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SUZETTE, femme-de-chambre de Mde d'Almont.

DORANTE,

DURVAL, }Amans de Lucile.

DU FAUSSET, Muficien chanteur.
ARISTON,

GRIBOUILLET,

}Auteurs.

M. CALCUL, homme à projets.
UN LAQUAIS.

La Scène eft dans la maifon de M.

d'Almont.

SCENE I.

M. D'ALMONT feul.

temps

où je

АH! qu'eft devenu le n'avois que peu de bien, point de femme, point d'enfans, point d'emplois, point d'amis, point de flatteurs! je vivois tranquille. Maintenant je fuis riche, je fuis marié, je fuis père, je fuis homme en place, homme d'importance, & je n'ai pas un inftant de repos. Ma femme a de l'efprit & veut trop en avoir: ma fille est jolie; elle commence à le foupçonner, & & trop de gens s'empreffent de le lui apprendre : mon fils a d'heureuses qualités & tous les défauts de fon âge:

Je n'ai pas un ami & j'ai mille courtifans: j'ai encore un plus grand nombre d'envieux ; j'ai encore quelques procès; rien ne me manque de ce qui peut tourmenter ma viẹ. En vérité, je fuis plus las de mes avantages, que tant d'autres ne le font de m'en voir jouir,

SCÈNE I I.

M. D'ALMONT, SUZETTE.

SUZETTE. Eh! Monfieur! à quoi pen fez-vous donc ?

M. D'ALMONT. A bien des chofes.
SUZETTE, Ne favez vous pas que Ma-
dame tient assemblée aujourd'hui ?
M. D'ALMONT. Peu m'importe.
SUZETTE. Que nous aurons cinq à fix
Beaux Efprits?

M. D'ALMONT. C'est beaucoup.
SUZETTE. Deux ou trois Savans?
M. D'ALMONT. C'est trop.

SUZETTE. Nous aurons auffi quelquesuns de ceux qu'on appelle, je crois, des... des... des Métaphoriciens.

M. D'ALMONT, Que veux tu dire? SUZETTE, Oui! de ces gens qui raifonnent fur ce qu'on ne voit pas, & qui déraisonnent fur ce qu'on voit,

M. D'ALMONT. Ah! tu veux dire d Métaphyficiens?

SUZETTE. C'eft cela; mais ce n'eft p tout. Il nous vient, ne vous en déplaise un de ces hommes qui veulent tout r former, excepté leur maison, leurs tra vers & leurs petites habitudes. Vous en tendrez, fi vous le voulez bien, la lec ture d'un projet qui peut changer la face de l'Europe, comme on change d'un coup de baguette celle du Théâtre de l'Opéra.

M. D'ALMONT. J'ai grand pitié de toutes ces rêveries. Il femble à tous ces Meffieurs qu'on peut gouverner le monde comme une petite métairie; qu'ils ne fauroient pas même régir; mais, dismoi, que fait mon fils?

SUZETTE. Ma foi, Monfieur! s'il eft chez lui, il ne fait rien ; & s'il eft dehors, il fait je ne fais quoi.

M. D'ALMONT. Et ma fille?

SUZETTE. Elle est belle comme ange & cent fois mieux coëffée.

un

M. D'ALMONT. Eh! qu'elle fe coëffe comme il lui plaira, pourvu que ce ne pas de Dorante!

foit

SUZETTE. Mais, Monfieur...

M. D'ALMONT, Eh bien!

SUZETTE. Ce Dorante là en vaut bien

o autre. Il a de l'efprit & ne fait jamais d'efprit. On entend tout ce qu'il veut dire. Il le dit bien, fans paroître y fonger, Il est poli, même envers ceux qu'il commande. Il est riche, & ne parle jamais de les poffeffions, de fes chiens, ni de ses chevaux. Il a le talent d'être libéral, magnifique même, & de ne point se ruiner. Je vous l'avouerai, Monfieur, fi j'étois née pour lui, je ne confeillerois pas à aucun autre de fonger à moi.

M. D'ALMONT. Comment donc ! voilà des peintures, des fentimens! où diantre as-tu pris tout cela?

SUZETTE. Monfieur, Monfieur! quoiqu'on ne foit qu'une femme-de-chambre, on a un cœur ; & puis ne favez vous pas que je fuis moins la femme-de-chambre de Madame que fa lectrice?

M. D'ALMONT. Oui, je fais que vous les Romans t'ont paffé par les mains & te trotent dans la tête; mais ne me parle jamais de Dorante, Il exifte entre fa famille & la mienne une averfion que rien ne peut adoucir. Son aïeul a ruiné mon père.

SUZETTE. Hé bien! Dotante restituera à Mademoiselle votre fille ce que fon aïeul vous a pris. Madame approuveroit

affez cet arrangement, & je pense que Mademoiselle Lucile ne s'en éloigneroit

pas.

M. D'ALMONT. Je le penfe comme toi. C'est même par complaifance pour la mere que je fouffre ici quelquefois la préfence de Dorante. Je permets qu'il foit fon convive; mais je ne fouffrirai pas qu'il devienne mon gendre.

SUZETTE, On dit, mais perfonne ne peut le croire, on dit que vous lui préférez Durval.

M. D'ALMONT. Eh! d'où vient ne le croiroit-on pas ?

SUZETTE. On vous connoît trop fage. On fait trop que Durval, n'eft pas votre fait; qu'il eft trop léger, trop vain, trop épris de lui-même. Il fe préfere à tour, &, après lui, c'eft à fa meute qu'il donne la préférence. On dit même qu'il feroit fort heureux de n'avoir que ces défauts, M. D'ALMONT. Excufez du peu. Eh! que peut-on lui prêter de plus?

SUZETTE. On le croit dangereux, perfide, homme à tout entreprendre, à fe jouer de tout, & à traiter tout cela de bagatelle.

M. D'ALMONT. Suzette!...

SUZETTE. Monfieur... Mais voilà Madame.

SCENE

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