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Elle était ruinée, mais le charme de son esprit et de son caractère réunissait dans son modeste salon une société d'amis. Celui qui lui était le plus attaché, M. de Chateaubriand, attirait aussi auprès d'elle des hommes distingués et des femmes aimables. C'était au moment du grand succès d'Atala, premier signal d'une littérature nouvelle. Là se rencontraient M. de Fontanes, M. Molé, M. Joubert, M. Gueneau de Mussy.

Au moment où se formait cette société, les opinions politiques subissaient un grand changement. Les cruautés, les spoliations, la tyrannie révolutionnaires avaient fait place à un gouvernement et à un ordre de choses qui semblaient supprimer toute espérance d'un retour à l'ancien régime. Les amis de Mme de Beaumont en jugeaient ainsi. M. de Fontanes, dès les premiers jours du Consulat, s'était attaché au Premier Consul et à sa famille. M. de Chateaubriand avait accepté la mission de secrétaire d'ambassade à Rome, où le cardinal Fesch était ambassadeur. De jour en jour, M. Pasquier s'accoutumait à l'idée de s'attacher au nouveau gouvernement; il sentait qu'il pourrait s'y distinguer et satisfaire le besoin d'occupation et d'activité qui le laissait souvent dans l'ennui.

Les opinions de la société où il vivait ajoutaient à cette disposition. On y raisonnait sur le passé, on appréciait le présent, on espérait pour l'avenir. Les diverses formes de gouvernement, les garanties données par les constitutions, la place que la Religion doit tenir dans l'ordre politique, étaient le sujet habituel de la conversation.

Mme de Beaumont était allée à Rome rejoindre M. de Chateaubriand. M. Pasquier avait d'autres amis et des parents qui, par leur position, étaient attachés au Premier Consul, de sorte qu'il était bien près de suivre leur exemple lorsque survint la terrible mort du duc d'Enghien. Il en reçut une impression si vive et d'ailleurs si conforme à l'opinion publique, qu'il renonça au projet de servir un gouvernement capable d'un tel acte de cruelle iniquité.

L'établissement de l'Empire, qui suivit de près la mort du duc d'Enghien, le procès du général Moreau, de Georges Cadoudal et de ses complices semblèrent à M. Pasquier un retour aux époques révolutionnaires et ne le ramenèrent pas aux pensées qu'il avait conçues, puis rejetées. Le

voyage du Pape et le sacre le laissèrent dans la même disposition. Mais un an après, l'Empereur revenait triomphant d'Austerlitz. Il avait imposé la paix à l'Autriche; il était reconnu roi d'Italie et pouvait, à son gré, dominer les États de l'Allemagne qui ne reconnaissaient plus la suzeraineté de l'Autriche. Quand de tels faits étaient accomplis, la raison ne commandait-elle pas de sacrifier ses répugnances et de travailler de tout son pouvoir à empêcher que des calamités révolutionnaires vinssent à se reproduire ? Le meilleur moyen n'était-il pas de rassembler autour du nouveau trône les existences considérables qui, protégées par le pouvoir, le défendraient contre les attaques des ennemis de l'ordre? Serait-il sage de repousser les avances qu'il semblait faire aux honnêtes gens? Ainsi raisonnait M. Pasquier, et ne cachant pas les motifs personnels qui entraînaient sa décision, il se disait : « Quand on ne se croit pas complétement incapable et qu'on se sent pressé par le désir de ne pas consumer sa vie dans une entière inaction, il n'y a pas de motif raisonnable pour résister à tant de causes d'entraînement. »

A cette époque, l'Empereur venait de nommer un assez grand nombre d'auditeurs attachés au Conseil d'Etat. Quelques-uns appartenaient à des familles qui jusqu'à ce moment ne s'étaient point rattachées au gouvernement impérial. M. Molé, qui était en relations habituelles avec M. Pasquier et qui, en même temps que lui, avait d'abord conçu, puis rejeté l'idée d'entrer dans les emplois publics, était compris dans cette promotion. Mais M. Pasquier avait quinze ans de plus que lui, il avait été conseiller au Parlement, et il ne lui convenait point de passer par ce noviciat. Quelques mois après, au mois de juin 1806, l'Empereur institua les maîtres des requêtes, qui firent aussi partie du Conseil d'Etat. M. Pasquier en parla à l'archichancelier, qu'il connaissait depuis longtemps, et qui lui avait plusieurs fois rendu service. M. Cambacérès l'encouragea et lui fit espérer que l'Empereur accueillerait sa demande.

