier par une dénonciation. Considérant les résultats de la magnanimité de son élève, l'abbé conclut mélancoliquement que cette aventure peut apparaître comme le symbole de sa vie où fréquemment le désir du mieux engendra le pire.

Quoi qu'il en soit, de telles actions n'eussent légitimé en rien l'inquiétude de madame de Perthuiseau. Aussi devonsnous, pour l'expliquer, faire aveu que l'âme impétueuse de Louis-Lycurgue l'entraînait parfois vers des aventures desquelles il n'était pas seul à pâtir. C'est ainsi que les nobles

dames réunies au château, traversant un après-midi l'allée ombreuse qui descendait à l'étang pour y offrir des biscuits aux cygnes, furent fort étonnées d'entendre derrière les buissons des gémissements lamentables; et voici qu'à travers les feuillages elles découvrirent, l'habit retroussé et le bras nu, Louis-Lycurgue, Charles de Perthuiseau et Xavier de Boisredon qui, chacun pour son compte, s'enfonçaient à l'envi un canif dans les chairs. Mademoiselle Aline, les yeux brillants et une rose à la main, s'apprêtait à l'offrir à celui qui avait eu l'idée de la joute et qui allait en être le vainqueur: car, tandis qu'à la première égratignure Charles de Perthuiseau hésitait et que les yeux de Xavier s'étaient remplis de larmes, Louis-Lycurgue, les dents serrées, avait déjà enfoncé un bon pouce de lame dans son bras maigre. Sévèrement tancé par l'abbé Joineau, il lui répondit avec simplicité que, lui ayant proposé comme un spectacle admirable l'action d'un jeune Spartiate qui s'était laissé manger le ventre par un renard, il aurait mauvaise grâce à reprendre un gentilhomme français pour une misérable égratignure.

Pareillement, la promptitude de Louis-Lycurgue le servit mal le jour où, ayant ouï un fort beau sermon que Monsieur de Périgueux était venu prêcher en l'église du village sur la charité, une illustre compagnie se trouvait réunie pour faire collation sur le perron du château et vit déboucher sous les quinconces une bande de garnements en chemise, bras et jambes nus, en qui fut reconnue avec stupeur la progéniture de la meilleure noblesse de la province. Comme ils pleurnichaient et se taisaient aux clameurs d'indignation qui les accueillaient, Louis-Lycurgue s'avança et, la voix assurée, regardant Monseigneur en face, il déclara qu'ayant rencontré une bande de bohémiens dont les enfants déguenillés grelottaient à la bise, il avait invité ses amis à leur faire abandon de leurs vêtements: y ils gagneraient la sainteté et les joies du paradis, puisqu'en échange d'un demi-manteau le cavalier Martin avait reçu la canonisation. Avec satisfaction, il ajoutait que la pudeur avait été respectée, puisqu'ils avaient gardé leurs chemises. Madame Olympe, qui s'apprêtait à foudroyer son fils, lui pardonna sur l'instance

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