Il se fit une bonne position au Conseil d'État; il acquit la bienveillance des conseillers, qui, pour la plupart, étaient d'une autre origine que lui et avaient professé d'autres opinions. Il avait l'esprit des affaires, la parole facile, la discussion conciliante; il fut chargé de quelques travaux importants. L'Empereur sut bientôt ce qu'il valait. Ce

pendant son avancement ne fut pas rapide. Il ne fut conseiller d'Etat qu'en 1810. Dans la même année, il fut nommé, lorsqu'il ne s'y attendait nullement, préfet de police. Il hésita un moment à accepter.

L'Empereur l'avait fait appeler et lui dit :

« La police politique est confiée au duc de Rovigo; ce que je vous demande, ce que j'attends de vous, c'est de rétablir la Préfecture sur le pied d'une magistrature, telle qu'elle était autrefois, dans le temps des Sartines et des Lenoir. Vous avez été magistrat, et c'est comme tel que je vous ai choisi. » Puis il parla du désordre de cette administration. Ayez soin d'y regarder de près; j'ai pleine confiance en vous, et je suis sûr que vous la méritez. »

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Quatre ans après, les fonctions de préfet de police devinrent tristement difficiles. L'armée des alliés était arrivée sous les murs de Paris; le duc de Raguse et ce qui lui restait de soldats avaient combattu héroïquement; il fallait qu'une capitulation préservât la ville du pillage et de l'incendie. Le maréchal et le préfet de police se présentèrent à l'Empereur Alexandre et les conditions furent signées. Elles étaient telles que la ville occupée par l'armée ennemie serait préservée des horreurs du désordre. La police était difficile à établir; elle exigeait tous les soins du préfet qui avait obtenu la confiance de l'Empereur Alexandre.

La chute de Napoléon avait pour conséquence une révolution; pendant qu'elle était mise en négociation et en délibération, les partis opposés pouvaient troubler l'ordre public. Les royalistes empressés voulaient gouverner avant qu'il y eût un gouvernement. C'était un des embarras de la situation. Il y eut même des projets de complots contre la vie de Napoléon, et le préfet de police le fit avertir de se tenir sur ses gardes.

M. Pasquier n'avait pas assez de zèle pour ceux qui en avaient beaucoup trop. Il quitta la préfecture et fut nominé directeur des ponts et chaussées. Aucune administration ne pouvait lui convenir mieux.

Napoléon revint de l'île d'Elbe; on pouvait craindre qu'il se livrat à un esprit de réaction et de vengeance. M. Pasquier demanda à Fouché un passe-port pour se retirer à la campagne auprès du Mans. « Pourquoi vous en aller, lui dit Fouché? Il vous laissera tranquille. C'est une situation

désespérée; il n'en a pas pour longtemps. Que ferons-nous alors? Peut-être les Bourbons? c'est ce que vous souhaitez. Nous pourrions nous entendre et agir de concert. »

M. Pasquier ne suivit pas ce conseil; mais il ne tarda pas à revenir à Paris. Il entra en communication avec la cour de Gand. Le Roi lui envoya des pouvoirs, et bientôt après Waterloo, il fut en rapport avec Fouché. Avant de faire son entrée à Paris, le Roi s'arrêta au château d'Arnouville. M. Pasquier s'y rendit. Le ministère fut formé. M. de Talleyrand fut ministre des affaires étrangères et président du conseil; M. Pasquier, garde des sceaux ministre de la justice, M. le maréchal Saint-Cyr, de la guerre; M. Louis, des finances; M. Fouché, de la police. M. Pasquier fut en outre chargé de gérer par intérim le ministère de l'intérieur, auquel on n'avait pas encore pourvu; de sorte qu'il était à peu près ministre dirigeant. Il eut à régler par une ordonnance le mode d'élection pour la Chambre des députés, qui devait remplacer l'ancien Corps législatif. Il avait à nommer tous les préfets et les présidents des colléges électoraux. Le Roi avait confiance en lui; le soin qu'il prenait de lui exposer les motifs des projets qu'il lui présentait, le disposait favorablement. « J'aime qu'on me persuade, » disait le Roi en signant les ordonnances sur l'hérédité de la pairie et la suppression des appointements des membres de la Chambre des députés; questions sur lesquelles il avait eu quelques doutes. Jamais on n'avait traité de si grandes questions et pris des décisions plus importantes en trois mois de temps.

Mais il était impossible à un ministère présidé par M. de Talleyrand de traiter de la paix avec l'Empereur de Russie. On pouvait aussi prévoir, d'après les élections, que la Chambre des députés serait peu favorable au ministère.

Il n'y a pas eu dans notre histoire parlementaire de session plus orageuse que celle de 1815. Ce fut un combat acharné entre le parti des hommes raisonnables et la faction qui, voulant une entière contre-révolution, espérait vaincre et soumettre la France nouvelle. Telle n'était point l'intention de M. de Richelieu, chef du nouveau cabinet, non plus que la volonté du Roi exprimée par M. De Cazes, en qui il avait une entière confiance. Une minorité faible par le nombre défendait la cause de la raison, les véritables inté

rêts de la France et du Roi. Elle avait pour organes des hommes éloquents et courageux. M. Pasquier, député du département de la Seine, y combattit avec M. Royer-Collard, M. de Serre, M. Siméon. Il défendit l'inamovibilité des magistrats; il s'opposa à la proscription, que les ultraroyalistes voulaient substituer à l'amnistie donnée par le Roi; il défendit le budget et les droits des créanciers de l'Etat. Il combattit un projet de loi électorale qui aurait mis les élections à la merci du pouvoir, ou d'une faction.

L'ordonnance du 5 septembre 1816 changea la situation. De nouvelles élections déplacèrent la majorité. Dès le commencement de la session, la nomination de M. Pasquier à la présidence de la Chambre signala quelle marche le gouvernement allait suivre.

Il fut encore nommé président de la Chambre pour la session de 1818, mais elle était à peine commencée lorsqu'il fut appelé au ministère de la justice, le 17 janvier. Il eut à soutenir une discussion difficile sur la police de la presse. Le principe de cette loi était que la culpabilité des publications imprimées était essentiellement une provocation à un crime ou à un délit. Le projet de loi renvoyait la provocation au crime à la juridiction de la cour d'assises et conséquemment au jury. Mais la provocation au délit était justifiable du tribunal correctionnel qui prononce sans jury. M. Royer-Collard soutint que toute poursuite quelconque d'un fait de presse était essentiellement de la compétence du jury. La discussion fut vive. M. Camille Jordan prononça des paroles offensantes contre le ministère. Ainsi commença la rupture entre le ministère et les amis de M. RoyerCollard; elle eut de fàcheuses conséquences.

Les élections de 1818 donnèrent une nouvelle preuve que la loi électorale offrait des chances de succès à un parti qui se montrait hostile à la monarchie. Le duc de Richelieu et M. Lainé, ministre de l'intérieur, essayèrent de modifier la composition du ministère. Ils voulurent, sans y insister, éloigner M. De Cazes. Tous les ministres donnèrent leur démission. M. de Richelieu essaya de composer un autre ministère et ne réussit pas; le Roi était mécontent; il regrettait M. De Cazes. Après plusieurs semaines de confusion, un ministère fut formé sous la présidence du général Dessoles. M. De Cazes, obéissant à la volonté du Roi, fut mi

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